Vélotafer (des joies et des dangers)
La surprise de Jakob

Fulgurée ?

 

    Sérendipité du net, je suis tombée sur cet article dans Le Monde, ce matin et qui décrit les symptômes d'un groupe de personnes qui ont subi la foudre au même endroit au même moment sans en mourir. Elles vont à peu près bien, un an après, mais ont souffert et souffrent encore, de séquelles.

En lisant je me prends à penser que j'ai subi le 7 janvier 2015 quelque chose de cet ordre même si ça n'était que mental. Et sans doute pas tant à cause du choc de l'annonce de l'attentat qui venait de se produire à quelques quartiers de là, que du fait d'être restée jusqu'au soir sans savoir si l'ami que j'avais au journal faisait ou non partie des survivants, et d'avoir eu ma journée de travail à accomplir : ça n'avait effleuré personne dans la librairie où alors je travaillais de me dire Si tu veux rentre chez toi ou va aux nouvelles, pour le travail ne t'inquiète pas, et du coup ça ne m'a pas effleuré moi de demander (je ne pensais qu'à une seule chose Assurer coûte que coûte), comme si flancher c'était accorder une victoire aux terroristes. 

Le soir même place de la République, j'ai pris conscience que je ne ressentais pas le froid, dans les jours qui ont suivi je me suis rendue compte que je ne percevais plus les présences dans mon dos ni les regards posés sur moi ; et, ce qui peut paraître drôle mais ne l'est pas tant que ça, que je n'avais plus peur de Vladimir Poutine. Il était la seule personne dont une simple photo, même ridicule, me faisait ressentir une sorte d'état de qui-vive reptilien avec un frisson dans le dos, comme une proie potentielle.

Ensuite pendant un an et demi j'ai souffert d'endormissements brutaux, à la limite de la narcolepsie. Ça va un peu mieux, depuis juin 2017 et mon alors nouveau travail chez Charybde, j'ai cessé d'être embarrassée par ces phénomènes dans la journée, ça n'a presque plus concerné que le fait de s'endormir à peine allongée comme on perd connaissance. Ça n'était plus trop gênant en journée. 

J'en ai parlé aux médecins, à mon kiné et même à une psychothérapeute, personne n'a d'explication. Pour le sommeil j'ai passé quelques tests. Rien de déterminant et non, je ne souffre pas d'apnée du sommeil.

Globalement ces symptômes ne sont pas gênants : c'est très pratique pour moi de ne plus trop souffrir du froid qui avant me provoquait des douleurs intérieures comme si mes veines charriaient des glaçons. À présent je le ressens mais à l'extérieur de ma peau, et l'effort pour réchauffer mon corps m'épuise autant qu'avant mais c'est plus engourdissant que douloureux. J'ai pu courir, certes bien équipée mais normalement, 5h dans la forêt de Montmorency en février dernier par une température entre 0°c et 5°c sans aucun problèmes. Jamais je n'aurais pu tenir le coup avant.

Pour les présences arrières, pour l'instant pas d'accidents. J'essaie de compenser en étant plus attentive du point de vue auditif. 

Pour Poutine, du coup je peux parfois (sou)rire. Et ça me donne l'impression de n'avoir plus peur de rien.

Pour le sommeil je fais avec, ça a cessé d'être handicapant. Pendant un an je partais plus tôt pour le travail afin de pouvoir intercaler une mini-sieste préventive avant de prendre mon service. 

J'ai des petites brisures de mémoire aussi, mais pour avoir été plusieurs fois en état de choc moral au cours de ma vie, j'ai l'habitude de ces défaillances-là. Ça fait un peu comme si on potassait à fond pour ingurgiter des connaissances en vue d'un examen et qu'une fois passée l'échéance on ne se souvenait plus de rien de ce qui avait été appris. Je ne sais plus rien des livres lus juste avant ou quelques temps après, par exemple. Parfois des éléments reviennent et avec une forte précision, comme des images haute définition alors que l'ensemble des souvenirs serait dans un léger flou.

On me dit globalement que je n'aie pas à me plaindre que la plupart de mes légères séquelles, c'est un peu tant mieux. Il n'empêche que je sais ce que ressentent certains des fulgurés lorsqu'ils disent qu'ils ne se sentent plus la même personne. L'une d'elle avoue « J’ai fini par accepter de ne plus être tout à fait moi » et je prends conscience que j'en suis là.

Une force en moi me permet de faire avec, de la même façon que j'ai appris au fil des ans à faire avec la thalassémie. Il n'empêche que quelque chose s'est produit. Et que je ne suis peut-être pas la seule à être concernée. 

 

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