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Semaine #15 : S'en remettre (de ou à)


    On aura donc dignement fêté au petit restaurant Américano-italien du bout de l'avenue et les 28 ans de notre grande et la fin des démarches et ventes et achats successoraux. Une page se tourne.

Je m'apprête à tomber malade : trop de travail de partout, trop de tensions, pas assez d'écriture, pas assez de temps pour soi, un vide persistant malgré le trop plein. Il y aura eu un an et demi comme ça depuis la mort du beau-père, un an et demi non stop. C'est miraculeux d'avoir tenu, malgré la kyrielle de chagrins.

Par précaution et parce que j'ai délaissé ma propre santé trop longtemps, je commence à prendre différents rendez-vous médicaux (lunettes, dentiste etc.), je m'efforce de faire les démarches consécutives à la vente, n'y parviens pas en entier dès la première fois.

La semaine de librairie est dense : ça n'est pas parce que j'ai à faire dans ma vie que ça se ralentit (sauf en février mais quelle conjonction d'enchaînements défavorables). Une belle rencontre a été mise sur pied le week-end passé, l'éditeur apportant les livres. Du coup, passé le stress de ne pouvoir tout préparer, de faire du "dernière minute" c'est finalement plutôt plus facile, pour moi moins de boulot. 

Je découvre ainsi le travail de Julien Syrac tout en faisant sa connaissance. Le surlendemain c'est la fête à Hildegarde, avec Léo Henry et sa femme dont je fais la connaissance aussi. Ce sont de bons moments, intéressants, instructifs, à chaque fois. 

Les heures intercalaires sont remplies sans temps morts par le courant des choses : chercher des livres, enregistrer leur arrivée, enregistrer les factures pour la comptabilité, préparer la déclaration de TVA. 

D'un seul coup me voilà déposée au samedi soir tard, la fête est finie. Je parviens encore à m'occuper des commandes et de la caisse du samedi, tout est passé à toute allure. 

C'était un samedi particulier, l'homme avait travaillé aussi. Elles me font rire les statistiques officielles sur les temps de travail, comparatifs par pays. Je n'ai quasiment connu et pas seulement pour moi que le rythme "cadre", forfaits jours, bosser sans compter et sans que les salaires ne soient augmentés.
Il espère pouvoir récupérer une autre fois son samedi. Je rentre il est rentré, il dort, il est crevé.

La veille, le vendredi finissant tous les deux tard, normalement tard, nous nous étions retrouvés au coin de l'avenue pour dîner ensuite à l'Auberg'In, rue de Paris. Le restaurant parce que nous manquons de temps, et de repars équilibrés complets. 

J'ai enfin fait la connaissance de Didier da Silva et c'est heureux. Une fois de plus se connaître de l'internet parce qu'on a des centres d'intérêt forts en commun c'est comme si on se connaissait depuis longtemps d'en vrai. Je lui suis très reconnaissante d'avoir pris le temps de passer à la librairie. 

La fatigue cumulée, travail et succession commence le dimanche à poindre son nez, ne m'empêche pas de faire ce petit entraînement minimal d'un tour d'Île de la Jatte, dûment accompagnée (il se traîne un peu, lui aussi). Les conséquences des crues successives sont impressionnantes, arbres arrachés,

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passages interrompues. Certaines zones découvertes mais encore inaccessibles, pas encore nettoyées, craquelées de boues séchées. Comme en juin 2016, des sacs plastiques pendent aux branches. Ça fait peine. 

Le fiston était d'accord pour m'accompagner à l'expo Enfers et fantômes d'Asie, à la fois instructive et drôle, nous en sortons détendus (1), il a envie d'une glace, repère un glacier sur son téléphone, renâcle devant les files d'attente : c'est l'été à Paris. Nous nous rabattons sur un café brasserie qui annonce "glaces Berthillon" et y assistons à la victoire de Nadal au tournois de Monte-Carlo (2). Il est ensuite temps de remonter vers la gare Saint Lazare, à pied d'un tel temps c'est encore un plaisir.

Ma montre de sport, que je n'avais pas ôtée, indiquait 19 km parcourus (3), je me suis couchée épuisée mais avec le sentiment d'une journée de bonheur. 
Le fait de n'avoir plus de maison à vider d'urgence, de délais à tenir, d'être à l'abri temporairement des ennuis d'argent, m'avait fait me sentir en vacances comme ça m'arrive rarement.

La fatigue s'est vengée le lundi. Heureusement j'avais un vélo à acheter, comme en rêve : une camarade de club vendait le sien, un presque pro. Tout le monde y trouve son compte. Pile au bon moment.
J'avais dû vendredi faire en urgence des démarches d'inscription pour Cublize, première tentative tombée dans les pompes à vides de mon surmenage. Reste que je manque d'entraînement. J'ai pu grâce à la visite que j'avais à faire émerger en fin de journée. 


Lectures : je reprends la fin d'un roman policiers que j'avais lue si vite et dans une telle fatigue qu'elle s'était envolée. J'y prends plaisir. 
"La petite fille sur la banquise" d'Adélaïde Bon, sur un double ou triple conseil (France Culture et une amie et ...) ; jamais je n'y serais allée sinon (encore un récit de souffrances personnelles, m'étais-je dit à première vue). Et ne le regrette pas. Je comprends mieux certains mécanismes post-traumatiques et je pense que ce livre peut être d'un réel secours à d'autres. 

J'essaie de me renseigner du devenir des cours de danse. 

Le mardi est pour moi, coiffeur (ça devenait urgent, je virais vieille dame hirsute), déjeuner avec une amie bien-aimée pas vue depuis bien trop longtemps (le deuil et ses conséquences et nos sur-occupations professionnelles et familiales respectives sont très isolantes), c'est avril à Paris et il est bien vite temps d'aller à la BNF enfin un peu pour moi-même travailler. 

Nous avons l'une comme l'autre remarqué combien cette année la nature a semblé d'un seul coup foncer grand dans l'été (4). Cette explosion de vitalité végétale nous ravit.
Je crois qu'elle communique une forme d'énergie.

 

 

(1) Si d'aventure elle vous tente, attention ça n'est pas pour enfants, vraiment. Seulement à partir de 12 ou 13 ans.
(2) Nous décriptons peu à peu ces informations.
(3) En tout.
(4) À cause de derniers froids fort tardifs.

 


Retour du front

 

    L'impression persistante en ces jours d'après un effort de plus d'un an, lequel suivait un autre effort plus dur encore et un immense chagrin de quatre mois, d'être comme un soldat.

Un soldat en permission (1).

Je ne sais toujours pas si le travail, le gagne-pain, aide ou rend les choses plus difficile en ces cas. Sans doute les deux à la fois lorsqu'on a comme moi la chance d'aimer ce que l'on fait. Par moment, cependant nous aimerions pouvoir rassembler toutes nos forces et toutes nos heures pour faire face, ou accompagner, secourir, et c'est impossible, voilà, il faut faire sur l'énergie forcée et le temps restant.
J'ai en tout cas la certitude d'être et d'avoir été l'an passé puis cette année très privilégiée, de ce point de vue là.

Et là, voilà, la bataille a été livrée, le devoir a été fait - il ne s'agissait ni de victoire ni de défaite, de quelque chose une fois de plus à tenter de passer au moins pire -, je peux m'accorder quelques jours de répit, je retrouve le cœur normal de ma vie.

Mais je suis ce soldat qui prend conscience que pendant qu'il était au front la vie des autres à l'arrière a continué, que des choses ont évolué. Les ami-e-s ont pris leurs marques ailleurs, pas tout-e-s bien sûr, mais la part consolidante des (bons) moments partagés n'y est plus tout à fait. Un an et demi de quasi absence et je suis tombée déjà dans leur passé. Le fait d'avoir été délestée successivement du téléfonino et puis de l'ordi et de mes deux derniers agendas de papier dont celui où était glissé mon carnet d'adresses n'a rien arrangé. Pour certain-e-s d'entre eux, sauf appel de leur part, ou autre signe de vie, je ne suis plus en mesure d'avoir de leurs nouvelles, ni de leur en donner. Bien davantage que le chômage, le deuil isole. Et ses longues conséquences s'il s'agit d'un parent.

Peut-être que cette phase de relatif isolement, une fois terminée la suite des travaux et des rangements, me permettra d'écrire. 
Plus que jamais je me félicite d'avoir entrepris in extremis avant les fins de vie de nos derniers ascendants ma (tentative de) mutation en sportive accomplie : les entraînements de triathlon reprennent leur temps, des épreuves se préparent, le collectif tient chaud, donne de l'élan.

Et puis il y a ce livre, "3 chats 2 écrivains" (2) offert par l'amie qui est toujours là et sait épauler dans les temps difficiles qui me permet, un peu comme l'évoque Anne Savelli ici (3), de mesurer le chemin parcouru, même si à très bas bruit, et de repartir vers mon propre travail munie d'un viatique - et de bien trop d'idées pour le temps limité dont je peux disposer -.  

 

(1) Il me reste encore énormément à faire de tris et de rangements, cette fois à la maison ainsi que d'importants travaux en Normandie aussi. Je pense que tout ça me mènera jusqu'à l'été 2019.

(2) En vente à la librairie, si d'aventure il vous intéresse.

(3) Plus particulièrement ce passage : "Je retrouve tout, sauf lui : un petit texte écrit le jour de mes 25 ans, des poèmes, un nombre incalculable de versions manuscrites, tapées à la machine (!), imprimées de fictions jamais terminées, jamais montrées à personne, encore moins publiées... Incroyable comme j'ai pu bosser comme ça, pour moi, dans le vide, c'est vertigineux.
Je suis faite de ces strates. Mon écriture vient d'elles. Brusquement, je mesure le travail et l'écart avec d'autres vies (professionnelles, j'entends)."

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Mon téléfonino vous écrit


    Je venais d'envoyer un SMS pour parler à qui de droit du vélo de rêve dont je venais de faire l'achat, un SMS assez technique, de fait, puis de prendre le chemin du retour avec deux roues de rechange (du coup un peu chargée). J'avais mal fermé mon téléfonino, lequel avec la complicité de ma poche de pantalon s'est mis à être très bavard. 

Aux séries de hyhyyhyhyhy et autres hhhhh hij6yh que j'ai expurgées près, il a trouvé le moyen d'envoyer tout seul le SMS suivant : 

"Y y et et et de To To do et que je thé tchétchène de Clichy dans un état un état un état t'aime fort fort et de duvet hic hic c'est que jhve quelqu'un qui hhhh"

Je me demande encore où il est allé chercher tout ça (1) mais si ça continue il publiera avant moi.

 

(1) En particulier "tchétchène" et "duvet" que je ne crois pas avoir jamais mentionnés dans un SMS. "Le thé tchétchène de Clichy" ferait un bon titre. 


Un hangar et l'hôtel


    Je me réveille un peu moins propriétaire et j'aime ça (1) : je ne suis pas faite pour posséder des morceaux de planète, j'ai seulement besoin d'un camp de base pour stocker ce dont j'ai l'utilité - livres, photos, souvenirs, archives, quelques beaux objets si liés à quelqu'un, offerts - et pour le reste j'aimerais être nomade, mais de luxe.

Je crois que si j'étais millionnaire, ce qui est impossible, car quand bien même une forte somme me tomberait du ciel (2), je serais incapable de ne pas aider, au moins créer une fondation pour secourir, j'achèterais un hangar avec une partie à vivre très dépouillée (de quoi dormir, manger, se laver, étudier / écrire), j'y classerai mes livres, mes photos, mes documents, et je ferai un mini-musée avec les souvenirs, les beaux objets. Quant à moi je vivrai à l'hôtel, des beaux hôtels, des lieux différents. J'y écrirai. Je reviendrai à Clichy - Levallois pour le sport, le triathlon, des entraînements, le suivi médical et les problèmes de visas. Je ferais des voyages lents, en évitant les avions. J'écrirai sur ces voyages mais aussi des fictions.

Bon, en attendant, le travail m'appelle et c'est intéressant, par ailleurs un boulot monstre dans l'appartement - forcément, avec tout ce qu'on a récupéré, les milliers de livres, le bazar permanent -, et une petite maison dans une belle mais hélas dangereuse région qui requiert toute mon attention parce qu'elle est simple et que je la tiens de mes grands-parents et que mes parents ensuite en ont pris soin et l'ont améliorée. Devoir de mémoire, devoir de respect. Pour Ernestine, pour Berthe, pour Mado et pour tout le boulot que Nino avait fait. 

 

 

(1) En plus que nous avons eu cette grande chance que les acheteurs soient un jeune couple très sympa, qui se rêvent une belle vie là. Alors ça a un sens.
(2) Par exemple si je parviens à créer la chansonnette bête que le monde entier chanterait sans parvenir à se l'ôter de la tête.


Le retour des sculptures

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Peut-être que ça fait un moment qu'elles sont revenues mais que tout simplement je n'y avais pas prêté attention.

En attendant, ce soir en rentrant de la librairie, j'ai remarqué que les sculptures d'Arman (d'un côté les pendules, de l'autre les valises entassées (1)) étaient revenues devant la gare Satin Lazare. Il me semble, je peux me tromper, qu'elles ne sont pas au même emplacement qu'avant.

 

(1) Leur vrai nom est "consignes à vie"

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Un grand cousin de moins

 

    Je m'activais à la librairie, ranger et faire le ménage de la veille afin de préparer celle du soir même avec Marc Voltenauer, dont je me réjouissais.  

La radio était sur FIP. 

Il fut soudain 11h51. 

Flash d'infos. 

Des choses et d'autres.

Et puis cette phrase quelque chose comme On annonce la mort de Jacques Higelin.

Je crois qu'il m'a fallu jusqu'à la fin de l'après-midi pour retrouver une forme d'équilibre. Il était temps, il y avait une rencontre littéraire à préparer. 
Les copains ont eu du mal à venir. 

Sans doute que beaucoup d'entre eux pleuraient dans leur coin.

Au café des amis, d'autres, ceux de notre auteur invité, avaient préféré sortir plutôt de cuver [leur peine (éventuellle)]. Dès lors ce fut une formidable soirée. J'ai été heureuse des rencontres. Cette impression qu'on a parfois qu'il s'agit de retrouvailles.
Le sentiment de deuil mis un temps de côté.

Il m'a rattrapé alors que je regagnais la librairie avec le diable et les quelques bouquins qui restaient.

J'ai toujours ressenti Jacques Higelin comme un de mes cousins. Un plus âgé cousin. La sensation, plus qu'avec la disparition de mes parents, que ça y est maintenant nous sommes devant la mort ceux de (presque) premier rang.

Je vais m'endormir au souvenir de concerts. Je ne sais plus combien : l'impression d'avoir grandi vieilli ensemble est si profonde. Je me souviens de Bercy en 1988 (?) ou 1987, un Jacques jeune et funambule. D'un Bataclan, où il saute s'assoir sur le piano, puis se retourne vers nous en disant Tant que je peux !
D'un Zénith grâce à Gilsoub et son frangin. Sandrine Bonnaire filmait Higelin.

D'autres encore, moins distincts.

J'ignorais que le temps lui était compté. J'ignorais qu'il mourrait. 
Merci pour les bonheurs, la poésie en vie. Quels cadeaux, au long des ans !

 

 


Les souvenirs classés, les souvenirs vivants

    

    La vie n'ayant pas tout à fait été un long fleuve tranquille et m'ayant cet an dernier offert foule de temps rétroscpectifs, j'ai pris conscience de façon très aigüe qu'il y avait des souvenirs classés et d'autres encore vivants. 

Ou plutôt des périodes de vie closes et bien archivées quand d'autres semblaient encore en cours dans une vie parallèle. Je l'avais toujours constaté, mais le phénomène m'avait longtemps semblé respecter la chronologie. 

Je sais maintenant qu'il n'en est rien. 

D'une façon générale, ce sont les éléments de vie et les gens auxquels on tenait disparus brutalement qui restent encore en activité, comme si l'on allait reprendre le cours interrompu des choses. Sans doute l'équivalent mémoriel du membre fantôme chez les amputés. 

Pas toujours. 

Ainsi mon époque "à l'Usine" (1), stoppée violemment - for my health's sake, je ne reviens pas -, m'a pris 6 mois avant de refaire physiquement surface mais fut close aussitôt : je n'attendais que ça et avais l'intention de partir 2 ans et demi plus tard. Je n'avais pas encore signé ma rupture conventionnelle de contrat que déjà les souvenirs de cette période recouvraient une teinte passée, un air d'autrefois. Il s'est trouvé aussi qu'aucun des collègues avec lesquels je travaillais les derniers temps n'étaient des collègues de longue date et le management était passé par là pour rendre les gens méfiants les uns à l'égard des autres.  Du coup aucun lien affectif n'avait été brisé. 
Quant aux collègues et amis des services et époques passées, nous nous voyions déjà en dehors du taf. Mon départ de la grande entreprise où nous ne nous croisions plus, et encore, qu'à la bibliothèque, à la cantine n 'avait pas changé grand chose. 

Un temps qui aurait pu être très heureux pour moi, n'eût été la maladie puis la mort de ma mère, la période durant laquelle j'ai travaillé pour la petite très belle librairie Au Connétable dans le Val d'Oise, s'est close aussitôt : tout c'était passé comme si mon retour dans ma banlieue d'origine n'avait eu pour principale fonction que d'être à même d'accompagner ma mère en sa fin. Je me souviens d'une sorte d'étonnement amusé les premiers mois de mon alors nouveau travail, tandis que ma mère semblait certes vieillissante mais pas en si mauvaise santé, quelque chose comme Qu'est-ce que je fais [de retour] là ? Je n'avais de la région ni détestation ni nostalgie, ç'avait été une étape, l'enfance et l'adolescence, le choix de mes parents, lié au travail de mon père, de se fixer par là. C'était Paris l'important.
Et puis devoir aller si souvent à l'hôpital d'Eaubonne, proche de mon travail, devoir effectuer tant d'aller-retours à la maison de ma mère, avait donné une sorte de sens à ma nouvelle localisation. 
Du coup cette période s'est trouvée immédiatement fermée une fois les premières étapes du deuil franchies. Rangée sur les étagères du souvenir.
C'est très étrange.
Me manquent cependant certains clients et amis, et puis la personne avec laquelle je travaillais. 

La période durant laquelle j'ai travaillé dans le XVIème arrondissement et qui je m'en suis rendue compte en l'évoquant lors de récentes retrouvailles avec une amie, s'est fermée pour moi après l'attentat de Charlie Hebdo et les deux jours de folie tueuse qui ont suivie, même si je n'ai démissionné qu'en septembre et travaillé avec sérieux jusqu'à fin octobre 2015 , cette période XVIème arrondissement a été elle aussi aussitôt "classée" : j'y ai travaillé par nécessité, je devais refaire surface après la perte de mon "vrai" travail, à Livre Sterling et une rupture concommitante, dans ces cas-là on ne choisit pas. La première équipe avec entre autre Sébastien Detre, reste un bon souvenir de boulot. Mais peut-être que je ne m'y sentais que de passage (pensée rétrospective, sur le moment je m'efforçais seulement de m'appliquer, et tenir ; le présent était affectivement trop rude pour pouvoir se projeter vers quelques pensées d'avenir). J'en garde surtout un vaste fond d'anecdotes de "vie de libraire", la frénésie des décembre, la folie Trierweiler et la sensation d'être infiniment plus étrangère dans mon propre pays à certains de mes compatriotes qu'à la plupart des étrangers même de culture tout autre.

En revanche reste encore "ouverte" l'époque de Livre Sterling. Je crois que je m'y suis sentie à ma place comme rarement dans ma vie, qu'il y avait avec le patron une sorte de tandem de boulot - le côté différents mais complémentaires, avec un tempo de travail similaire, et mon plaisir d'être au service de quelqu'un de charismatique et qui connaissait vraiment bien son métier - idéal. En tout cas pour moi. Ce fut aussi ma période bruxelloise, ce que mon temps de travail, un vrai temps partiel permettait. Je disposais de mes week-ends ce qui était un cadeau dont je n'avais à l'époque pas idée. Ce temps-là où je me sentais à ma place, où je tentais d'écrire, où je me sentais appréciée au travail, où je me sentais dans ma vie personnelle aimée, qui n'était pas si facile - le boulot était physique, parfois très rock'n'roll dans les situations, jamais sauf au cœur d'août, calme et reposant -, j'avais des peines, des désirs de bilocation, s'est trouvé interrompu à tout point brutalement. Alors c'est une période encore vive. Une part de moi traîne toujours par là-bas.

Très bientôt, question de semaines, s'achèvera la période "Taverny" de ma vie. J'ai quitté cette ville peu ou prou en 1981 même si j'y suis retournée quelques temps en 1983 puis à l'été 1984, malade, pendant plus d'un mois. J'étais appelée par Paris puis - pensais-je sans avoir tout à fait tort ni tout à fait raison - d'autres lieux. Il n'empêche que j'y revenais voir mes parents, puis ma mère seule et que j'y avais encore un morceau de grenier, plus d'affaires personnelles encore stockées là que je ne le croyais. Mon père, ses cendres, y étaient au cimetière. 

Tout ce qui reste de familial, est désormais en Normandie, ou bien un peu chez nous pour quelques meubles et objets. La maison où nous avons grandi ma sœur et moi sera à d'autres personnes. D'autres enfants, peut-être y grandiront. 

Je ne sais si cette période sera de type "vite close" ou "encore vivace". Je ne sais d'où j'en suis dans le deuil, que le surmenage - entre boulot très demanding comme disait l'ami Hamonic, et ce travail de tri, vidage, cartonnage, déménagement - m'a fait mettre sous le boisseau, sans compter l'épisode épique du voisin voleur, qui nous a entraîné dans de tout autres tracas - et n'est peut-être pas fini, que fera ce type une fois sorti de prison ? ne risque-t-il pas de revenir sur zone ? ne risque-t-il pas d'être encore plus déséquilibré et en plus revanchard ? -.

Reste aussi que la liste des absents sinon pour toujours du moins pour longtemps s'est beaucoup accru ces derniers temps, avec des séparations tristes, de celles qui font qu'on ne tient pas à revoir celui qui en a l'initiative, ou qu'on n'éprouve plus pour lui la moindre estime ; qu'une amie de jeunesse est morte sans que nous ne nous revoyions ; que bien des pages se tournent en même temps.

Je suis sans doute curieuse des temps à venir. Et je sais que je dois me donner du temps du écrire. La situation globale - du pays, de l'Europe, de la planète - n'est qu'une nappe d'inquiétude. La paix est fissurée. Que faire qui puisse aider pour [celles et ceux d'] après ?  

 

(1) Pour qui arriverait là sans connaître rien de moi : j'ai travaillé dans une grosse banque pendant 23 ans en tant qu'informaticienne.