Diminution de la diversité des langues
31 janvier 2023
Un des rares algo que je laisse faire est celui de youtube, qui est à la fois farfelu et terriblement logique. Il a donc repéré que je suivais du sport, des musiques lentes (celles qui aident à garder le fil pour écrire par exemple, mon problème perpétuel étant d'éviter de tomber dans le sommeil), et des documentaires.
J'ai depuis longtemps constaté que plus je me sens enfermée dans ma vie quotidienne par des temps contraints, plus j'éprouve le besoin d'apprendre des trucs d'apparence inutiles dès que je dispose d'un instant. Le cerveau a besoin de se sentir vivant.
Alors ce dispositif qui fait que je m'endors en suivant une compétition sportive et me réveille devant l'histoire (récente) de la Bretagne, me convient parfaitement.
De fil en aiguille, j'en suis venue à regarder (vive les jours de RTT) une série de sujets de France 3 Bretagne sur le gallo, cette langue parlée à l'est de la région.
J'ai découvert ou redécouvert (1) récemment l'existence de cette langue, trop proche du français pour avoir su se revendiquer comme telle et qui, selon toutes probabilité était celle de naissance de mon grand-père maternel.
Je suis persuadée, de l'avoir déjà entendu marmonner en patois, mais que je prenais pour du patois normand puisqu'il s'était établi en Normandie dans le Cotentin. Voilà que plus de quarante ans plus tard, je me demande s'il ne se parlait pas à lui-même en gallo.
Je crains fort que plus personne ne puisse me le dire.
Je m'aperçois que je connais peu les langues natives de mes grands-parents. Mes parents étaient d'une génération où l'important était d'avoir de bonnes notes à l'école, eux qui avaient été privés d'études par une combinaison de la guerre et de leur milieu social d'origine. Et ils étaient de ce temps où l'on considérait qu'une langue risquait d'en brouiller l'autre, alors pas question de parler autre chose que le français le plus académique possible et élégant.
Il n'empêche.
Ma grand-mère maternelle était normande avec de probables origines vers le Maine et Loire. Elle a donc sans doute connu le patois angevin et comme elle a grandi en Normandie c'était sans doute le patois normand qui prévalait. Mais ma mère m'a plusieurs fois parlé de l'importance du français et que le patois c'était pour les ploucs (en ce temps-là). Parler patois était mal vu.
Mon grand-père maternel a probablement grandi dans le gallo, je crois qu'il est né à Lamballe.
Mes grands-parents paternels étaient originaires des Pouilles, dont je m'aperçois que les dialectes sont multiples. Impossible de savoir s'ils en parlaient un, il ne reste plus aucun survivant de leur génération ou de la génération intermédiaire.
Je sais en revanche qu'arrivés encore enfants ou pour l'aîné adolescent, dans le Piémont, mon père et ses frères avaient adopté le Piémontais. Jeune, j'étais capable de le piger, s'il n'était pas dit trop vite, et de tenir une conversation élémentaire (2).
Une génération plus tard c'était devenu Français d'un côté et Italien de l'autre.
Et je n'ai pas su transmettre l'Italien à mes enfants, faute d'avoir eu le temps et de disposer d'assez d'argent pour aller en vacances au pays.
Du côté de mon époux, existaient pour la génération des grands-parents, le Ch'ti et le Polonais. Là aussi les parents avaient dans l'idée qu'il fallait pour s'en sortir dans la vie parler le meilleur français possible et donc le français au quotidien prévalait, du moins en classe et dans le cercle familial. Lui est capable de parler et comprendre le Ch'ti.
Je suis capable de le piger, mais pas de le parler.
Nos enfants, ne le connaissent pas.
Celleux de notre génération en plus du français se débrouillent tous en anglais (plus ou moins bien, mais assez pour comprendre et se faire comprendre dans les moments de la vie courante).
Celleux de la génération de nos enfants sont pratiquement tous au moins presque bilingue Français Anglais ou Italien Anglais. L'anglais s'est imposé partout à l'école, au collège.
Les filles, souvent, pratique une ou deux langues de plus mais apprises par un choix volontaire. De la même façon Le Joueur de Pétanque a appris l'Italien.
Il n'empêche qu'en langue "de naissance", en deux générations on a assisté à une forte réduction.
Nos grands-parents parlaient cinq langues ou patois, nos parents les comprenaient mais s'étaient limités dans leur parler quotidien à deux, officielles. Et nous-mêmes n'avons grandi que dans les langues officielles et en pratique une seule.
Si nous en parlons davantage, c'est par apprentissage "extérieur".
Il me semble que c'est assez typique d'une évolution européenne générale.
Je n'ai pas d'opinion particulière, méfiante envers les potentiels replis identitaires, mais pour autant triste devant une perte de diversité qui n'est pas bon signe. Ce que je sais de par mon expérience, c'est en revanche que les apprentissages de langues et langages s'enrichissent et se facilitent. Et que donc en rajouter une est plus aisé quand on en maîtrise déjà trois ou davantage.
Et qu'aussi on perd vite le "parler" dès lors qu'on ne pratique plus.
(1) Effet de l'âge : ne plus savoir si on a su quelque chose puis oublié ou si tout simplement on ne l'a jamais su.
(2) Super souvenir de ma rencontre lors d'un ancien salon du livre avec Hector Bianciotti qui le parlait.
PS : Une page wikipédia sur la frontière linguistique bretonne
PS' : En complément, ce sujet sur le site de France Info "sur les 7000 langues parlées sur notre planète, 50 % pourraient cesser d'exister d'ici la fin du siècle" avec au passage cet étonnement : une des causes de ses disparitions pourrait être le dérèglement climatique "parce que les régions qui ont la plus grande diversité linguistique au monde sont également celles qui sont le plus menacé par le changement climatique"