Éclats de tristesses
En crue

Semaine #2 : volupté culturelle (Kate and Stacey mais pas seulement)

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Il ne faudra pas perdre de vue en relisant plus tard ce billet, ou si des lecteurs du futur le lisent - à l'instar d'Alice, il me semble que j'écris pour des passants de plus tard, qui trouveront curieux l'ancien temps qu'alors nous formerons, comme nous nous charmons du journal de Samuel Pepys ou des lettres de madame de Sévigné ; je ne prétends pas faire aussi bien qu'eux mais simplement : qu'en lisant ou déchiffrant mon alors vieux français, des humains successeurs puissent se faire une vague idée d'un exemple de vie dans le Paris de la fin du XXème siècle et du début du XXIème, puisque c'est là que principalement la vie m'a mise -, que tout ce qui aura distingué cette semaine, magique, de ses voisines, aura eu lieu sur fond de fort travail à la boutique et gros boulot de mise en cartons / préparation de déménagement (1). Sur fond d'appartement ou par manque total de temps tout part à vau-l'eau, on atteint un seuil critique de dérangement. 

Nonobstant ces précisions, ce fut une de ces semaines comme Paris offre parfois : des bonheurs culturels en veux-tu en voilà.

Un seul était payant : le concert du samedi soir (places à 50 €, tarif relativement raisonnable pour l'époque, mais cher pour un petit salaire (2)), un autre très légèrement (5 € davantage une sorte de contribution aux frais), deux organisés par nous-même à la librairie, entrée archi libre, et un autre gratuit (à la BNF).

P1160010C'est Éric Vuillard invité à la BNF qui a ouvert le bal. Il était venu en juin à la librairie et ç'avait été un régal. Renouvelé ici. Le Goncourt est passé par là, qui ne l'a pas changé lui mais bien l'affluence et la foule que désormais il intéresse -. Et comme il intéressait déjà bon nombre de personnes auparavant, voilà qu'on ne peut plus trop se parler en de telles occasions. Ma liste des camarades satelllisés est à compléter d'un nom. 
Je suis prête à parier que malgré la qualité des propos échangés, ce qui longtemps plus tard me restera, sera le cri d'humour d'un homme dans la salle, qui alors que l'auteur confirmait qu'il s'apprêtait à honorer l'invitation de la bibliothèque de la ZAD de Notre Dame des Landes, a lancé : - Va falloir y aller vite, alors !

La décision de renoncement prise officiellement le lendemain était déjà dans les tuyaux. Je n'avais jusqu'alors pas d'opinion tranchée, mais les réactions des mécontents (3) m'ont ôté tout doute : c'était bien d'abandonner ce projet. 
Je reste méfiante de l'apparition d'un clone, installé à suffisamment de distance pour que les mécontents de la création d'un aéroport et qui ont bataillé contre ce projet-ci se découragent.

Au lendemain il s'est trouvé que l'un des associés de la librairie passait dans l'après-midi pour des ouvrages que nous devions livrés et avait ensuite donné rendez-vous à quelqu'un qu'à la boutique il attendait. Il m'a alors proposé de partir plus tôt, ce qui me changeait de l'ordinaire (4). Je savais que Kate Tempest donnait une rencontre à la maison de la poésie, n'avais pas pris de billet puisqu'au normal de mon emploi je serai arrivée trop tard, mais puisque le sort me souriait, j'ai tenté ma chance. 

Il s'en est fallu de peu : je fus l'antépénultième personne inscrite sur la liste d'attente à pouvoir entrer. 

Expérience inoubliable : après une (déjà) excellente lecture d'un passage en V.O. du livre pour la parution duquel elle était invitée, puis une interview bien menée, avec une interprète formidable, Marguerite Capelle, qui par moment fut même applaudie, Kate Tempest nous gratifia d'un moment de performance sur quelque chose qu'elle travaillait, mais déjà fort bien maîtrisé. L'impact émotionnel était à la hauteur d'un opéra dont on apprécie la mise en scène et les voix. J'en ai eu les larmes. 
À la fin il y eut cet instant magnifique de silence suspendu, celui d'un public captivé, puis le tonnerre d'applaudissements.

Bouleversé-e-s. 

Le lendemain soir, nous recevions Luvan à la librairie. Tous les ami-e-s étaient venu-e-s sauf ceux qui n'avaient vraiment pas pu. Belle soirée. 

Suivie par celle de rencontre-dédicaces avec Joël Baqué, que j'étais si heureuse de retrouver. Parfois la vie nous éloigne, trop prenante, trop remplie de contraintes, des personnes qu'on aime bien (5), mais on ne le souhaitait pas. C'était le cas. Dommage qu'il ait ensuite fallu ne pas trop tarder (6), le dîner de l'Après était chaleureux, la conversation bien lancée.

20180120_222100 Le samedi ce fut Stacey, à Issy les Moulineaux, acoustique moyenne et public trop sage. J'ai compris qu'en fait nous étions vieux aussi, qui la suivions avec bonheur depuis ses tout-débuts. Déçue qu'elle n'ait pas changé sa reprise d'Avec le temps qui m'émeut tant, j'ai été néanmoins heureuse de ce concert. A break in the rush. Heureuse aussi du petit dîner très tardif, seul le Marco Polo près de Satin Lazare consenti à nous accueillir.

Le dimanche fut détendant mais éreintant : courir dans la forêt [de Montmorency] sous la pluie, parfois dans la boue jusqu'aux chevilles, puis Taverny, cartons cartons ... Repas dans un fast-food car à une heure de rien d'autre. Achats de dépannage dans une boutique (Fly ?) non loin, ouverte le dimanche, population perdue. Mais chaussettes sèches.

Le terme Rincés pris tout son sens. Après on se sent bien. Une sensation d'après orage.
À la danse du lendemain je ne fus nulle part. Toute énergie vidée et les jambes en marionnettes mal animées.

Je traînais encore des lambeaux de cette fatigue particulière en écoutant Jean-Marie Gustave Le Clezio à la présentation Stock, , musée Gustave Moreau, près de la Trinité où je ne crois pas être jamais allée.
Je n'ai pas apprécié les tableaux, quelque chose de glauque, qui [me] met mal à l'aise. Mais les détails sont intéressants et parfois même beaux.

Je suis repassée à la maison poser les livres et partie plus tard à la BNF, reprendre quelques forces après tant d'abondance culturelle. 

Ce qui est intéressant en notant c'est que les perspectives changent : en traversant cette semaine j'avais certes la sensation de belles soirées dont une inoubliable (Kate Tempest) car elle tenait de la révélation, mais ce qui prédominait c'était tout le travail de la librairie, des journées intenses et sans relâches (7) et le gros travail dans le Val d'Oise pour le pré-déménagement, plus un peu de sports.

Je constate que ça n'aura pas empêché le reste et que la vie ressemble par moments à ce que je pouvais souhaiter.

  

(1) du Val d'Oise à la Normandie des meubles et des affaires qui se tenaient dans la maison de mes parents. Ce n'est pas "notre" déménagement. 

(2) pour info j'ai trouvé ceci concernant le smic horaire (salaire minimum légal) net au 1er janvier 2018 . Source, Legisocial 
Capture d’écran 2018-01-23 à 17.49.35

(3) Avec des arguments qui reviennent tous peu ou prou à dire : Vous nous avez empêché de nous faire du fric. 
(4) Quand on travaille seul-e dans un lieu, en tout cas seule par journées, on ne peut déléguer à personne ce qui une fois le rideau fermé n'a pas encore été terminé et ne peut être reporté. Je reste donc souvent after hour pour boucler des commandes, un minimum de travaux liés à la comptabilité, le samedi soir faire la caisse, de réponses à des mails sans risquer d'être interrompue, d'arrivées à réceptionner. Compte tenu de ma vie familiale sur la période fort chargée (avec la succession à régler, et du coup pas mal de boulot administratif à titre personnel), je préfère m'organiser ainsi plutôt que de traiter les tâches résiduelles à distance. 
(5) Depuis la maladie de ma mère survenue alors que déjà travailler dans le Val d'Oise m'avait tenue à l'écart, j'ai la sensation de perdre peu à peu tous ceux et toutes celles qui comptent pour moi. Il n'y a plus que le travail et les obligations. 
(6) Sans Vélib et pas assez fortunée pour prendre un taxi, je ne suis obligée comme autrefois de surveiller les heures pour rentrer en métro (et même s'il fonctionne plus tard le vendredi). 
(7) Nous nous apprêtons à fournir les ouvrages pour un concept store voisin.

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