Neufchâteau, dix ans après
16 juillet 2019
L'homme de la maison s'était pris d'une soudaine envie de déjeuner à Bastogne, ville que nous ne connaissions que du nom de la classique cycliste qui la concerne.
De là, et puisque nous souhaitions gagner Charleville Mézières en musardant par les Ardennes, et que j'ai un attachement littéraire à passer par Nouzonville, il s'est trouvé que passer par Neufchâteau devenait un chemin logique.
Il y a dix ans, alors que je m'étais libérée depuis le mois d'avril d'un contrat de travail qui m'avait tant pesé les dernières années, et que j'entamais ma reconversion comme libraire, mais ne faisais qu'écrire après tant et tant et tant d'années d'en avoir été empêchée, et cinq années de savoir que c'était ça que je devais faire, je m'étais inscrite à un atelier d'écriture oulipien animé par Hervé Le Tellier.
Il se déroulait dans cette ville et durait une semaine. Le prix était abordable. Le fait qu'il ait lieu en Belgique que j'ai depuis mes 19 ans ressenti comme mon pays de cœur était un plus. Il y avait toutes sortes de stages au même moment, ça rendait la ville animée. Pour me loger j'avais trouvé un kot, pratique, près du centre, loué par une dame fort courtoise.
J'avais un petit tracas de santé, mais qui se révéla bénin, et n'étais pas tout à fait remise du très grand épuisement d'après ma "libération", dû au fait que je m'étais forcée pour tenir le coup au travail pendant un nombre important d'années et à la brutalité de la fin - une hiérarchique avait fait une crise d'hystérie, peut-être parce que je résistais calmement à son fonctionnement à la limite du harcèlement ; je suis partie un soir en ayant décidé pour éviter que ça ne dégénère de ne plus remettre les pieds à ce travail-là -. Je n'aimais pas la personne violente que j'avais entrevue. Ce stage aura sans doute fait beaucoup à ma remise sur pied, merci Hervé et merci aux co-stagiaires avec lesquel·le·s j'ai partagé ces journées.
C'était donc un peu curieux de retourner sans préméditation ni sans l'avoir souhaité sur les lieux où j'avais été heureuse, une semaine, dix ans plus tôt. Les périodes heureuses de ma vie sont relativement éparses : le plus souvent ma famille et moi sommes sur le pont pour faire face à des difficultés, pas des pires, mais entre maladies et péripéties d'emplois (et donc d'argent) les temps épargnés ne sont pas majorité.
Alors ce fut plutôt heureux, ces quelques pas à deux dans cette ville et d'y boire un coup.
Un supermarché s'est déplacé vers une artère plus passante. L'ancien lieu abrite des entrepôts. J'ai bien retrouvé ici un restaurant (dont le nom a changé), là et là des cafés, la placette principale lieu d'une "tentative d'épuisement d'un lieu" à la Perec, l'Athénée, le logis étudiant mais sans plus me souvenir précisément de la porte sur une enfilade de semblables maisons, et les lieux de cours, ainsi que le lycée un peu à l'écart d'où nous avions vu un beau feu d'artifice au soir de la fête nationale belge.
Très étrangement, ce qui manque à ma mémoire en mode "trou noir" n'est que le lieu des repas dont j'ai un souvenir purement "intérieur" d'un accès et d'un réfectoire de type restau U. Mais plus aucune idée de là où il se trouvait dans la petite ville.
Ça n'était pas l'heure de mener l'enquête. J'étais plutôt heureuse de me replonger dans les temps de la moi d'il y avait dix ans, même si j'ai dû changer, car les circonstances extérieures furent un peu rudes dans l'ensemble, et que quelqu'un me manque, quelqu'un en qui je croyais. Ou ne me manque plus vraiment, la page est tournée, mais a laissé un vide.
Comme souvent je me suis souvenue avant tout des conversations. Salut aux ami·e·s de ce temps.
PS : Comme le stage était consacré à l'écriture j'avais peu écrit sur le stage lui-même. Il en reste quelques traces cependant. Le blog comme soutien de notre propre mémoire.