Une émission qui aura bien fait d'insister
De la pertinence des remerciements (à la fin d'une œuvre, par exemple un roman)

34 ans après - plongée dans mes anciens diarii (ce que j'en écrivis)

 

    J'ai donc mis à profit ce jour férié passé sans sortir à soigner un rhume qui me gêne depuis vendredi passé pour m'accorder une plongée dans mes diarii des années 1984 et 1985. 

Comme je m'y attendais, j'y parle fort peu de cette affaire, comme de l'actualité. Je sais que je suivais ce qui se passait dans le monde mais ça faisait plutôt l'objet d'articles découpés que d'entrée dans mon journal, qui la plupart du temps est principalement un carnet de bord. J'y jette quelques notes en aide-mémoire, vite fait, horaires de trains, notes aux examens, dépenses. 

Chaque fois que je suis amenée à les consulter, mes agendas - journaux des années d'étudiants, je suis frappée d'à quel point nous ne faisions presque que travailler et combien le manque d'argent, le budget serré et de tenter de mener une vie cependant pas trop étriquée, nous limitait. Je faisais déjà pas mal de sport, plus que dans mon souvenir. Du footing assez régulièrement - alors que je n'avais le souvenir que de tentatives peu glorieuses au Parc de Sceaux -. Les entrées quotidiennes de ces deux années sont avant tout marquées par les éléments d'études ou de travail, l'importance de nos familles et la grande importance pour moi de l'amitié. Et puis quand même pas mal d'états d'âmes amoureux. Il faut bien des efforts pour devenir un couple, j'en avais perdu le souvenir. Mal remise d'un chagrin antérieur je devais être assez pénible. Et le garçon était visiblement trop jeune pour se fixer. Seulement en ce temps-là nous étions considérés comme adultes dès 18 ans, quand bien même encore étudiants et seulement en chemin vers l'indépendance financière, ce qui nous canalisait sans doute vers des comportements responsables. Bien des passages sont inévitablement très nombrilistes, j'y jette mes doutes, mes interrogations, mes peines, nos moments de grand amour, et un solide désespoir quant à mon avenir, qui finalement fut loin d'être aussi morne et gris que je le craignais (et ça n'est pas fini). Je suis d'une fracassante lucidité.

Deux entrées marquent cependant un intérêt pour le drame de la Vologne en particulier. 

Celle du 29 mars 1985 où sans doute avant de refermer mon agenda je rajoute après avoir écouté les infos et avec le stylo qui me tombe sous la main "Villemin a tué Laroche ça devait arriver, je l'attendais"

 

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Et effectivement même sans suivre plus que ça cette affaire entre d'autres, ça avait tellement ressemblé à "Chronique d'une mort annoncée" à partir du moment où Bernard Laroche avait été remis en liberté, que ça n'avait été une surprise pour personne. Il me semble que l'on se disait Il ne manquait plus que ça et qu'en même temps on ne pouvait se départir totalement d'une forme d'admiration pour un homme qui mis au bord du gouffre par une situation insoutenable, trouve moyen de tenir parole.

Marque de mon détachement : je ne prends pas partie, et ma phrase s'accompagne d'une autre qui concerne le départ annoncé de Christine Ockrent qui présentait les journaux télévisés du soir, que je ne regardais pas si fréquemment durant l'année scolaire puisqu'à la cité U nous n'avions pas la télé, mais dont j'appréciais le professionnalisme lorsque je la voyais. Je marque brièvement une émotion "(snif)" alors que concernant le drame, aucune. Une simple constatation intellectuelle. 

L'autre entrée est celle du mardi 9 juillet 1985, soit quatre jours après l'inculpation par le juge Lambert de Christine Villemin, la mère de l'enfant assassiné, preuve que je ne suis pas les différents rebondissement à la trace. J'ai simplement entendu un flash d'infos.

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Il annonçait que chacun dans sa prison les deux parents orphelins d'enfant se sont lancés dans une grève de la faim. Je crois me souvenir que je ne croyais pas plus que ça à la culpabilité de la mère, que je trouvais délirant l'acharnement médiatique. Alors je fais de l'humour noir, je dis "de plus en plus réjouissant" en ironisant et puis "ils mangent tous plus". Sans vergogne j'enchaîne sur un scénario de mauvais polar, avec le ton que j'aurais mis pour écrire un article dans Le Gorafi s'il avait existé en ce temps-là. En me relisant je mesure à quelle point on nous présentait alors la mère comme seule coupable. Il y a aussi que pour le menu peuple dont j'étais, la phase d'avoir connaissance de l'incompétence du juge n'était pas encore arrivée. Il y avait donc, malgré sa première erreur de faire arrêter Bernard Laroche puis de le relâcher par manque de preuve sans lui accorder d'assez forte protection, quelque chose de l'ordre de si le magistrat l'inculpe c'est qu'ils ont dû trouver des preuves de sa culpabilité (1). Il n'y a de ma part pas réellement de compassion : les malheureux ont été à ce point matière première à démonstrations médiatiques qu'ils sont perçus, et probablement pas que par moi, comme des personnages de roman policier plutôt que comme des êtres humains en train de traverser le pire genre d'épreuve que l'on peut endurer. À ma décharge, je n'ai que 21 ans, pas déjà d'enfants, j'entends des infos radios plutôt que je ne vois d'images. Et il y a sans doute dans cette froideur un réflexe de protection : trop de travail, d'enjeu (les études à boucler sans coup férir : pour les payer mon amoureux et moi nous sommes endettés), trop de difficultés dans ma petite existence pour se peiner en plus par procuration pour des inconnus au destin peu croyable.

On voit cependant qu'en inventant une petite histoire, je m'efforce de ne pas hurler avec les loups et mets de la bonté - celle d'abréger des souffrances - dans le geste de tuer.

J'aime beaucoup la lucidité de mon "jusqu'au bout". Il peut caractériser, même 34 ans plus tard, l'ensemble de cette affaire ; passé les premiers revirements, jusqu'au bout ou presque chaque protagoniste s'en sera finalement tenu à sa version. Ça pourrait même servir de titre à un nième ouvrage sur la question (2). J'avais sans doute perçu la force de l'amour des parents, cette loyauté indestructible. 

Curieusement je n'ai rien retrouvé concernant le texte de Marguerite Duras publié dans Libé alors que j'ai le souvenir d'avoir pensé, "Oh non, pas ça !" et que même s'il était littéraire tout le monde allait le prendre pour un article et donc être tenté de croire en la thèse qu'il présentait.  

 

(1) Tellement peu en réalité qu'elle bénéficia d'un non-lieu en 1993 pour absence de preuves.  
(2) Cela dit, je suppose que si quelqu'un parlait enfin avec des éléments vérifiables, ça serait un grand soulagement général, y compris pour ceux des coupables qui sont encore en vie.

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