Ligne 13, moment magique
17 mars 2018
Je rentre d'une de ces soirées de rêves auxquelles mon travail me permet de participer (scoop : Joël Casséus fera un excellent académicien), mais il est très très tard. Je pense cependant pouvoir prendre un métro. Oui, et cette ligne me rapproche bien. Puis un autre, tiens, ça convient. Soyons fous à Satin Lazare tentons de pécho la ligne 13. Ah mais il y en a encore ! (joie). Oh mais ils vont tous à Saint Denis (je finirai à pied ou avec un Mobike). Ah mais c'est vrai à la Fourche passé une certaine heure des trains pour Asnières Genevilliers Les Courtilles partent encore de la voie d'en face.
Au moment de faire ce petit changement, assez peu indiqué - je soupçonne la RATP d'estimer que les voyageurs s'entraideront - je tombe effectivement sur une vieille dame et trois jeunes humains, un garçon, deux filles, lesquels semblent ensemble. Le gars a peut-être un peu bu ou bien il zézaye au normal de lui. Quand je m'assois et eux aussi il en est à parler avec la dame âgée comme pour la rassurer, S'excuse un peu, dit quelque chose comme C'est ça quand on fait la fête le week-end.
Et la dame dit alors : - Je ne faisais pas la fête, j'étais à un concert.
Le gars : - Un concert ? Qui ça ?
la dame : - J'étais au concert de Sylvie Vartan.
On la sent encore sous l'émotion.
- Je la suis depuis ses débuts, précise-t-elle.
Puis elle ajoute : - Elle a fait un très bel hommage à Johnny.
Les trois jeunes personnes semblent touchées par son émotion à son âge, quelque chose de cet ordre. J'en suis à me dire, ils vont se dire que c'est sans doute une chanteuse d'autrefois, lors qu'une question du gars vient comme ça :
- Et vous, l'affaire, vous en pensez quoi ?
- Je pense qu'il n'aurait pas dû déshériter ses enfants, les enfants c'est les enfants.
Une des deux jeunes femmes objecte alors :
- Oui mais David et Laura n'était pas des bons enfants.
La dame ne se démonte pas, qui argumente que ce qu'à fait Laetitia ça ne se fait pas. Et les voilà partis tous les quatre à peser le pour et le contre, sur fond de vérités et de contre-vérités (mais comment savent-ils tout ça de la vie privée de ses gens-là, certes gibier de paparazzi mais quand même.
Mais c'est une très jolie discussion parce qu'elle est possible là comme ça, ligne 13 entre 1 et 2 heures du matin. Ils ont des points de vue divergents mais les expriment paisiblement.
Alors que j'en suis à songer que la gloire est un bien étrange phénomène qui fait que des anonymes se retrouvent à discuter en pleine nuit dans un métro parisien des détails d'une succession qui ne les concernent en rien.
Ils en sont à parler rentes et appartements, étude comparative, lorsque l'initiateur de la conversation regardant par la porte ouverte s'écrit rigolard :
- Trafic d'œufs, trafics d'œufs, vu !
Et nous voyons que sur le quai des hommes en abis de contrôleurs ou ressemblants et un type au brassard rouge de sécurités sont en train, effectivement, de s'échanger des œufs.
Ils ne prennent pas mal l'apostrophe et le gars de la sécurité vient causer collègue fermier au témoins téméraire.
Sylvie Vartan et toute sa famille ne font plus partie du paysage mais les produits de la ferme "mieux que du bio" leur ont succédé.
Je me dis que j'avais oublié à quel point la ligne 13 avait un petit côté Kaamelott, certains soirs. Je m'étais retenue de rire jusque-là mais ce n'est plus possible et plus trop nécessaire, tout le monde se marre avec cette histoire d'œufs. La traversée de Paris en plus contemporain et moins cochon.
Alors que je pense que le sketch va s'achever ainsi, que c'est déjà beaucoup cadeau. C'est le conducteur qui annonce l'imminence du départ en mode rock'n'roll joyeux, presque le En voiture les enfants d'un directeur de carrousel.
Ce sont tous les passagers qui rient, sauf ceux qui ne comprennent pas bien le Français : l'heure est aussi aux retours des touristes en goguette.
Il y a une fin de sketch sur les lumières qui clignotent en indiquant faussement un retour vers Satin Lazare.
À Brochant la dame descend, dûment saluée par la plus jeune génération.
Méfiante, je me dis qu'ils vont se faire un plaisir de la moquer, comme elle exprimait son admiration pour "Sylvie". Qu'il faudra faire avec cette insincérité. Je me prépare mentalement à entendre des propos injustes et déplaisants
Et puis : L'une des jeunes femmes s'écrie Elle était trop sympa la mamie.
Et l'autre : - Je n'ai plus de grand-mère j'aimerais bien l'adopter.
et le troisième de renchérir. Et les voilà à partager leur enchantement de cette rencontre.
Heureusement que nous arrivions, ils m'ont émue aux larmes. Ç'avait été un moment de grâce jusqu'au bout.
Je me souviendrai longtemps de cette soirée, et aussi pour sa première partie qui déjà m'avait enchantée (merci Joël Casséus, et Lucie et Frédéric)