Un heureux voyage en train
25 novembre 2018
Téléchargement 20181124_114947 (explications quand j'en aurais le temps, ou peut-être pas) et jolie rencontre avec Gaëlle (de Sport santé au quotidien) et par ailleurs Élodie Alexandre
Téléchargement 20181124_114947 (explications quand j'en aurais le temps, ou peut-être pas) et jolie rencontre avec Gaëlle (de Sport santé au quotidien) et par ailleurs Élodie Alexandre
Depuis quelques temps je m'efforce de suivre l'émission de fin d'après-midi "LSD la série documentaire" de Perrine Kervan sur France Culture, dont les enquêtes disent beaucoup de nos vies d'aujourd'hui, en laissant, me semble-t-il respectueusement, la parole aux gens "qui font".
Celle de cette semaine qui reprend, si j'ai bien compris, un travail antérieur, portait sur le travail de la police scientifique à Paris et ses alentours.
J'ai cru écouter d'abord comme lectrice et autrice potentielle de polars, et très vite j'ai été captivée comme on peut l'être avec presque n'importe quels métiers dont le quotidien concret nous était étranger. Toutes celles et ceux qui témoignent sont impressionnant•e•s de calme, s'efforçant d'expliquer de sur une scène de crime ou d'accidents ou de catastrophes, lorsqu'ils doivent prendre en charge des cadavres techniquement, c'est le boulot qui prime, la concentration, qu'il faut cloisonner, éviter de songer à l'humain vivant que fut la dépouille. Plusieurs répètent, c'est le travail, c'est comme ça. On n'est pas des héros, vous savez on s'habitue. Et puis il y a ceux qui n'ont pas de tracas à s'occuper des carcasses mais ne sauraient faire face aux proches, celle qui en revanche parvient à mettre la compassion de côté et se met en écoute attentive pour parler aux familles lors de la collecte d'éléments pour aider aux identifications.
Il est question aussi du cadavre de trop, le moment, différent pour chacun où la distanciation professionnelle ne tient plus et qui signifie que l'on doit changer de poste avant que d'être moins efficaces ou se laisser dévorer - comme quoi ça n'était pas si facile, en fait, ces métiers -.
Et puis il y a cette émission particulière dédiée au travail consécutif aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Surtout n'allez pas l'écouter si vous ne vous en sentez pas le courage. Mais si vous le pouvez, d'une façon terrible, ça fait du bien : même s'il y eut des cafouillages - dus à des ordres et contrordres et délimitations de périmètres d'interventions pas assez nettes, en haut lieu ; ainsi qu'au fait qu'on n'avait jamais eu tant de victimes d'un seul coup à Paris depuis les combats de la Libération (1) -, les professionnels de la police scientifiques ont fait un boulot énorme et qui force l'admiration. En particulier la façon dont comprenant qu'il se passait quelque chose, quelques-uns étant au Stade de France à suivre le match de foot de ce soir-là, avant même de recevoir des ordres ils s'étaient déjà mis en contact avec leur service et s'étaient avertis. Et puis les heures de travail sans relâche qu'elles et ils se sont enfilées. Une femme témoigne qu'elle fut loin de chez elle pendant 10 jours après un bref repos le samedi après-midi. Il y a aussi celui qui pendant des semaines a eu pour tâche d'analyser l'enregistrement audio qui du fait qu'il s'agissait au Bataclan au départ d'un concert est devenu celui de la tuerie. C'est particulièrement intéressant et impressionnant ce qu'il dit.
La question est également abordée du surcroît de travail consécutif pendant plusieurs mois dû non pas tant aux tâches directes mais à tout ce qui n'avait pas pu être traité d'autre de l'activité d'en temps normal et qui s'était accumulée.
Et puis toutes et tous, d'insister, je n'ai fait que mon travail. De toutes façons il fallait bien le faire, on l'a fait. Grande gratitude envers eux.
À retenir pour le cas de prochaines attaques, éviter de tenter de joindre la personne pour la vie de laquelle on s'inquiète, ça peut risquer de la signaler aux agresseurs si elle est encore vivante à ce cacher. Et puis en cas plus tard de non réponse envoyer un SMS indiquant Ce téléphone appartient à ... , notre identité, ce qu'on est pour la victime potentielle, et comment nous joindre.
PS : écoute fortement conseillées à toutes celles et ceux qui écrivent des polars ou des scénarii de séries policières.
(1) Et aussi que jusqu'à présent les plans d'urgence en cas d'attentats étaient orientés "attentats à la bombe", car ce type d'attaques où les gens se font tirer dessus puis les terroristes se font exploser n'avait pas en France encore de précédent.
C'est Samantdi qui a partagé le lien sur Twitter ces jours-ci. J'ai commencé à lire c'est passionnant et souvent drôle (ou du moins drôle pour nous de maintenant avec ce que des uns et des autres nous savons). Bref, c'est la correspondance à Victor.
C'était LA grande sortie du dimanche de mon enfance, pas très souvent, car il fallait venir de la banlieue exprès et que ça coûtait cher (chaque manège, chaque attraction sauf le Guignol si mes souvenirs sont bons était payante séparément en plus d'un ticket d'entrée qui lui était modique).
Je me souviens fort bien des manèges représentés, moins des ours. Il y avait aussi des poneys que l'on pouvait monter, c'était ça mon bonheur. Les toboggans étaient en bois, c'était mieux d'être en pantalon, gare aux échardes sinon. Il y avait aussi un labyrinthe de glaces.
Le hic c'est que quand j'ai eu l'âge enfin de participer aux "vraies" attractions (comme les voitures que l'on voit avec des pré-adolescents), nous avions cessé d'y aller, la sortie étant devenue trop coûteuse et ma petite sœur moins intéressée que moi à son âge.
Je me souviens d'y être retournée en 1988 avec mes enfants via une organisation du Comité d'Entreprise de la banque, à l'occasion d'une éclipse de soleil qui tombait un midi de semaine. Nous n'avions pas vus grand chose car le temps était nuageux, mais un moment de quasi-nuit et le silence soudain des oiseaux, et puis d'être brièvement avec les enfants au lieu d'au travail, c'était bien.
En cet automne je goûte enfin quelque chose qui m'aura manqué jeune, alors que je crois, thalassémie ou pas (que j'ignorais que j'avais, de toutes façons ; tout comme j'ignorais que ça rendait les choses socialement différentes de n'être pas un garçon), que j'avais un réel goût pour ces efforts-là, à défaut d'avoir les capacités physiques assorties : mener une vie axée sur les entraînements, prioritaires dans l'emploi du temps, je ne peux pas j'ai piscine.
À cause de mon âge et des autres contraintes de la vie, je travaille sur la régularité, sans trop forcer, l'idée est d'être en meilleure forme et non de s'épuiser ou se blesser.
Je sais que je n'atteindrai jamais un haut niveau. En revanche j'aimerais avoir le temps de voir jusqu'où ce bon vieux petit corps féminin peut aller.
Il y a déjà un réel bonheur à se sentir de plus en plus capable et que les épuisements douloureux d'hier soient des entraînements courants d'aujourd'hui. La difficulté consiste à caser les plages de récupération dans une vie active normale. On verra ce que ça donne dans les mois à venir.
En attendant je m'instruis en regardant des vidéos sur le quotidien des athlètes de haut niveau. Aujourd'hui sur Zane Robertson parti vivre et s'entraîner depuis bientôt dix ans au Kenya avec son frère Jake.
D'autres jours avec la fameuse Team Ingebrigtsen previously on Norvegian Tracks mais qui a disparu, sans doute pour des problèmes de droits (il va falloir que j'aille vivre en Norvège pour pouvoir suivre la suite, je crois).
Ça manque un peu de documentation sur le quotidien des femmes athlètes de haut niveau, mais peut-être n'ai-je pas encore exploré assez.
Réveillée entre autre par le journal d'informations de 6h30 sur France Culture et où la voix qui doublait Trump (à partir de 6'13") bien timbrée et comme triste, de quelqu'un de cultivé, donnait presque l'impression qu'il n'enfilait pas des horreurs à l'emporte-pièce comme à son ordinaire.
À ce point c'était impressionnant.
Dans la même journée lu / écouté ceci au sujet des règles qui gênent les chanteuses lyriques. Je n'ai jamais pensé que ça pouvait influer comme ça. À mon faible niveau d'amateure le temps que je pratiquais (1), ça influait en terme de fatigue (les 2 jours avant et les 2 jours du début), sans doute à cause de mon anémie ; de petites maladies aussi, puisque ces jours de relative faiblesse étaient ceux de choper des rhumes, qui ne sont pas les grands amis de la voix chantée. J'ignorais qu'il y eût un effet sur la teneur de la voix elle-même.
Et pour finir, la voix de Jacques Brel, cet affreux misogyne (2), cependant si poète, et zbeul émouvant.
(1) interrompue par ce que les horaires d'une #VieDeLibraire sont peu compatibles avec des répétitions de chorales et que les cours de chant classique n'étaient abordables que tant que je bossais à l'"Usine" et qu'ils étaient pour partie financés par le comité d'entreprise.
(2) Tiens, comme Simenon, assez.
C'est ce pouët de Nate Cull qui m'y a fait songer : en fait notre époque est en train de donner raison à mes convictions enfantines, que les adultes ou les autres enfants s'étaient empressées de balayer d'un revers de main, d'une contrainte d'autorité, d'un ricanement.
Je me souviens très bien petite d'avoir tenté de lutter pour mon alimentation, avec des arguments qui, sauf concernant la préservation de la planète car comment aurais-je pu savoir que les élevages tourneraient à ce point ignoble d'industrialisation, étaient ceux des végans de maintenant. Je n'avais pas les mots, à peine les arguments, Mais comment on peut manger des mammifères comme nous ? Mais le lait de la vache il n'était pas pour le veau ? ... et tout ce que j'ai réussi à faire c'est à ne pas me laisser imposer de manger du cheval (repas refusé alors que j'avais faim). C'était inaudible de la part d'adultes qui avaient soufferts de la faim enfants ou adolescents pendant la guerre, de la part de parents si fiers de pouvoir fournir des repas carnés au lieu de seulement le dimanche et de la soupe sinon, et dans mon cas comme j'étais réputée anémiée (1), on finissait de toutes façons par m'obliger, au nom de ma faible santé.
Je me souviens très bien, un peu plus grande, d'avoir été sensible au risque nucléaire (2), si j'avais été libre de mes mouvements je serai allée manifester à Flamanville et j'ai enquiquiné pas mal d'adultes pour qu'ils signent une pétition contre l'implantation d'une centrale à Plogoff (3), cette dernière protestation fut finalement victorieuse, quand je me rends au Guilvinec je me sens fiérote de la moi ado. [comme si ma si petite et limitée mobilisation avait été décisive, t'as qu'à croire].
Je me souviens qu'à la rentrée de septembre 1976 nous avions eu comme sujet de rédaction "Racontez un événement qui vous a marqué cet été", et que j'avais évoqué la catastrophe de Seveso, j'étais bien la seule. Je crois que j'avais eu une bonne note mais avec une remarque de la prof perplexe, qui n'avait pas songé qu'on puisse trouver marquant un événement général ; elle avait pensé que l'on parlerait de nos vies. Nous devions être deux ou trois dans ce cas, les autres ayant été marqués par des événements sportifs ou musicaux ou quelque chose de type mariage princier. J'étais en grogne permanente contre les avions qui polluaient l'air avec leur kérosène, il faut dire qu'avec Roissy tout proche il nous en passait beaucoup au dessus et une chieuse de l'empêchage des autres de jeter n'importe quoi n'importe où - c'était une époque où dans la rue, les gens jetaient par terre sans trop de scrupules qui un papier, qui un mouchoir de type kleenex, c'était récent, il n'y avait pas d'usage déterminé (4). Pour les mégots, la question ne se posait même pas, c'est intéressant qu'elle commence à poindre seulement ces dernières années, je crois que c'est parce qu'on supposait que le mégot c'était du tabac, un truc organique qui se dissoudrait. Contre l'usage de la voiture, je n'étais, en revanche, pas mobilisée : il y avait un conflit de loyauté vis-à-vis de mon père qui bossait dans une usine de construction automobile à Poissy, si l'usage se réduisait il pourrait perdre son travail. Je me bornais à me désolidariser des promenades du dimanche en voiture pour seulement se promener le dimanche en voiture, grande distraction des petites familles dont les chefs de famille avaient grandi lors d'un temps où avoir une bagnole était un suprême life achievement. On commençait tout juste à concevoir que fumer ne faisait pas de bien aux poumons de la personne qui le faisait, et que vraiment quand il y avait un embouteillage, l'air faisait tousser. Mais de là à penser à la tabagie passive et au fait que le petit pot d'échappement de ta petite voiture crachait l'encrassage des poumons du passant, il y avait un gouffre d'ignorance confortable.
En revanche nous étions très conscients que si l'humanité continuait à proliférer à la même vitesse, les ressources de la planète s'épuiseraient. Seulement les progrès avaient été si fulgurant lors des trente dernières années que l'on faisait une confiance éperdue en "les savants du futur" qui sauraient nous sortir de là, on mangerait des trucs en pastilles comme les cosmonautes dans leurs fusées.
Enfin je me souviens que Le président Carter (5), dans ses efforts, n'avait pas été pris très au sérieux - quand on pense quel président finalement fort décent il avait été quand on voit ce qui est maintenant au poste qu'il occupa -. Pour ma part à seize ans, je me rassurais en me disant vaguement que s'il allait faire plus chaud on allait moins utiliser de mazout de chauffage et que donc ça ralentirait qu'il fasse plus chaud. Et puis que la France se retrouve potentiellement avec le climat de l'Italie, je trouvais ça plutôt chouette comme perspective, en fait.
À part ce point d'optimisme juvénile, je me rends compte que l'époque et l'évolution de la situation ont rattrapé mes objections enfantines ou adolescentes, et j'avoue que c'est terrifiant. Je suis si triste d'avoir eu jadis raison.
Quant aux savants capables de nous tirer d'affaire, même si la technologie a progressé plus encore que dans nos imaginations les plus débridées, rien n'a changé, on les attend.
(1) Je l'étais, mais plus sérieusement encore que ce que l'on croyait
(2) À 12 ou 13 ans je suis tombée en vocation sur tout ce qui concernait les atomes, un an après la relativité et au lycée la physique quantique.
(3) Un résumé des luttes de l'époque qui me semble correspondre assez bien aux souvenirs que j'en ai par ici.
(4) On a pu observer la même chose avec les téléphones portables, les premiers temps les gens faisaient n'importe quoi car pour beaucoup s'il n'y a pas un code auquel se conformer, c'est leur confort personnel sans gêne qui l'emporte.
(5) J'ignore pourquoi mais on disait Nixon, puis Reagan, et les Bush furent père ou fils mais Carter c'était Président Carter, de même que Kennedy, c'était plus souvent Président Kennedy que Kennedy tout court.
Les salariés doivent désormais s’investir positivement dans leur travail. L’autorité ne se satisfait plus qu’ils se laissent enfermer dans des paramètres coercitifs : ils doivent les épouser frénétiquement et en faire authentiquement un objet de désir. » Dans son enquête sur l’évaluation dans l’entreprise, publiée chez Éres sous le titre Le travail, au delà de l’évaluation, Damien Collard étudie les cas des personnels au contact du public à la SNCF, dans une préfecture, ou encore le labyrinthe de l’évaluation des enseignants-chercheurs. Entre déni du travail et imposition de « normes de service » souvent absurdes, c’est la dissolution du salarié dans sa conscience de bien faire qui semble programmée.
Jacques Munier dans sa chronique de ce matin sur France-Culture.
Je me souviens d'avoir vu cette tendance arriver : entre une époque où le travail est ce qu'il est, et où l'on demande certes aux gens d'être motivés mais dès lors qu'il est fait - et ce qu'on demande reste faisable - on leur fout la paix : d'une part sur leur vie privée, tant que tu respectes les horaires et arrives opérationnel, d'autre part sur leurs façons d'être - il suffit d'être correct et d'allure et de comportement - ; et une période où le management commence à s'immiscer, des objectifs commencent à être fixés qui ne relèvent pas du travail à effectuer, et ne sont pas mis en cohérence avec des moyens pour le faire, les horaires tendent à devenir sans limites (et sans paiement d'heures supplémentaires) on demande aux gens un savoir être et non plus un savoir faire, on n'a plus le droit de ne rien opposer, comme dans une dictature, avoir l'air réjoui de tout et n'importe quoi devient obligatoire sous peine d'être taxé de "non-implication". Pendant ce temps par rapport au coût de la vie réel, les salaires diminuent, et l'ancienneté n'est pas reconnue, au contraire, elle devient un facteur de moindre considération - vous êtes là depuis trop longtemps, soupçons d'être peu adaptables -.
Longtemps je suis parvenue à survivre sans compromettre mon intégrité, mais je n'ai rien pu faire quant à organiser une résistance, tant de gens semblaient ravis de courber l'échine, ou paraissaient avoir des vies personnelles si réduites que peu leur importait que le travail structure tout, s'immisce partout. Ou alors ils étaient doués pour faire semblant de s'en satisfaire.
Je ne savais faire semblant de rien du tout, dès que j'ai pu le faire sans que ma petite famille ne risque d'être à la rue, je suis partie.
Seulement voilà, tout le monde ne peut en faire autant. Il serait peut-être temps que l'on en revienne à des formes plus simples d'engagements professionnels, que les exigences concernent à nouveau les tâches à accomplir, les missions à remplir mais qu'on laisse les gens libres de les remplir au mieux à leur façon et sans intrusion.
PS : Par ailleurs un intéressant billet de blog chez Le Monolecte sur ce que le mouvement des automobilistes en colère dit éventuellement de l'état de notre société.
Voilà, les attentats de Paris, au Stade de France, aux terrasses de restaurants et café, ainsi qu'au Bataclan, ça fait trois ans. Déjà et seulement.
Le temps a dû paraître bien long aux proches des victimes, aux survivants blessés, et la vie bien difficile. Je pense à elles, je pense à eux, très fort. Et plus particulièrement aux enfants qui grandissent dans l'absence d'un (ou deux) parent(s).
Comme ma famille et moi avons eu la chance de n'être pas directement concernées - ma fille et moi connaissions des personnes, qui au Bataclan qui aux restaurants voisins des terrasses visées, toutes et tous s'en sont sorti•e•s -, il a au contraire filé.
D'autant plus qu'il s'est agi d'années particulièrement chargées : j'ai occupé deux emplois, heureuse à chaque fois, même si la fin du second, à caractère économique, me rend triste. J'ai travaillé d'arrache-pied et je suis contente d'y être arrivée ; je me sais désormais capable de prendre en charge une petite entreprise que je pourrais créer. Ma mère, âgée, est tombé gravement malade et est morte. Il m'a fallu une année de travail sur chaque jour libre pour parvenir à organiser la succession - vendre un pavillon, prendre à ma charge en l'acquérant celle de Normandie, trier puis déménager les affaires de mes parents -. Nous avons traversé un épisode de vols récurrents par un voisin en déshérence sur la petite maison normande et compte tenu de la période (deuil) ce fut particulièrement éprouvant (et insidieusement coûteux). Je suis, même si à très bas niveau pour le moment, devenue triathlète. Ça m'a fait un bien fou.
J'ai entendu lors de la chronique de Jacques Munier sur France Culture ce matin que des travaux sociologiques étaient en cours sur les conséquences à moyen-long terme sur un ensemble de personnes concernées à divers degrés.
Il est donc peut-être temps, et puisque saisie par le festival de cinéma d'Arras pour les 13 novembre 2016 et 2017 au point de n'avoir pas eu le temps d'écrire de billets, que je revienne sur mes souvenirs.
J'avais pris soin à l'époque de noter tout ce que je pouvais, y compris ce qui me paraissait anecdotique, car j'avais assez d'expérience de la vie pour savoir que plus tard, ça serait intéressant à relire précisément pour ces aspects-là. Je me souviens d'avoir lutté contre le sommeil afin de compiler mes notes et les publier.
Car une des conséquences de ces attentats-là qui intervenaient alors même que je commençais à refaire surface après la douleur et le deuil causés par celui du 7 janvier, fut de me plonger dans des états à la limite de la narcolepsie. Je suis une forte dormeuse et capable depuis longtemps de siestes perlées. Et je tombais de sommeil au sens littéral presque chaque soir à peine couchée. Seulement après cette année 2015 si violente, j'étais tombée dans des tombés de sommeil irrépressibles et soudain aussi diurnes que nocturnes. J'en étais venue à effectuer des mini-siestes de précaution comme on fait des pipi de précaution avant d'entreprendre un trajet ou assister à un spectacle. Il fut même effectuée une recherche d'apnées du sommeil éventuel. Laquelle n'avait rien donné. Je ne suis sortie de cette galère qu'au printemps 2017. Le côté "sans voir venir" a presque disparu en journée, fors à savoir que je suis dans un jour "off" où je peux me permettre le luxe d'une vraie sieste.
Juste avant de partir au festival de cinéma d'Arras, j'avais passé un entretien pour un travail dans une agence de communication pour la partie traitement des photos, je devais deux jours par semaine assister une personne chargée de l'ensemble du département. Nous étions tombée en excellent accord, restait à se revoir pour confirmation, contrat, modalités pratiques. Cet emploi payé autant que celui de libraire pour un nombre d'heures plus importants, aurait pu me permettre d'écrire sur les cinq jours par semaine restants.
L'agence était, est sans doute encore, dans le quartier du Bataclan et la personne que j'aurais dû assister était au concert des Eagle of Death Metal. Elle s'en est sortie sans blessure physique mais sans pouvoir reprendre le travail puis seulement à temps réduit. L'entreprise s'est réorganisée qui comportait des antennes dans d'autres villes, et le poste que j'aurais pu occuper s'est évanoui, devenu sans objet.
Ça m'aura permis de rester libraire, ce que je ne regrette pas. Adieu le temps consacré à l'écriture, encore une fois. Bonjour le renforcement féroce du syndrome de George Bailey.
Ma crainte des attentats n'est ni plus grande, ni bien sûr plus faible : elle existe en moi depuis qu'enfant j'ai séjourné chaque été dans une Italie en proie à la violence des années de plomb. Une bombe qui explose dans un lieu public faisait partie des risques inhérents à la vie en ville.
Les séries successives d'attentats à Paris (1986 et 1995 au moins), n'ont fait que renforcer cette certitude. C'est ainsi.
Ce qui est pire à présent et depuis le 9/11 c'est qu'on sait que ceux qui tuent sont prêts à mourir, et à utiliser tout moyen pour parvenir à leurs fins de faire un maximum de victimes civiles visées en tant qu'élément d'une population générale (1). N'importe qui peut être pris pour cible à peu près n'importe où par éventuellement un type isolé qui cherchera à mourir en héros de la cause qu'il se sera choisie. Et ça n'est pas nécessairement le point dévoyé d'une religion, voyez Breivik, il en tient pour la suprématie de la "race" blanche, et décide que ça lui octroie le droit de tuer des personnes sans défense, semble fier de son macabre record et goûter sa célébrité.
Les terroristes des décennies précédentes du moins en Europe tentaient eux de sauver leur peau, ça laissait une chance de repérer quelque chose avant qu'il ne soit trop tard, ou de négocier. Quel point de pression peut-on avoir sur quelqu'un qui se souhaite martyr ?
Ce qui pour moi a changé depuis le 13 novembre 2015 en particulier est que lorsque lors d'une saison réputée froide, un vendredi soir s'orne d'un temps clément et d'une température exceptionnellement douce, je ne peux empêcher que mon corps se mette en état de qui-vive. Je deviens un animal aux aguets.
Quand je me trouve à l'intérieur d'une longue file d'attente je nous perçois comme cibles potentielles.
Pour autant je ne vais ni plus ni moins aux concerts, aux spectacles, au restaurant qu'avant, ce sont surtout des considérations financières et de temps disponible qui prime.
Le 13 novembre aura d'ailleurs eu pour nous de sérieuses conséquences financières : par un sale concours de circonstances que je ne m'explique pas, à moins d'une désorganisation momentanée des services postaux peu médiatisée et dont nous aurions fait les frais, un recommandé de notre banque aurait dû nous arriver ces jours-là. Il n'en fut rien et le courrier nous fut livré 15 jours après. Il s'agissait d'une lettre de la banque pour débit dépassé qui s'était joué à peu de choses près et surtout avait prospéré sur ma négligence passagère : pendant bien des jours j'avais eu les yeux et les pensées rivées sur les attentats, l'inquiétude, les listes de victimes, mes notes pour tenter de témoigner plus tard, les articles des journaux, des retrouvailles avec des ami•e•s rendues comme urgentes, et je n'avais pas suivi l'état de nos finances familiales. De frais en frais pour cause de frais engendrés, et du fait du dépassement du délai pour réparer (le courrier reçu 15 jours après son envoi comportait un délai de 8 jours déjà dépassé de 8 autres jours quand j'ai pu le lire), la situation s'était envenimée au point que le paiement attendu dont le retard avait causé l'écart ne pouvait plus et de loin éponger. Nous avons dû notre salut à la générosité d'une amie que j'en profite pour remercier à nouveau aujourd'hui. L'indulgence de la banque se borna à renoncer à un fichage irrémédiable, les frais furent maintenus. La poste non seulement ne présenta pas d'excuses mais mis en avant que légalement la recommandation d'un envoi n'est pas un gage de délai. Il nous fallu plusieurs mois de vie serrée afin de pouvoir revenir à une situation saine et rembourser l'amie secourable.
Ce n'était, grâce à elle, pas si grave. Seulement bien qu'indirecte, c'est une conséquence aussi. Je me demande encore combien de personnes telles que nous aurons subi des ennuis du fait d'avoir été un temps sidérés, atterrés, moins attentifs qu'à l'ordinaire à tout faire tout bien pour faire face à leur quotidien âpre et sans facilités. Combien de personnes auront été victimes de dysfonctionnements de différents services perturbés eux-mêmes par des conséquences indirectes que personne n'aura souhaité ou pu assumer.
Je pense souvent aux victimes et à leurs proches qui auront dû, doivent peut-être encore, batailler avec des instances administratives, des démarches fastidieuses, un état de suspicion (2), certes sans doute pour partie nécessaire, mais comme ça doit être pénible aux victimes incontestables.
Le seul espoir reste que certaines survivantes, certains survivants auront pu saisir une occasion de prendre leur vie plus fortement en main, changer de job mais en bien, trouver le courage de clore une relation qui tournait mal, ou de s'en aller vivre dans des lieux qui leurs vont mieux. Ou faire d'autant plus de progrès dans leur voie, si elle était déjà engagée, qu'un sentiment d'urgence sera apparu.
(1) Et non en tant qu'individu qui se serait distingué, représenterait quelque chose, un pouvoir.
(2) Dans le film belge 'Ne tirez pas" sur les tueurs du Brabant, on voit très bien ces contraintes, celui qui fut blessé enfant dévoile ses cicatrices lors d'un procès, crie parce qu'il n'en peut plus, qu'il doit tous les trois ans prouver son invalidité. J'ai cru comprendre qu'en France ça n'était pas nécessairement plus facile. Et que ça risque de ne pas s'arranger.
Grosse journée en perspective : rien de tout ce qui avait été mis sous le boisseau pendant le festival de cinéma d'Arras ne s'est arrangé en mode génération spontanée, on ne s'en surprendra pas et c'était sans compter les petits tracas extérieurs qui se sont fait une joie de surgir entre temps.
Du coup j'ai regardé un petit TED pour me donner courage. Celui de Benjamin Zander sur la musique classique. C'était le bon, il contenait quelques révélations - concernant l'écriture, hélas pas au programme de la journée pour moi -. Gratitude. Et voilà le courage retrouvé.