Chroniques du confinement jour 27 : C'est terrible à dire mais quel bon dimanche (dans notre coin) !
12 avril 2020
Les jours se suivent et l'écart se creuse entre notre vie pour le moment comme d'un étrange été, avec les corps reposés et détendus comme jamais et le monde extérieur, des personnes malades, des ami·e·s dont meurent les parents ou grands-parents. Je finis par vivre dans deux états séparés simultanés, un chagrin général perpétuel et une sorte de complétude absolue quant à ma toute petite vie tant qu'elle dure ainsi. Jamais je n'avais eu droit à vivre à mon rythme physique idéal si longtemps, jamais je n'avais eu le droit de me sentir de ce fait, en forme, jamais je n'avais été aussi peu stressée (1). Fallait-il un malheur collectif immense pour que la vie ait à mon égard quelques sollicitudes ? J'ai du mal avec ça ; je m'en calme avec la pensée lucide des difficultés qui suivront, le risque aussi que nous tombions malades après coup, victimes ultimes d'un déconfinement trop hâtif que l'économie réclamera (2).
Alors ce dimanche dans notre petit coin a ressemblé à un dimanche parfait. D'abord un temps d'été, qui devrait sans doute nous inquiéter mais que je suis incapable, tellement il me met en forme, de ne pas apprécier. Ensuite puisque c'est encore autorisé, un petit morning run sur la voie verte déserte. Pas un vrai entraînement, nous sommes limités par le kilomètre requis, et nous avions déjà couru la veille, mais un bon petit décrassage. J'ai enchaîné sur le défi abdos - squats -pompes et la journée était lancée.
Comme c'était dimanche, pause au jardin et c'était bien. J'en ai profité pour répondre enfin à mes messages en souffrances, certains depuis le soir de l'accident devant chez nous. C'était comme si ceux auxquels je m'apprêtais à répondre à ce moment là étaient tombés dans une fente du temps, l'intention coupée dans son élan, l'élan plus jamais retrouvé.
JF s'est occupé des repas, tâche allégée par la réouverture du traiteur et les courses qu'il y avait faites la veille, mais cependant il a eu ce mérite que je n'ai pas eu à m'en soucier, et que j'ai pu vaquer à mes propres tâches jusqu'au dernier moment.
Nous avons lu un moment au jardin en fin d'après-midi. Les vieux "Match" et "Miroirs du sprint" de mon grand-père font notre régal. D'une certaine façon il est bon pendant une pandémie (comment est-ce que tout cela va finir ?) de lire ce qui était écrit pendant une guerre mondiale (comment est-ce que tout cela va finir ?), même si tant de choses sont si différentes, et que non, quoi qu'essaie de nous en faire accroire les mâles politiciens, il ne s'agit pas d'une guerre, là, en ce moment.
J'ai fait une sieste absolument somptueuse, en trois temps, lisant entre chaque moment de sommeil gagnant, n'ayant en rien besoin de lui résister puisque J'avais le temps. J'en suis sortie, toute fatigue bue. C'est quelque chose qui ne m'arrive presque jamais. J'en éprouvais un bonheur incommensurable.
Pour l'heure je n'ai utilisé l'énergie que pour arroser délicatement les myosotis - car pour la Normandie cette période de beau temps que nous traversons n'est ni plus ni moins qu'une sécheresse -, et trier les journaux anciens par ordre chronologique inversé. J'ai aussi enregistré, après le dîner les chants d'oiseaux côté rue, ce truc absolument dingue quand on y pense.
Comme nous avons vécu fenêtres ouvertes et par moment au jardin nous entendions des bruits de conversation (pas de voisins immédiat mais deux maisons et deux autres maisons plus loin) et c'était presque une illusion de vie normale, d'un dimanche de vacances d'été sans la saison touristique assortie.
À 19h j'ai suivi en direct sur Youtube le concert d'Andrea Boccelli donné au Duomo de Milan. Tout seul avec un organiste (et vaguement une silhouette (pour surveiller ?) dans un coin). C'était d'une grandiose irréalité. La voix n'était plus ce qu'elle a été, mais le moment méritait le détour. Il y avait des inserts avec des images des villes désertes. Celles d'Italie les plus touchées et aussi Paris, Londres et New-York. Il a chanté Amazing grace a cappella devant la cathédrale et c'était émouvant, on ne pouvait le nier.
Boris Johnson est donc sorti d'hôpital et a tenu un discours qui est presque comme je l'avais rêvé, le gars qui prend conscience de certaines choses. J'en riais en me souvenant de nos discussions amicales en début de semaine, avec les amies qui me charriaient quand je disais, j'aimerais qu'il s'en sorte mais qu'il en sorte changé. Samantdi aussi doit être bien amusée qui me disait que notre Bécassine béatitude l'emporterait.
Des intégristes catholiques ont tenu une messe clandestine à Saint Nicolas du Chardonnet. Les cons. Il n'y a pas d'autres mots. Et (what a surprise) les forces de l'ordre qui ces jours-ci sont capables de verbaliser les personnes qui vont travailler à vélo parce que normalement Vous devez circuler en voiture, ont laissé les gens repartir chez eux et n'ont discuté qu'avec le prêtre, ou quelque chose de cet ordre. Une amende pour la forme.
On approche des 15 000 morts recensés en France, et désormais, France ou Italie on en est à se féliciter qu'il n'y ait "que" 413 morts par exemple. C'est fou d'en être arrivés là.
Un ami de Twitter qui devait nous faire une balade guidée virtuelle de Montmartre a son père qui est mort la nuit dernière. Je ne sais pas considérer les chiffres des malades graves et des morts comme seulement des statistiques et nous ça va alors tant mieux.
L'ami Xave m'a fait sourire. Dans le triste, comme presque toujours de nos blagues respectives depuis l'épidémie.
(1) Il faut dire que je bénéficie d'un concours de circonstances, ou plutôt d'un enchaînement calendaire des choses, particulièrement étrange d'un point de vue professionnel. Après, che sera sera car il y a bien trop d'inconnues quant à la sortie du confinement. Peut-être que tout sera à refaire. Mais au moins j'aurais pris des forces.
(2) Je tiens cette crainte solide du sort de ma grand-mère maternelle morte peu après la Libération, des conséquences indirectes de tout ce qui avait précédé, et qu'elle avait pourtant surmonté. Elle avait su mener une grossesse à son terme en plein pendant ces mois du Débarquement, et accoucher, et le bébé se portait bien. Seulement voilà, elle n'a pas pu bénéficier des conditions d'hygiène qui auraient été nécessaires et leur mort à elle, puis à lui, s'en est suivie.
Lien vers le site de la santé publique en France
Liens vers des statistiques :
Wordometer covid-19 coronavirus pandemic (depuis quelques temps le plus complet, entre autre parce qu'il indique le nombre de tests ; un pays comme la France qui teste jusqu'à présent très peu a forcément moins de cas officiels que de cas réels)
Official Data from The World Health Organization via safetydectetives.com
Coronavirus COVID-19 Global Cases by John Hopkins CSSE
1 837 767 cas (dont : 113 312 morts (21 667 aux USA) et 421 508 guéris)