Écrire
01 janvier 2024
Je débute l'année totalement ensuquée, avec cette sorte d'inquiétude sourde qu'il y a quand on se dit, Heureusement que c'était un jour férié, je n'aurais pas été en état de travailler.
J'espère que pour demain et les quatre jours qu'il faudra enchaîner, je serai remise sur pied.
Métallisée par le soleil, La Tour, ce matin me semble immense et presque menaçante.
Je parviens péniblement à faire trois choses à faire, rapport à une inscription à une course, et à la réactivation pour toutes les applis utiles, de mon téléfonino récupéré. Il me restera à effectuer dans les temps la restitution du téléphone de prêt. Et bien sûr, le truc machin bidule prévu pour sur le site de l'opérateur bugue en cours de route.
Je lis, c'est tout ce qui reste possible quand la fatigue physique prend ainsi le dessus.
Dans l'ouvrage qui recense en français les écrits quotidiens de Patricia Highsmith, je tombe sur cette phrase qui ne s'applique pas du tout à mon cas :
"Comme la plupart des diaristes, Pat avait tendance à écrire davantage pendant les périodes difficiles".
J'ai tendance à écrire davantage ... pendant les périodes où je dispose de temps libre. Ce qui élimine de facto : celles pendant lesquelles je fais trop de trucs trop bien (par exemple : semaine de stage de triathlon ou festival de cinéma) et celles pendants lesquelles il se passe trop de trucs trop difficiles et que tout le temps et l'énergie sont employés pour y faire face.
Lus par des descendants ultérieurement, mes diarii donneront donc l'impression d'une vie moyenne (c'est le cas) mais très lisse (ben non, en réalité). Les moments nombreux de maladies y seront moindres qu'en réalité, puisqu'aux jours d'être fiévreuse et clouée au lit, je n'écris guère.
Le début de l'ouvrage porte sur ses notes de 1941 et je trouve moyen d'en lire une grande partie sans capter que c'est alors en pleine guerre mondiale - effectivement la vie quotidienne d'une jeune femme de 20 ans aux USA n'était pas violemment impactée -. Je prends aussi ainsi conscience de son appartenance à une génération qui précédait celle de mes parents, sans être pour autant de celle de mes grands-parents. Dans ma tête, elle était comme une légère aînée, comme si elle faisait partie de la génération de mes cousins-cousines dont deux seulement sont de mes âges et tous les autres d'un cran d'avant.
Peut-être que son antisémitisme venait pour partie de là, je me souviens de ma propre mère qui était si surprise qu'on lui dise qu'elle l'était. Elles étaient née dans des époques où certains préjugés étaient sans complexes institutionnalisés, étaient considérés comme des évidences. Leur façon d'y surseoir était d'avoir des ami·e·s de toutes origines, sans être freinées par ce qui fut inculqué.
Je me demande quels a priori de mon propre système de valeurs seront plus tard jugés inacceptables. J'espère que ça ne sera pas mon humanisme, alors que nous traversons une période de violent retours des nationalismes les plus étriqués.
Je lis chez Lucette Desvignes ces phrases qui me redonnent courage : un écrivain "C'est quelqu'un qui écrit - pour soi, pour la postérité, pour la corbeille, peu importe : on écrit et c'est une grand chance de pouvoir continuer à avoir des idées et de pouvoir les exprimer, soit par la parole, soit par l'écriture, même quand on est entré dans les quatre-vingt-dix-huit".
Tout n'est pas perdu.
Non sans étonnement, je m'aperçois que ce blog a passé le cap des 5555 notes (1). Si mes calculs sont bons, la 5555 ème causait de speedcubing ; ce qui me plaît bien.
Vieillir c'est s'intéresser à des activités que l'on n'est plus ou plus tout à fait en mesure de pratiquer. Le speedcubing, le parkour et le cyclocross sont arrivés trop tard dans ma vie. Pour le triathlon, je suis heureuse de n'avoir pas raté le coche, mais il s'en est fallu d'un rien.
Et toujours quand on est une femme : NE PAS ÉCOUTER l'entourage qui les 2/3 du temps se montre décourageant et a vite fait de te considérer comme un peu fofolle, quand un homme dans les mêmes dispositions de se lancer dans une activité un tantinet tardivement, recevrait moult appréciations positives quant à son courage et son esprit d'entreprise resté intact. Pour une femme on parlera plutôt de velléités. Grumbl. Restons vivantes, soyons cinglées.
N'ayant trouvé aucun vœux par textos à mon réveil, j'en avais déduit que la coutume s'en était perdue, que ma vie métro boulot vélo dodo (et course à pied, et natation) m'avait coupée de trop d'ami·e·s, que la famille était désormais trop atomisée, dispersée, orpheline de la génération chapeau qui faisait le lien et des invitations de réunions, ou que l'année 2024 s'annonçait trop terrifiante pour qu'on se la souhaite bonne. C'était peut-être pour partie vrai, mais surtout lié au fait que WhatsApp semble avoir ramassé la mise. Ce que je découvre en réactivant mon "vrai" téléphone, celui qui vient d'être réparé, sur cette application (2). Je m'efforce de répondre scrupuleusement.
Je le sais mais en constate pourtant la confirmation avec étonnement : les petits téléphones individuels ont pris dans nos vies une importance impressionnante. Retrouver "le vrai mien" me montre à quel point d'avoir été près d'un mois avec un fonctionnement restreint m'a fatiguée. Parce que je devais (un peu) réfléchir pour avoir accès à certaines fonctionnalités. Parce que je me passais de pas mal de petits services dont je n'avais pas conscience d'à quel point ils me facilitaient la vie.
Parce que le téléphone est devenu l'appareil photo (3).
Ce qui est curieux, c'est que le téléphone de prêt avait un meilleur appareil photo intégré que le mien, mais que pour autant je suis soulagée de retrouver le fonctionnement du premier.
Je ne sais toujours pas si le fait d'être coupée des informations du monde pendant mon travail salarié me pèse ou me protège. Que je me pose la question, alors que je suis quelqu'un qui éprouve depuis l'enfance le besoin de suivre la pulsation du monde, est signifiant, nous vivons des temps sombres avec la quasi-certitude que la suite sera pire.
Notre maison de Normandie sera d'ailleurs peut-être un jour qui sait, et du vivant de la descendance (sinon du mien), une résidence de rivage, et le Cotentin (re?)devenu une île. Séparée du continent à la hauteur du MacDo.
(1) Nombre qui revêt pour moi une importance particulière car le premier roman auquel j'ai participé était une œuvre collective écrite en classe de 5ème sous l'égide de monsieur Compain notre professeur de français et que le titre, collectivement choisi en était : "Le clipper de l'an 5555 ou inquiétude chez les dieux". Hé oui il s'agissait d'un roman d'anticipation.
(2) Je m'inquiétais d'un mot de passe oublié : en fait il suffit de relancer l'appli, rentrer le numéro de mobile et un code de confirmation nous est envoyé. En revanche l'historique des conversations revient de façon qui semble imprévisible : des très anciennes ressurgissent, des nouvelles restent perdues dans les limbes de l'appareil intermédiaire.
Note pour plus tard : si quelque chose est dit ou indiqué par cet outil et qui semble digne d'être conservé, prendre soin de le sauvegarder sur un autre support.
(3) Ce qui m'embête un peu. J'avais une belle relation avec les miens. Et les réglages flashy par défauts des téléfonini ne me conviennent pas tant.