Chroniques du confinement jour 25 : Dissonance cognitive
10 avril 2020
Un temps estival de ouf, le matin à travailler au jardin en tee-shirt et short (1). J'ai exhumé encore un dallage, celui-ci inconnu de mes souvenirs : le long de la fenêtre.
Des contacts avec les enfants, dont un coup de fil en début de soirée au fiston qui s'apprêtait à faire une soirée cuisine avec ses colocs. Notre fille a des projets pour son anniversaire. J'espère que ça ira.
J'ai lu aussi, et continué quelques rangements. Ces journées calmes passent à une vitesse folle. L'Homme n'est pas sorti (à part au jardin), bel effort de sa part.
Le temps du travail au jardin, concentrée sur mes gestes (je souhaitais épargner certaines plantes, je ramassais encore et encore des morceaux de verre datant des casses du #VoisinVoleur) j'avais oublié l'épidémie.
Mais elle est toujours là, en dehors des moments de concentrations ou d'efforts physiques (tels que les séances de Tabata). Le frère d'une grande amie est malade à son tour et ils attendent dans la crainte que cela dégénère. Des personnes que je connais d'un peu plus loin réapparaissent soudain qui étaient à l'hôpital depuis un moment (2). Des parents meurent, de personnes qui n'ont qu'une dizaine d'années de moins que moi, et donc eu même en ayant qu'une quinzaine de plus. Des grands-parents, j'ai cessé de suivre, perdue. Mais je m'efforce de laisser un mot de réconfort à chacun. C'est ma seule action possible, il me semble que je la leur dois, moi au confinement si facile.
C'est en lisant "Feu de tout bois" et un mot concernant la détention de Florence Aubenas, que j'ai soudain compris pourquoi il ne me venait pas à l'idée de me sentir mal d'être ainsi confinée : il y a quinze ans j'ai participé mentalement si fort à un enfermement que l'on pressentait (et qui fut confirmé) autrement plus dur, qu'il ne me viendrait pas à l'idée de me plaindre, ni même de me sentir oppressée ; du moins tant que nous avons la bonne santé. C'est un peu comme si je m'étais déjà entraînée. En images mentales j'étais auprès d'elle presque sans arrêt. Je sais que ça peut sembler ridicule, mais ça a fait de moi quelqu'un d'un peu préparé. D'où d'ailleurs mes routines mises en place très vite, car je me souvenais de son témoignage après son retour et de ce que Marie avait raconté de ce que Florence leur avait dit, le lundi soir, la veille de la conférence de presse et alors qu'elle était enfin rentrée (le dimanche elle était restée dans un lieu militaire pour le débriefing et sans doute le lundi quelques contrôles de santé).
C'est intéressant de lire longtemps plus tard le point de vue d'Élisabeth sur les prises d'otages et la publicité plutôt déconseillée. C'était vrai en local. Notre job à nous était de maintenir la pression sur l'état français qu'on savait au départ plutôt peu motivé. Je me souviens que les débats au sein même du comité avaient été animés.
C'est rétroactivement flippant en lisant le témoignage de vie quotidienne d'Élisabeth de mesurer à quel point peu d'otages en ressortaient vivants, globalement. Surtout vers cette période d'enlèvement crapuleux : les types encaissaient les rançons et s'en foutaient de la personne qui n'était pour eux qu'un objet pour accéder à l'argent.
Pour l'heure j'ai donc passée une journée délicieuse (de plus) pendant cette épidémie atroce - y compris dans les pays comme l'Italie où les gouvernements font de leur mieux en tenant compte de la vie des gens -. La dissonance cognitive commence à être difficile à soutenir - Élisabeth en parle fort bien, qui continuait à faire des longueurs dans sa piscine tandis que des attentats suicides étaient perpétrés presque à proximité, mais justement s'obligeait à le faire parce que tel était son rôle : tenir le coup -. Alors je m'applique à tenir le mien : rester chez moi, ne pas contribuer à l'augmentation générale du risque de contagion.
Le chat noir et blanc plutôt blanc était dans la cabane à outils en fin d'après-midi. Mais il a filé dès que j'ai ouvert la porte de la cuisine.
Avec JF nous avons décidé en fin de sieste de faire une promenade au jardin. Il fait moins de 8 m sur 6 m (et un peu plus que 7 m sur 5 m), mais nous avions opté pour cette illusion, Allons nous promener au jardin. Et c'est bête à écrire, mais c'était bien.
Depuis plusieurs soirs à la tombée du jour une famille au moins des petites maisons préfabriquées blanches, que l'on voit vers l'arrière joue dans leur jardin à des jeux bougeant (chat ou colin-maillard ou que sais-je) et on entend leurs cris de jeux et de joie et des fausses peurs du jeu. C'est extrêmement réconfortant.
Sinon depuis deux jours, dans la matinée et l'après-midi bruits pas si lointain de tronçonneuse. Ça l'est moins.
Je suis en train de retrouver ma compétence d'enfance en chants d'oiseaux.
J'ai voulu avant de me coucher, à 1h06 (3), vouloir profiter du ciel étoilé avec l'appli Heavens Above dont j'ai équipé mon téléfonino : tout au long de la journée il avait fait un ciel tout dégagé, et jusqu'au crépuscule : sauf que là, raté, des nuages entre temps s'étaient interposés.
En revanche j'ai pu observé qu'à part notre rue et vers Lessay, la petite ville était plongée dans le noir, et également sur l'arrière vers les petites maisons blanches. Je me suis dit que je regarderai une autre nuit afin de vérifier si c'est habituel ou pas. Je me souviens de ma fausse joie, l'été dernier, d'avoir cru que le noir de nuit était une mesure écologique pérenne.
PS : LT des infos du soir sur Rai News 24, c'est un peu devenu mon boulot.
(1) Je l'avais glissé dans ma valise, pensant qu'on en aurait pour jusqu'à fin mai. En fait même pas mi-avril il sert déjà.
(2) Bien occupée dans mon quotidien de confiné, et peu connectée, je m'aperçois souvent très à retardement qu'une personne ne donne plus de nouvelles.
(3) Note de téléfonino : zéro étoiles mais la ville éteinte
Lien vers le site de la santé publique en France
Liens vers des statistiques :
Wordometer covid-19 coronavirus pandemic (depuis quelques temps le plus complet, entre autre parce qu'il indique le nombre de tests ; un pays comme la France qui teste jusqu'à présent très peu a forcément moins de cas officiels que de cas réels)
Official Data from The World Health Organization via safetydectetives.com
Coronavirus COVID-19 Global Cases by John Hopkins CSSE
1 684 640 cas (dont : 102 059 morts (18 331 aux USA) et 375 221 guéris)