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D'arts et de sports (pleurs)


    Je profite de mon jour de congé pour regarder à retardement l'extraordinaire finale de tennis de table entre les frères Lebrun.
Le cadet, perdant quand il a pu croire un temps la victoire à portée de main, pleure à chaudes larmes et semble inconsolable.

Je me demande ce que les personnes peu habituées à la pratique sportive et au dépassement de soi peuvent comprendre à ces pleurs. Il me semble les reconnaître, pour avoir plusieurs fois fondu en larmes une fois des lignes d'arrivées franchie et tellement heureuse d'y être parvenue, aucun autre enjeu pour moi, que la thalassémie éloigne vis-à-vis des gens de pleine santé, de tout exploit.
Ce sont les pleurs de qui est allé au bout du fin fond de lui-même puiser les dernières ressources disponibles afin de tenter le tout pour le tout. Le corps liquéfie tout ce qui reste et l'on n'y peut rien du tout, seulement attendre que le fond de cuve qu'on est allé cherché s'assèche.
Respect, Félix ! Être capable si jeune d'aller puiser si loin est signe d'une force d'âme peu commune et qui portera loin.

Les pleurs d'épuisement, les pleurs du bout de soi sont souvent neutres, et n'ont rien à voir avec tristesse ou joie. En ces moments, on n'éprouve rien d'autre qu'un absolu épuisement qui balaye tout état d'âme.


On peut également pleurer sans chagrin face aux moments artistiques merveilleux, quand quelque chose touche une corde sensible. On peut alors ne pas même se rendre compte que les larmes coulent. L'opéra est fabuleux pour ça. Les voix viennent nous chercher par l'intérieur de l'âme.

Contrairement aux apparences, ces larmes d'arts ou de sports, sont de ce qui rend nos vies humaines plus belles et leurs donnent, brièvement, sens. 


Sunday evening five o'clock blues


    Jour de congé pour moi, que je passe au lit pour reprendre des forces. Plus tard j'irai chez le kiné pour remettre la carcasse d'aplomb. J'ai atteint un âge où maintenir une condition physique demande un effort quotidien.
Alors je rattrape mes retards de lecture, des blogs amis notamment et tombe sur ce billet de bon gros blues du dimanche soir.

Vieillir salariée ne permet pas d'y échapper. Et j'ai la chance d'avoir un emploi qui ne va pas contre mon éthique, je suis utile de façon terre à terre à d'anciens collègues et parfois le sous-effectif ou l'organisation de type centre d'appels (1) qui nous empêche d'assurer un suivi car assignés à d'autres sujets sans tarder, m'empêche de l'être comme je le souhaiterais, mais globalement je me rends utile.
C'est déjà pas mal pour un emploi nourricier.

Seulement je prends conscience en lisant Samovar d'à quel point l'âge induit un déplacement. Mon blues du dimanche soir prend désormais la force d'une inquiétude récurrente quant à ma capacité de tenir la semaine. Une sensation solide de : je ne vais pas y arriver (physiquement ; sachant que l'épuisement induit une brume de fatigue dans le cerveau, et rendent moins efficaces mémoire et réflexion). 
Tenir, tenir encore cinq ans.

 

(1) Il faut avant tout prendre les appels, de façon indifférenciée, sauf pour quelques gros clients attribués à nos responsables. 


Vertige boréal

 

    Les amis revenaient d'un séjour à crapahuter dans le désert du sud de l'Algérie. Nous étions une tablée. Ils évoquaient leurs nuits, les bivouacs, le vent sur le visage.
L'un d'entre nous a alors reçu un appel téléphonique qui lui a fait quitter très brièvement l'assemblée.
Entre temps la conversation s'est embarquée vers les nuits passées à l'extérieur, et le même voyageur s'est pris à évoquer la Finlande et ses aurores boréales. Il en décrivait la beauté quand le convive au téléphone est revenu, conversation close et s'est étonné, apeuré : 
- Des aurores boréales en Algérie ?

Nous avons ri mais quelque chose effare, il était prêt à penser, et j'en aurais fait autant à sa place, que le climat était déjà si amplement détraqué sous l'œuvre productiviste et surpeuplée de l'humanité, qu'on en était à voir des aurores boréales à hauteur de tropiques.

On en est là.


Anatole, chut !

 

    Il a un œil bandé comme après une opération, mais l'autre bien vif, une trottinette qu'il pilote sûr de lui, et probablement 4 ou 5 ans, émettant, joyeux, un bruit strident - peut-être dans sa tête l'équivalent d'une sirène de pompiers, dans l'espoir que sur le trottoir les piétons le laissent passer -.

Sa mère le calme d'un :
Anatole, chut ! 
auquel il obéit.

Je marchais, j'ai pilé. Depuis une quinzaine d'années je m'étonne que ce prénom classique puis passé et donc peu porté ne soit pas revenu en grâce dans la même foulée que les Victor, ou Joseph, ou bien Hugo, Alphonse ou Grégoire. De plus que je sache, Anatole n'avait été porté par aucun dictateur rédhibitoire.
Enfin, Anatole revient ! 

PS : La gentrification de mon quartier encore populaire il n'y a pas si longtemps n'y est pas pour rien. 

 


C'e ancora domani - Il reste encore demain

Filez voir C'e ancora domani (Il reste encore demain) pendant qu'il passe en salle. Peut-être que vous n'apprécierez pas, mais vous aurez vu un chef d'œuvre, avec ce côté innovant et respectueux des anciens,
régal pour les cinéphiles et régal même si on n'a pas toutes les clefs (c'est d'ailleurs mon cas). Et formidable dans son propos.
Sachez que l'on rit, c'est assez peu dit. 

Mais que l'on sort bouleversées.
Et que c'est un film qui peut contribuer à ce que les jeunes femmes comprennent mieux leur mère.

Un sujet sur le backstage à regarder après.


"Une position, dans la vie ..."


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Je n'avais pas eu le temps de courir au matin, ce samedi qui était le premier sans obligations de travail salarié ni veille de course, ni rien, était de fait rempli de diverses choses à faire qui n'étaient plus reportables. 

Comme j'en suis rentrée trop tard pour enchaîner avec la petite séance de 35 mn de course à pied que j'avais de prévue, je l'ai intercalée après la sieste. 
Ce fut un effort, mon corps était bien parti pour dormir jusqu'au sommeil de la nuit. 

L'âge pour l'instant, dans mon cas, se voie surtout à ce besoin immense de récupération : je tiens le coup au boulot, je me cramponne pour tenir le sport (si je lâche sur ma condition physique je ne serai plus capable de tenir mes longues journées de travail), mais il ne reste plus d'énergie pour le reste et j'ai besoin de passer les deux après-midi des week-ends, lorsque ceux-ci font bien deux jours (1) à dormir et me reposer. 

Alors oui, pour aller courir, je me suis arrachée. 

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L'horaire n'était pas favorable, au parc, un monde fou. Habituée aux entraînements d'avant le travail, j'avais un peu oublié la question de la fréquentation.

Je suis passée pour rentrer par un petit parc voisin où se tient une boîte à livre. 

J'y ai trouvé une pépite : un "Traité rationnel d'entraînement cycliste", datant de 1926, aux éditions de La Pédale, excusez du peu.
Ce fut mon bonheur du jour, à la mode d'autrefois c'est un presque traité de philosophie.

"Une postition, dans la vie, c'est déjà quelque chose de très dur à trouver. 
Une position, à bicyclette, c'est quelque chose de délicat à mettre au point."

"Telle est donc cette mystérieuse classe musculaire, accordée aux uns et refusée aux autres par le destin."

"Depuis la plus grande antiquité, c'est-à-dire depuis le premier homme, le massage est entré en vigueur" 

"La tactique, en course, est une chose impondérable, variée à l'infini".

Bien sûr, au vu de l'époque, l'ouvrage ne s'adresse qu'aux hommes, il n'est même pas envisagé un seul instant que des femmes puissent pratiquer ce sport en compétition. Les seules présences féminines le sont au détours de métaphores qui valent leur pesant de misogynie.
Ainsi,
"[La tactique] est une fille capricieuse, qui se soumettra devant le coureur le plus intelligent."

Certains éléments techniques élémentaires sur les vélos depuis longtemps étaient à l'époque de formidables innovations : 

"[...] les descentes en roue libre, et, il faut bien le dire, un grand nombre de coups de pédales économisés, au sein du peloton, grâce à cette amélioration mécanique."

Bref, je sens que je vais passer un moment instructif et marrant.
Merci à la personne qui a laissé ce livre en cet endroit pour le partager.

 

 

(1) Il y a des samedi travaillés.


"Combien de poèmes je ne commence pas"


    Je pensais, ayant revu quelques amis grâce à Erika et Sylvie de l'Attrape-Cœurs ces jours-ci, à ceux qui ne sont plus là, et combien il y avait eu soudain en 2021 de décès dans mon entourage amical. Aucun d'eux n'est mort du Covid mais je reste persuadée qu'il y avait eu au moins pour deux d'entre eux un lien de cause à effet, dans le fait de n'avoir pas eu plus tôt l'accès aux soins pour autre chose (se l'être eux-mêmes sans doute dit, face à des symptômes qui n'étaient pas ceux de l'urgence générale, que ça pouvait attendre de s'en inquiéter).

L'époque de l'internet a ceci de particulier qu'elle permet de prendre des nouvelles a posteriori. J'ai saisi leur nom, comme pour voir ce que leur fantôme devenait (1).

Pour l'un d'entre deux voilà une interview ancienne (2004) mais ressurgie ces jours-ci. Je reste frappée par sa justesse d'analyse concernant l'écriture. Et je suis parfaitement d'accord sur le concept de désastre amusant.

J'aime cette époque moderne qui nous permet d'avoir des nouvelles fraîches de nos [désormais] éternels absents.


PS : Et à part ça, je tiens une enquête pour ma retraite (qui semble s'éloigner à mesure que j'avance en âge) : qui était Simone Dussauze, enfant de 1915 lisant des (au moins un) livre en Bibliothèque Rose (illustrée) ?

(1) C'est moins farfelu que ce qu'il n'y paraît, l'un d'entre eux a un livre récemment publié (à titre posthume), Jachère de Philippe Aigrain.


J'ai connu la fin du Rêve


    Après une soirée émouvante et délicate à la librairie de l'Attrape-Cœurs à l'occasion de la parution du nouveau roman de Karine Reysset "Dans la maison familiale" (avec lecture à trois voix + chansons, + mise en musique par Gilles Marchand), je suis rentrée en prenant conscience que ce sont les bibliothécaires du Crédit Lyonnais dans les années 1998 à 2000 qui en agissant un tantinet d'autorité envers moi :

"C'est le fils d'un collègue et c'est un vrai écrivain, tu verras" (et Françoise d'autorité m'enregistre "Je vais bien ne t'en fais pas" d'Olivier Adam sur ma carte et me colle le bouquin entre les mains)

"Tu y vas 5 minutes, tu pars après, mais tu y vas" pour m'obliger à aller à la rencontre avec Marie Desplechin alors que j'avais une réunion pour une méchante urgence pro.

qui ont changé (en beaucoup plus vif) le cours de ma vie.
Sans parler de la toute première rencontre, celle avec Nicolas Bouvier qui m'avait donnée les capacités pour réfléchir à ma vie autrement.

Ce soir, brièvement car j'étais éreintée après une journée de travail chargée de devoir répondre comme suite à des problèmes généraux auxquels je ne pouvais rien que servir de courroie de transmission pour les informations entre ceux qui pouvaient le résoudre et ceux qui en pâtissaient, j'ai savouré que ma vie avait été rendue belle, quoique rude, et qu'il en restait les échos actifs, braises vives prêtes à être rallumées dès que je serai maître d'un peu de mon temps.

PS : Le titre de ce billet, c'est une phrase que j'ai réellement prononcée dans une conversation de la soirée et qui est vraie.