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Un très ancien passé

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Pour cause de recherche d'emploi, me voici retournée dans une ville de mon très lointain passé : j'ai grandi tout près mes premières années, c'était la grande ville voisine où ma mère et moi allions en voiture lorsque mon père ne la prenait pas (une Aronde) pour aller à son travail à l'usine qui à l'époque était Simca. 

J'y suis très peu retournée depuis, dont une fois en 2006 mais alors en état de choc, sous l'effet d'une rupture d'amitié subie pour moi incompréhensible. J'y étais allée pour une consultation médicale, laquelle m'avait bien aidée même si sur le moment je me sentais plus désemparée que jamais. Je me souviens d'avoir téléphoné à une amie qui m'avait aidée à reprendre mon souffle, puis d'être allée achever de reprendre mes esprits à l'abbatiale, dont je me souvenais. Puis j'avais repris le train (ou le RER). Autant dire que je n'avais pas vraiment revu la ville, si ce n'est l'usine au loin par la fenêtre du cabinet médical.

J'avais également retraversée la ville lors de différents trajets et j'avais déjà remarqué que je me souvenais des axes de circulation, que je n'y avais pas perdu l'orientation.

Cette fois-ci comme j'étais un peu à l'avance et que malgré le froid, après l'entretien également, j'ai souhaité revoir la ville, j'ai davantage redécouvert de lieux. Il y a beaucoup plus d'habitations, d'anciennes bâtisses ont disparu. Le centre ville a conservé une bonne partie de lui-même, une foule de petits souvenirs sont venus me rejoindre, la poste, la mairie, un square (où sans doute je faisais du toboggan), certains immeubles bas, neufs alors, vieux maintenant, où nous passions ou dans les boutiques de rez-de-chaussée desquels nous faisions quelques emplettes (1). Je me suis souvenue de la boulangerie dans laquelle, comme une récompense, ma mère s'achetait un gâteau et pour moi un pain au chocolat. C'était un grand luxe, ressenti comme tel, et j'avais compris qu'il valait mieux ne pas, sous peine de tempête conjugale, en parler à Papa. 

Pendant pas mal d'années, plus tard, nous repassions par là : un usage de l'usine permettait aux veilles de ponts ou week-end prolongés, de bénéficier "gratuitement" d'une demi-journée de congé sous réserve qu'un hiérarchique accord un "bon de sortie". Alors ma mère, de Taverny où nous habitions alors, nous emmenait ma sœur et moi jusqu'à l'usine d'où mon père sortait et qui prenait le volant jusqu'à Normandie ou Bretagne où nous allions retrouver la famille. Treffpunkt Poissy. 
Cette ville avait pour moi une aura de l'anticipation des retrouvailles avec mes cousins - cousines (2).

Enfin j'ai un souvenir vif d'une "opération portes ouvertes" alors que je devais avoir une dizaine ou douzaine d'années : nous avions pu enfin, nous les petites familles, visiter l'usine, une belle et instructive visite guidée. M'en était resté une indulgence infinie pour mon père - comme une prison mais tu n'as rien fait de mal -, et des impressions fracassantes : le bruit assourdissant des presses et l'odeur suffocante de l'atelier peinture, pourtant délicieusement spectaculaire (des carcasses de voitures avançaient dans une cuve et en ressortaient toutes teintes ; aux êtres humains les finissions). Je me souvenais d'un bâtiment en brique tandis que tous les autres étaient des hangars métalliques.

En repartant, via le RER A, je l'ai entrevu, ainsi que l'ensemble de l'usine, son impressionnante étendue, et le château d'eau si particulier qui la rendait repérable de loin. Songé avec émotion aux années de souffrance de mon père, qui était parvenu à force de travail à s'extraire des ateliers, mais cependant y se faisait violence de s'y tenir, d'y aller. Fullsizeoutput_19b4 

Être amenée à travailler dans cette ville, dans un métier que j'aime, alors que je m'approche de la fin de ma vie professionnelle, aurait pour moi un sens. Quelque chose qui dirait que le sacrifice de mon père d'avoir enfermé ses meilleures années, n'aurait pas été vain.

 

 

(1) Un supermarché, un des premiers en France venait de s'ouvrir en bas de la colline à Chambourcy mais nous y allions, me semblait-il, avec circonspection. Ma mère (et de fait moi) fréquentait encore majoritairement des boutiques où l'on entrait et où l'on demandait ce qu'il nous fallait sans toucher à rien qu'on ne nous ait donné parce que nous l'avions payé. En tant que petite fille que mettaient terriblement mal à l'aise les amabilités forcées des grands, inutile de dire que ma préférence allait tout droit au supermarché, en plus que c'était comme un tour de manège d'être perchée dans le chariot.  

(2) Curieusement, un de mes cousins m'a téléphoné alors que j'étais en chemin, comme s'il maintenait ainsi une vieille tradition. 

 


Un entraînement particulier

 

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Je me console activement du terme prévu de mon récent contrat par un retour aux entraînements. Durant tout l'automne je terminais trop tard pour pouvoir venir à la piste le mardi soir. L'an passé j'étais parvenue à progresser grâce à une présence régulière à ces séances spécifiques que je complétais par des entraînements plus longs mais plus lents. 

Alors ce soir je me réjouissais de reprendre.

Las, la piste était verglacée, une vraie patinoire. J'ai beau ne pas croire aux choses irrationnelles, un sentiment d'avoir la poisse vient m'habiter parfois.

Comme un·e triathlète ne se laisse pas abattre, nous avons quand même fait une petite séance en courant sur la partie en synthétique, laquelle semblait givrée mais ne glissait pas. 

 

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Note à moi-même : ce fut un petit Noël différé : distribution des tenues (que nous achetons nous-mêmes, ce qui me rend impatiente de percevoir mon salaire de janvier) et aussi distribution par un camarade du club qui en a organisé l'achat groupé, de bracelets de sécurité. Ils comportent notre identité, année de naissance, IKE (personne à avertir en cas d'urgence), groupe sanguin et mention des allergies ou quelque autre info médicale que l'on juge utile. Comme leur texture est agréable et leur sobriété presque élégante, je sens que j'en ferais un usage très fréquent.


La tour Ariane, une bibli, une voix amie


    J'ignore pourquoi mais soudain me revient, datant de janvier 2003, le souvenir d'un midi d'une journée de travail.

Je bossais alors à l'"Usine" (une grande banque de la place), Tour Ariane. J'y étais depuis septembre 2001 dans un service consacré aux clients entreprises, le côté informatique, fichiers et statistiques de la force. Longtemps j'avais exercé le même type de métier mais pour un des services de Ressources Humaines et sis les derniers temps dans des bâtiments de peu d'étages dans le quartier de l'Opéra (Garnier). Pile en septembre 2001 j'étais venue me laisser percher dans une tour de La Défense. Il y a des gens comme ça qui ont le sens du timing. Les collègues (ceux que je quittais, ceux que je rejoignais) se gaussaient. 

En janvier 2003, j'avais pris mes marques depuis un moment. Le travail n'était pas affriolant - en quelques années dans les services de ce type, nous étions passés de grands projets sur lesquels nous pouvions techniquement apprendre et chercher et trouver à des tâches répétitives de statistiques, dispositifs ou fichiers à fournir vite sans avoir le temps de réfléchir, d'améliorer -. Ce qui me consolait était de bosser sous Unix, et que par ailleurs l'équipe à laquelle j'appartenais était composée de gens bien.

Une de mes amies venait de publier un livre, ça n'était pas le premier, écrire était son métier. Son livre d'ailleurs allait faire partie des facteurs de contamination vers l'écriture. À ce moment-là je le ressentais sans savoir encore me le formuler. 

Et ce midi-là, elle passait à la radio (1). Alors j'avais un peu décalé mon heure de déjeuner, lorsqu'il n'y avait pas d'urgence nous avions cette liberté, zappé la cantine, pris un sandwich quelque part, vite avalé et j'avais filé munie sans doute d'un walkman (2) à la bibliothèque. 

En ce temps-là les grosses entreprises avaient des comités d'entreprises qui investissaient dans le collectif, existaient encore ciné-club, groupe théâtral, groupe sportif ; n'existait déjà plus une coopérative qui permettait de caler des achats de vie courante juste après la cantine et dont j'avais amèrement regretté la disparition.

La bibliothèque dans la Tour Ariane présentait la particularité d'être immense. En effet des règles ordonnaient de limiter le poids sur plancher. Les livres étant très lourds par rapport à leur taille, il avait fallu répartir et de ce fait les étagères étaient comme perdues au sein d'un vaste espace. Comme pour tout le reste c'était économie maximale et entassement des meubles et des gens, le contraste était saisissant. Et très agréable lorsqu'on y passait un moment. 

Je me souviens d'avoir approché une chaise près de la baie vitrée côté Paris, là où l'on voyait la Tour Eiffel veiller sur la ville et d'écouter la voix amie. Le ciel était beau, contrasté, légèrement tourmenté, pas du gris uni comme souvent à Paris. Ça allait bien avec l'ambiance du livre dont il était question. En ce moment précis, le temps d'une émission, j'ai été heureuse. Les tourments étaient nommés. Tout semblait [par ailleurs] harmonieux.

Je n'ai plus le souvenir de nos échanges consécutifs (par SMS ? par mail ? par une lettre en papier ? (3)) ; ni non plus celui de mon apparence d'alors aussi bien générale (portais-je les cheveux courts ? longs ?) que ce jour-là en vêtements (sans doute sagement corporate, ne relevant pas d'un vrai goût personnel). C'était il y a dix-sept ans. Et la force de cette mémoire de l'instant m'impressionne rudement.  

 

(1) France Inter ou France Culture 

(2) Les téléphones portables à l'époque ne servaient qu'à téléphoner. Même pas à prendre des photos. 

(3) Je suis seulement certaine de n'avoir pas téléphoné car la bibliothèque n'était pas un lieu pour le faire et qu'ensuite j'étais directement remonté travailler sans passer par un moment sur le parvis à respirer l'air du dehors. Et le soir après le travail, je cavalais pour retrouver mes enfants, toujours trop tôt pour mon employeur, toujours trop tard pour eux.


Du travail l'ancienne organisation

    

    La remarque d'une amie ce matin sur Twitter qui avait tenté de déposer directement un courrier dans une administration et c'était vue répondre que les courriers il fallait les poster, m'a remis en mémoire l'organisation ancienne du travail telle qu'elle existait encore dans les grandes entreprises au cours des années 80 du siècle passé.

Attention, je ne prétends pas que "C'était mieux avant", car énormément de paramètres ont évolué, et qu'il y avait beaucoup de petits boulots dans lesquels les gens perdaient leur vie à la gagner.

Deux choses à mes yeux étaient mieux :
 -- on n'était pas en sous-effectifs permanents, si la charge de travail était telle qu'il fallait une personne de plus, on la recrutait. Quitte à ce qu'il y ait des périodes creuses (1). Elles étaient généralement consacrées à des taches de fonds que plus personne ne semble prendre en charge nulle part. 
 -- un SMIC permettait de vivre décemment. Une vie modeste à mesurer chaque dépense, certes, mais qui avait un travail à temps plein, se fixait un budget pour les dépenses courantes et le respectait, s'en sortait.

 

Une fois posées ces précisions, voilà ce qui a changé, du moins en grandes entreprises, de plus flagrant : 

Tout le monde n'avait pas un ordinateur sur son bureau. Même dans un service spécialisé en informatique il y avait d'un côté les bureaux (meuble) individuels dans des bureaux (pièces) partagés à 4 ou 5 personnes ; de l'autre des emplacements avec les ordinateurs. Dans le bureau (pièce) lui-même s'il était vaste ou dans un local séparé. On préparait nos programmes au crayon sur des blocs notes on les saisissait au clavier ; on lançait des compils, on corrigeait les erreurs de syntaxes et puis un jour on parvenait à un résultat propre alors on lançait le programme pour de bon, en général la nuit en batch. Et le matin on arrivait le cœur battant pour savoir via de gros listings si le traitement avait bien tourné et quels résultats il avait donné.

Certains hiérarchiques (de vieux messieurs proches de la retraite - oups ! des types de mon âge de maintenant qui pourtant n'en suis pas si près) n'avaient jamais touché un ordi de leur vie, ni même une machine à écrire. Et on respectait leur ferme intention de s'y tenir. 

Il y avait des pools de secrétaires qui s'occupaient de la saisie, de la rédaction, de l'organisation du travail de ces messieurs, photocopies et préparations de correspondances - à l'époque uniquement papier, les messageries électroniques ne faisaient leur timide apparition que dans les interfaces techniques d'exploitation -. Seuls les cadres très supérieurs avaient une secrétaire dédiée. Sinon il y avait par exemple trois secrétaires pour un service de 20 à 25 personnes. Quand sont apparus les premiers traitements de texte sur ordi, les jeunes cadres dont je faisais partie n'ont quasiment plus eu recours aux services des secrétaires. Peu à peu, au début pour faire face à telle ou telle urgence, puis systématiquement, chaque personnes sauf les cadres supérieurs ou les vieux cadres n'a eu recours aux services du pool de secrétaires : on s'est mis à tout faire de A à Z lors d'un projet, photocopies incluses. Très vite ensuite, il n'y a plus eu qu'une seule secrétaire pour un hiérarchique élevé, et dans un rôle d'assistante. 
Et effectivement il n'y avait plus besoin de personne pour gérer les agendas, que l'on avait désormais en ligne avec un équivalent du "google agenda" de maintenant, taper les courriers, préparer les réunions, faire les photocopies, gérer l'économat. Lequel était désormais réduit à une ou deux étagères dans un placard, avec presque jamais ce qu'il fallait. Besoin d'un stylo qui fonctionne bien ? On finissait par se l'acheter soi-même, à ses frais - les cadres un peu supérieurs pouvaient parfois bénéficier d'une note de frais, si la dépense coïncidait avec un événement à organiser -.
La fin des secrétariats a marqué la fin de la convivialité naturelle. Car le secrétariat était le lieu où l'on prenait le café, où l'on venait respirer cinq minutes, confier (et bien souvent dénouer) un conflit. Si l'équipe était bonne et les personnes bien accordées, un temps fou était gagné à sembler en perdre. On se cotisait pour le café, pour quelques gâteaux ; quelqu'un qui n'avait pas d'urgence et envie de prendre l'air filait acheter le nécessaire.

Des distributeurs automatiques ont remplacé tout ça. Pour un coût supérieur, sur le moyen long terme, l'air de rien. On est passé en quelques années d'une cotisation mensuelle conviviale de 5 à 8 FRF, à un budget individuel de 32 € (2 cafés par jour ouvré à 0,80 € le café). Après les lois anti-tabac qui ont contraint les fumeurs à faire des poses à l'extérieur, une convivialité s'est recrée autour des distributeurs automatiques équipant les "zones fumeurs". 

Pour le coup comme je ne fume pas, et que j'ai vraiment souffert durant les années où la norme était de fumer au travail, j'ai été immensément soulagée quand est passée la première loi. Celle-ci obligeait à définir des bureaux fumeurs et d'autres non-fumeurs. Les fumeurs en bureau individuels pouvaient continuer à fumer et je trouvais ça fair-play. 
Un avantage collatéral de la répartition fut qu'on se retrouvait à partager une pièce avec des collègues du service "élargi" ce qui était à tout point de vue profitable : pas de concurrence directe, certains travaux ou thèmes ou domaines de compétences en commun, mais pas tous et des échanges très fructueux : rien de tel que d'évoquer un problème avec quelqu'un qui peut comprendre sans s'y connaître à fond pour trouver une solution. Et on apprenait foule de choses, par capillarité sur des domaines voisins.  
Mais la loi s'est durcie dans le même temps que la folie du tout open-space gagnait chaque entreprise et les fumeurs ont dû sortir des bâtiments pour se soulager. 

J'ai connu l'époque où toutes les personnes qui travaillaient dans une entreprise en étaient salariées et sauf remplacements à durées définies, embauchées via des contrats stables. L'avantage était que les gens se retrouvaient qu'ils le veuille ou non avec davantage de motivation : le sort général les concernait - bonnes ou mauvaises nouvelles -. À part certains tire-au-flan, généralement bien connus, chacun faisait plus que sa simple charge : on était dans le même bateau et on s'entraidait quand quelque chose coinçait. 

Un autre avantage était qu'on pouvait changer de métier en cours de vie professionnelle, sans changer d'entreprise. Les périodes de formation se faisaient sur place, c'était simple et efficace. Mais pas forcément certifié vis-à-vis du monde extérieur.

Il y avait donc entre autres, un service médical, un service courrier, un service sécurité, un service accueil - et qui rendait spontanément de menus services plus tard repris moyennant paiement dans des activités externes de "conciergerie" - , un service entretien, un autre pour les travaux. 

On pouvait donc en ce temps là parfaitement déposer un pli ou un colis à l'accueil, les membres du service courrier effectuaient leur tournée relevaient les réceptions, prenaient en charge le courrier interne, le courrier postal et effectuaient la distribution dans chaque service. Les gens se connaissaient, ils savaient même à qui passer le courrier de l'un en cas d'absence ou de congés, il y avait très peu de pertes et d'erreur d'aiguillage.

Peu à peu le courrier papier s'est amenuisé. Il n'y avait effectivement plus lieu que persiste un complet service courrier. 
Vers l'époque où j'ai quitté l'entreprise (2009) persistait une vague distribution par étages ou par zones, charge à quelqu'un dans chaque service d'aller chercher ce qui le concernait, ainsi que ses collègues. Pas mal de choses disparaissaient. Et puis c'était une configuration reprochante : mes collègues (compétences de bases de données, statistiques, informatique) et moi nous faisions régulièrement reprocher d'y être allés (Ne perdez pas de temps à le faire) ou de n'y être pas allées (C'est quoi ce service où je dois moi-même aller chercher le courrier ! disait une hiérarchique). Et ce fut un peu pareil pour toutes les tâches qu'effectuaient jadis des personnes pour lesquelles ça faisait partie du poste. Il fallait bien que ça se fasse, mais il aurait fallu que personne ne le fasse car nos plannings étaient entre temps sévèrement minutés.

Ces différents services furent supprimés comme on le fait au niveau national pour tous les services publics peu à peu : les niveaux décisionnels constatent que l'activité n'est plus vraiment la même, le service est sur-dimensionné ; sont alors ordonnées des coupes sombres dans les personnels et les budgets. Le service devient de facto sous-dimensionné. Ça dysfonctionne. On leur ordonne alors de se consacrer à leur "cœur de tâches". Une partie du boulot n'est donc plus faite par personne. Mécontentement des secteurs utilisateurs. Proposition d'externalisation de tout ce qu'effectuait le service amputé. Avec parfois vendu comme une merveilleuse amélioration ce qui n'est que la prise en charge de différentes fonctions qu'on leur avait enlevées. 

C'est ainsi que toutes ses recherches d'économies sur les coûts salariaux ont conduit à des gonflements de budgets prestataires et des absurdités d'organisation, comme cet exemple parmi d'autres : vous ne pouvez plus déposer de courrier directement à telle ou telle organisation, parfois même il n'est plus possible d'avoir un interlocuteur au téléphone. Et j'ai même connu un temps où pour des problèmes techniques que l'on résolvait en allant voir le collègue compétent d'un service voisin, nous en étions réduits à appeler une hotline en poireautant entre une touche étoile et un "Tapez dièse". 

Parfois je rêve d'un monde où l'on tenterait de remettre de la rationalité et du bon sens dans les façons de bosser, plutôt qu'une recherche du profit à tout prix. Qui se paie au bout du compte en augmentation des coûts marginaux et de l'invisible mais très réel coût de la démotivation.

 

 

(1) Cela dit, dans la banque où je travaillais, un système intelligent d'horaires variables permettait une certaine souplesse, côté employeur comme côté salarié.


Reprendre le collier

 

    D'une certaine façon en tout cas lorsqu'on est une femme, sportive, mère de famille (et portant la charge mentale de l'administration de la maisonnée), et qu'on anime une émission hebdomadaire sur une radio associative, une période travaillée sous forme de CDD présente certains repos : toutes sortes de choses à faire sont reportées en fin de contrat et ça donne une certaine légèreté ; du moins pour des emplois où l'on vient seconder d'autres personnes et pour lesquels il n'y a pas de tracas ni de travail à terminer à la maison : durant nos heures on bosse à fond mais ensuite on peut débrancher jusqu'au lendemain matin.

La fin de contrat a eu lieu. Me voilà à pied d'œuvre pour non seulement tenter de retrouver au plus vite un emploi, mais aussi en attendant dégager très vite tout ce que j'avais négligé depuis août en fait (1). 

J'ai consacré la matinée à une séance préventive de kiné : me remettre bien le dos en place. Je crois que si j'avais un seul conseil à donner à de plus jeunes ce serait celui-ci : ne gaspillez pas d'argent dans des trucs d'apparences mais offrez-vous plutôt les services d'un kiné régulier, exactement comme les sportifs. Et faites-vous régulièrement masser, comme après une compétition. Une partie de la fatigue s'envolera et les risques de se bloquer quelque chose (faux mouvement ou épuisement) seront bien moindre. Après, c'est un budget. Car la sécurité sociale ne rembourse pas les services d'un praticien préventif. 

Des tickets restaurants à utiliser avant la fin du mois m'ont permis de déjeuner dans une brasserie habituellement trop chère pour moi - mais où j'ai de bons souvenirs et la cuisine y est bonne -. Et elle est idéalement située près de la bibliothèque. Je me souviendrai du sabayon aux fruits frais.

C'était curieux de retrouver les transports parisiens après quasiment deux mois sans dus à la fois à un contrat en proche banlieue et à la grève générale. J'avais en tout cas copieusement oublié à quelle point la publicité - sans m'en rendre compte, parcours Clichy Levallois Neuilly Boulogne, j'avais vécu sans presque croiser de panneaux - nous prenaient pour des imbéciles. Et ça ne m'avait pas, mais alors pas du tout, manqué. 

J'avais prévu de préparer mon émission de mercredi à la BNF, ça ne fut pas une réussite : entre une personne avant moi au contrôle qui refusait de comprendre que la femme qui contrôlait obéissait à des consignes  - venait d'ailleurs de se prendre une observation de la part de hiérarchiques parce qu'elle n'avait pas demandé à un monsieur précédent de mettre son sac dans le bac afin de le glisser tout en le vérifiant -, et ne pouvait donc lui faire la faveur de lui garder en main sa petite monnaie, qu'elle s'attirerait des ennuis si elle le faisait, d'où bref, un retard pour arriver en salle, et une fermeture anticipée avancée (2), je n'ai eu que le temps de ... mettre à jour mon CV et postuler à une annonce. Ce n'est pas du temps perdu mais il ne m'en est pas resté pour autre chose.

Et dès lors, de retour à la maison et comme nous sommes sans doute au bord d'une nouvelle étape importante de notre vie familiale, la dynamique de travail ou démarche m'avait abandonnée. J'avais, au fond, de toutes façons, déjà repris le collier. 

Demain : sport 
(et préparer l'émission, puisqu'aujourd'hui autre chose m'a accaparée)

 

(1) J'ai enchaîné deux contrats forts avec comme seul moment pour reprendre mes forces le festival de cinéma d'Arras, formidable détente, nécessaire dépaysement (via les films) mais fatigue physique à sa façon. 

(2) Il était annoncé par affiches une fermeture anticipée à 17h pour cause de grève, seulement à 16h un message fut diffusé que les salles fermeraient à 16h45.

PS : Comme suite à un échange sur Twitter concernant le départ des Royals de Meghan et Harry, et la part du poids du racisme dans cette décision, j'ai découvert, grâce à Alice, l'art du message brochée. Ça m'a fait la soirée.


Ces derniers temps je pense à Stromae

 

    Ces derniers temps je pense à Stromae, car j'étais tombée sur une interview de lui dans laquelle il répondait à une question sur son burn-out d'il y a 5 ans puis 4 ans. Il y disait en substance que tout était allé trop vite et qu'il avait des pans entiers de ce qu'il avait fait qu'il n'avait pas mémorisé, qu'il avait eu besoin de se poser, d'avoir à nouveau le temps de penser.

Je n'ai rien fait d'exceptionnel pendant tout ce temps, il n'empêche que depuis les attentats de janvier 2015 et alors que j'étais en période de reconstruction après une rupture en 2013 qui m'avait marquée, ainsi que la perte pour raison économiques de mon premier job en librairie, j'ai cette sensation, ce sentiment aussi. J'avais après l'attentat du Bataclan qui avait par ricochets de ricochets volatilisé une sympathique perspective professionnelle qu'alors j'avais, retrouvé du travail, en grande banlieue, et c'était bien et voilà qu'alors que je commençais à refaire surface ma mère était tombée malade. Ça avait été à nouveau un puit sans temps personnel et avec fort chagrin jusqu'à son décès et jusqu'ensuite un an après d'être parvenue à vendre et trier et conserver et vider les meubles et les objets de la maison de mes parents. Le tout sur fond de changement de travail pour un job magnifique mais lourd à tenir et très très prenant ; lui aussi achevé pour raisons économiques. J'ai ensuite enchaîné les remplacements, ce qui est très intense car dans les périodes d'emploi il n'y a aucune routine, rien sur quoi s'appuyer. Du coup là aussi des semaines entières qui quoi que généralement très chouettes (j'ai eu la chance d'œuvrer dans de belles librairies) ne me laissent pas de temps "pour moi". L'an passé je me suis lancée dans un projet de reprise, qui a échoué faute d'avoir assez d'années devant moi et les reins financiers assez solides. Mais j'y avais bossé à fond pendant plusieurs mois. Ainsi qu'à un projet qui s'était présenté juste après. Sur ce j'ai cru avoir trouvé un emploi stable en maison de la presse et ça m'a engloutie pendant presque deux mois avec une amplitude horaire trop grande pour moi (journées de 9h à 9h45 sauf le jeudi passé la rentrée, lequel s'achevait à 13h et je rentrais dormir) et de la pure exécution. J'ai enchaîné juste après le festival d'Arras (formidable cure pour le cerveau mais ça n'est pas reposant physiquement), par le CDD qui vient de s'achever et qui était intense et vraiment intéressant. Mais ne m'a, lui non plus, d'autant qu'avec les grèves le vélotaf fut de 100 %, pas trop laissé de temps. J'y ajoute depuis un an une émission essentiellement littéraire sur une belle radio associative.

La précarité professionnelle a fait que je n'ai guère pris de vraies vacances fors les colos Dotclear : chaque séjour loin de Paris avait une raison active (un colloque, un stage de triathlon, un trail, un triathlon, des travaux en Normandie, à préparer, à effectuer ...). Je ne m'en plains pas, je n'aime rien tant qu'aller quelque part pour quelque chose à faire. Il n'empêche que je commence à éprouver grand besoin de me poser et que de tout ce que j'ai accompli ces cinq dernières années semblent sous le voile d'une mémoire qui n'a pas eu le temps nécessaire pour bien enregistrer tout ce qui s'est passé. Avec l'impression de n'être que pour partie concernée par la personne qui était moi lorsque je les ai traversés. Bref, une vie trop remplie fait qu'on ne la vit qu'à moitié. 

Il va hélas falloir, contraintes financières fortes, risque de chômage non indemnisé, que je retrouve du travail si possible sans tarder. 

Au passage, des nouvelles de Stromae, qui bosse quand même un peu (se mettre en retrait ne signifie pas totalement s'arrêter), il a récemment joué avec Coldplay.

 

Un exemple de mémoire non perdue mais dont le raccrochement (l'indexation ?) s'était égarée : une crue particulièrement forte de la Seine et dont je me souvenais bien, pour les arbres qu'elle mit à terre, le terrain de tennis sur l'Île de La Jatte inondé et le cormoran un dimanche de course à pied rencontré, date, voilà, d'il y a deux ans presque exactement. 

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Petit bilan au débotté de deux mois de vélotaf

J'avais donc un CDD de deux mois situé à une douzaine de kilomètres de mon domicile, avec un tiers du trajet qui une fois trouvé les bonnes pistes ou voies cyclables pouvait être un plaisir. 

Depuis 2007 et les premiers Vélibs je vélotafe régulièrement. Du temps de l'"Usine", comme disait Marie, je faisais souvent les trajets de retour à Vélib et l'aller en transports en commun - trop d'aléas sinon : trouver un vélib, pouvoir le raccrocher -. Ensuite un ami et une amie nous ont donné chacun un vélo qui ne leur servait plus et l'homme de la maison et moi avons pu faire le choix, quand le travail comportait un emplacement où l'on pouvait laisser le vélo sans se le faire voler, de faire les trajets à vélo.

Il n'empêche que pour diverses raisons (entraînements de natation le matin, soirée littéraire ou de radio prévue après, lectures à faire ...) je continuais à utiliser pour au moins la moitié des jours travaillés les transports en commun. La grève forte et persistante m'a amener à utiliser le vélo en exclusivité. J'ai senti le moment de bascule où j'étais à ce point organisée et entraînée que je ne me posais même plus la question des métros existants. 

Il y a un coût à utiliser la bicyclette pour aller travailler. Il ne faut pas croire que c'est gratuit. 

Au début de mon contrat j'ai dû faire réviser l'un des deux vélos, comme suite à une crevaison que j'avais réparée moi-même antérieurement sans parvenir à tout bien réinstaller et resserrer. Il avait d'autres problèmes dus à son âge respectable et le fait d'avoir mal remis ci ou ça les rendaient flagrants. Le deuxième vélo m'a alors été très utile, même si j'ai découvert à cette occasion qu'il y avait un problème sur lui également. À mesure de l'usage, je deviens plus exigeante quant à certains équipements, dont les lumières. Ce qui me paraissait bien suffisant à mes débuts ne me convient plus. Entre autre parce que je suis passée lorsque j'ai travaillé à Houilles et empruntais le chemin le long de la Seine, de "lumières pour être vue", à nécessité de "lumières pour y voir". De plus certaines loupiotes que j'avais acquises à mes débuts sont arrivées en fin de vie. Certaines demandaient à être rechargées trop souvent pour une durée d'utilisation de plus en plus courte. 

J'ai également eu des frais de pompes (celles qui gonflent les chambres à air, pas les chaussures). Une malédiction faisant que je n'ai que rarement dans mon sac celle qui correspond au modèle de valve dont le vélo est équipé. Pour un peu, et même si je me vois mal dans le rôle du méchant voisin, j'aurais l'impression d'être victime de blagues à la Amélie Poulain (sourire).

Sur les deux dernières semaines, j'ai vu Karma Pschitt trois fois malgré qu'il s'agit de VTT avec les pneus ad hoc. La première crevaison fut un pschitt de dessin animé, d'un seul coup le pneu avant à plat. Heureusement à moins de deux kilomètres du boulot. J'ai donc fini en marchant et confié le tracas à un professionnel du quartier dès la pause déjeuner. Il a bien examiné le pneu, retiré un morceau de verre (ou de plexiglass ?) effilé. Et tout bien re-réglé. Joie, car un souci de "tourner pas rond" avait disparu par la même occasion. Las, deux jours plus tard, même problème, loin cette fois. Et ma tentative de résolution par bombe gonflante de dépanage fut un fiasco. Finir en marchant, arriver en retard (1)  retourner sur la pause déj' chez le réparateur. Tomber bien sûr sur quelqu'un d'autre et repayer plein pot. Avec cette fois-ci un pneu neuf car l'ancien était quand même un peu en fin de vie et que je supputais que du verre résiduel était la cause de la nouvelle crevaison. Quatre jours tout bien et au matin alors que je pars travailler, je trouve à nouveau le pneu à plat. Le vélo second a été de toute utilité (2). Au lendemain je suis allée chez le vélociste de mon club de triathlon lequel a en plus de changer une nouvelle fois la chambre à air, rajouté un fond de jante. Bilan de tout ça : 51 € de dépenses (les uns font payer d'un côté la réparation de l'autre la chambre à air, les autres établissent un forfait, mais l'un dans l'autre ça fait 17 € hors changement de pneu). 

Après cette différente manip' et un sympathique re-réglage de freins, pour une raison que j'ignore le "tourner pas rond" est réapparu.

Bref, le fait de vélotafer possède aussi ses inconvénients.

Concernant la sécurité, disons qu'alors que je roule prudemment et m'abstiens de donner de leçon à quiconque - je ne proteste qu'en cas de réel danger, sinon je m'adapte ; et je considère que ceux que je croise ne respecteront pas le code de la route -, j'ai au moins une frayeur par jour quand ça n'est pas une par trajets. Sur la plupart (ouverture de porte sans précaution, doublage en serrant et queue de poisson ...) je suis aguerrie et anticipe assez, mais on est toujours surpris : des demi-tours ou marches arrières intempestives par exemple. La dernière semaine aura été un festival de marches-arrière intempestives, d'ailleurs. Comme si un virus s'était répandu.

Je n'ai pas eu trop de tracas avec les conducteurs de scooters, pas cette fois. Un ou deux m'ont même laissé le passage. Bon, ils squattent les sas vélo mais si j'ai la place de me mettre à côté, ça va.

Ces derniers sont de plus en plus respectés par les automobilistes, de même que le fait de laisser sur la droite aux feux rouges un espace pour passer. J'ai même eu la surprise à Neuilly qui n'est pas vélo-friendly alors que ça pourrait être une ville aux pistes cyclables merveilleuses, de constater que des automobilistes laissaient une marge pour les vélos aux feux sans que rien au sol ne soit dessiné. 
D'avoir circulé tous les jours travaillés m'a rendue consciente que les sas vélos avaient également une forte utilité respiratoire. Certains jours, alors que je n'ai pas été enrhumée, j'avais le nez qui coulait, les yeux qui pleuraient et une toux persistante comme si j'étais quelqu'un qui fumait. Être pendant plusieurs minutes derrières des véhicules à moteur dont les engins continuent de tourner et qui t'envoient leur fumée de redémarrage en pleine tête, a des effets immédiats.  

Il m'aura fallu environ deux semaines pour trouver les trajets optimaux : sécurité maximale et tronçons avec bonheur de circuler + ne pas non plus faire trop de détours. J'essaie aussi en tant que gauchère qui a du mal à lâcher le guidon de cette main-là d'éviter un maximum les "tourne-à-gauche" dangereux. 

J'ai eu des moments magnifiques (croiser deux paons dans le bois, un cheval, quelques mésanges un jour de temps doux), d'autres heureux (croiser mes ami·e·s de club qui s'entraînaient). Au bout du compte ma montre a enregistré 903,21 km parcourus ; ce qui est sans doute légèrement en dessous de la réalité. Un site de simulation m'a permis de calculer que ça ferait un budget de 90 € pour une voiture à essence moyenne. C'est toujours ça de pollution et de dépenses en moins.

Et si en ce premier dimanche sans semaine travaillée à la suite, je me sens bien fatiguée (le travail y entre aussi pour beaucoup), je sens bien que ma condition physique a continué à s'améliorer du fait même de cette pratique quotidienne.

 

(1) Je prévois toujours une marge, elle a été engloutie dans la marche et 12 minutes de plus.

(2) Je sais réparer mais lentement et en ne remontant pas toujours très bien ; or il fallait filer au travail.

 


Si triste si prévisible (un accident mortel porte de Clichy)

 

    Depuis environ cinq ans, la porte de Clichy est en travaux (Tribunal de Paris, prolongement ligne 14, réaménagement passage sous périph). Ça change tout le temps, les passages et les feux, pour les véhicules avec et sans moteurs jusqu'aux piétons. À vélo, ou j'imagine sur une trottinette, c'est le pire des cas : à certaines périodes on ne sait où passer, on ne sait où l'on est censé·e·s passer. Plus d'une fois à vélo ou vélib, il m'est arrivé de descendre et marcher vélo à la main parce que je ne voyais pas comment faire sans me mettre en danger.

Ce matin alors que je sortais de chez moi, un peu tendue par une nouvelle crevaison constatée et le fait d'être sans marge pour arriver au travail en plus que d'avoir du coup le vélo qui normalement sert à l'homme de la maison (et n'est pas exactement à ma taille, même si c'est jouable, et a un tracas de roulements usés roue arrière), je me suis aussitôt rendue compte que quelque chose n'était pas comme à l'ordinaire. 

J'avais entendu de ma cuisine, encore plus de coups de klaxon que les autres jours [comme la porte est perpétuellement saturée et qu'en ce moment : davantage de circulation avec les grèves + travaux vraiment lourds sous le périph., c'est chaque jours un blocage presque complet aux heures de transhumances domiciles / travails et retours]. 

Et là, jusque dans ma rue, c'était une longue file de véhicules quand même globalement plus silencieux que d'ordinaire les longues files de véhicules ; et au bout de l'avenue des policiers qui prenaient le temps de parler aux conducteurs. Lesquels alors tentaient de reculer calmement.

Je me suis alors dit qu'il devait se passer quelque chose de particulier au tribunal, entre procès particulier, manifestation y afférente ou alerte de sécurité (1).

Puis j'ai eu ma journée de travail, sans réelle pause déjeuner car l'heure fut consacrée à mes ennuis mécaniques, et deux trajets plus fatigants car avec le vélo second et une vague appréhension que les pneus se dégonflent l'un ou l'autre à chaque instant. Tomber deux fois à plat en moins d'une semaine et retrouver un pneu à plat un des matins suivants, ça finit par rendre nerveuse. J'avais donc totalement oublié l'étrange situation de circulation du matin, à l'heure tardive où après m'être débrouillée pour avoir de quoi dîner, puis être redescendue tenter de voir ce que je pouvais faire pour le pneu dégonflé, j'ai ouvert mon ordi et ma TL Twitter. 

C'est alors que j'y ai lu cet article du Parisien, et compris. L'endroit si dangereux où ont lieu les travaux a été lieu d'un accident mortel, un cycliste écrasé par un poids lourds dont le conducteur n'avait sans doute rien vu à cause de l'angle mort cabine combiné avec le fait qu'il devait être concentré à éviter les plots pour travaux. On peut imaginer que le cycliste ignorait qu'il n'était pas visible et a cru qu'il avait le temps de passer. 

Cette nouvelle m'a rendu triste ; triste pour eux tous et leurs proches. Sans doute parce qu'elle était si prévisible. Sans doute parce qu'en tant que cycliste je sais qu'on n'est jamais à l'abri. Sans doute aussi parce que c'était un cran plus rude d'avoir assisté directement aux conséquences des heures d'après, sans avoir su et de piger seulement après coup. Ça ne change rien à l'accident lui-même ; au sort malheureux de ses protagonistes. C'est simplement qu'il prend ainsi davantage de poids de réalité. Ou que je peux encore moins m'empêcher d'imaginer ce qui s'est produit.

Pensées pour les personnes directement concernées. Peut-être que des mesures auraient dû être prises en amont d'interdire la circulation pendant cette phase particulièrement envahissante des travaux. 

 

(1) C'est déjà arrivé.


L'émancipation confisquée

 

    Très beau texte ce soir sur un des blogs de Médiapart. Il est signé d'Élise Thiébaut, et témoigne, ô combien, de l'ambiance d'une époque. C'est difficile à faire comprendre, cette libération en fait confisquée.

Je ne vivais pas dans le même milieu social. Les hommes se contentaient vers là où j'habitais, de trop boire et frapper, de commettre de minables infidélités avec de jeunes collègues leur faisant miroiter de l'avancement ou au contraire des ennuis si elles se montraient trop farouches. Les séparations étaient encore rares. Les vies comme leurs excès étaient délimitées par le travail qui alors ne manquait pas.
Nous devions pour autant très jeunes nous méfier d'éventuels débordements, et par ailleurs supporter jusqu'à trouver normal - les pauvres ils ont besoin de ça - les posters de pin-up dénudées et autres calendriers de femmes aux poses vulgaires, supporter leurs plaisanteries salaces et leurs rires gras, supporter de voir nos bons copains y céder à leur tour en abordant l'adolescence, eux que l'on croyait plus sensibles, moins grossiers, plus évolués que leurs grands-frères et leur père. Les adultes fumaient et à table buvaient du vin et les hommes adultes parlaient de cul, ça les délassait. J'ai tellement grandi dans un monde où l'on n'y pouvait rien changer qu'au fond j'en ai conçu très jeune un sentiment de supériorité : les hommes étaient dans l'ensemble plus costauds et plus rapides à la course à pied, mais globalement très gouvernés par leur corps et leurs pulsions bagarreuses. Comme j'ai eu la chance d'en rencontrer quelques-uns dont de vrais amis qui avaient un bon fond et faisaient un effort pour rester classe quoi qu'ils aient pu éprouver comme pulsions, je ne suis pas devenue misandre, mais j'ai été équipée très tôt d'une sorte de tendresse condescendante. Ce n'est qu'avec les récents développements, et #MeToo et la découverte que c'était si général les situations d'abus, et non le fait de rares types qui maîtrisaient encore moins que les autres leurs envies, que j'en ai pris conscience.
Et conscience aussi que ça n'était pas normal, cet univers sans arrêt sexualisé qu'ils nous imposaient. 

Je crois aussi que nous étions surtout concentrée sur notre émancipation, avoir enfin le droit de faire ce que nous voulions (sorties, travail, voyages ...) pour en plus tenter de les changer. L'idée (informulée, du moins chez les très jeunes dont j'étais) était : faites ce que vous voulez avec vos calendriers, vos vieux fantasmes de mal configurés, mais laissez-nous faire ce qu'on veut. Et c'était si peu évident, un peu de liberté, si nouveau, qu'au fond on se sentait déjà chanceuses. L'accès à la contraception était si récent, on ressentait comme un miracle d'avoir enfin le choix. Et il y eut quelques années, entre cette libération et le début des ravages du SIDA, où tout semblait léger, rien ne pouvait avoir de conséquences graves. Ceux qui avaient des tendances prédatrices se sont glissés dans cette insouciance, doublée de la méconnaissance des conséquences pour les jeunes victimes, alors fort peu perçues comme telles. 

Je suis contente que les choses évoluent. Et me rends compte que bien des choses que nous acceptions n'étaient pas respectueuses ni normales, et que beaucoup aimeraient pourtant qu'elles perdurent.