Paris sans voiture, la petite illusion
01 octobre 2017
Ah que c'est beau Paris sans voitures !
Bon alors en vrai, non, cette photo je l'avais prise à Bruxelles le 17 septembre 2006, parce que pendant que les Français s'appliquent consciencieusement à continuer de polluer, nos voisins, eux ça fait plus de dix ans qu'ils ont des journées sans voitures et intégralement.
C'était un de ces petits déplacements en TGV qu'on s'accordaient avec le fiston avant ses fatidiques douze ans : nous profitions d'un tarif merveilleusement réduit grâce à une carte annuelle pas trop coûteuse qui permettait de payer les trajets trois fois rien et pour l'enfant et pour un adulte qui l'accompagnait. Nous avions choisi le week-end en fonction je crois d'une compétition de pétanque du papa, c'était aussi une façon d'éviter un dimanche de pétanque-widow. Nous ignorions que nous allions débarquer lors d'un jour particulier. Nous étions arrivés tôt le matin dans une ville sous la brume et totalement silencieuse. Nous avions vite pigé, ça n'en demeurait pas moins magique. Des vélos partout. La brume en plus atténuait les sons. Je me souviens de toute cette journée comme d'un très beau rêve.
À Paris, onze ans plus tard, c'est peu dire qu'en vrai, ça n'a pas fonctionné tout à fait :
[photo prise en bas des Champs Élysées ce dimanche 1er octobre à 11:28 ; et ça n'était pas un moment d'exception]
Nous nous étions dit, naïfs, Tiens si notre entraînement de vélo nous le faisions dans Paris intra-muros ? Puis, gourmands, tiens si l'on s'offrait la place de l'Étoile ?, Oh, et les Champs Élysées ?, Et la Concorde ? (1) Et voilà qu'en fait nous avons tout juste croisé un peu moins de bagnoles - en plus que les un peu moins au lieu d'être respectueuses parce qu'elles étaient de trop, en profitaient d'autant plus pour foncer -, un peu plus de vélos (ça au moins c'était sympa, et puis comme ça on échangeait quelques mots, certains étaient exprès venus de grande banlieue, malgré le crachin qui ce dimanche persistait), même pas pu descendre les Champs Élysées qui à l'heure où nous voulions passer étaient interdits aux vélos même tenus à la main (2) et nous sommes faits renvoyer
par les rues adjacentes. Les purs piétons quant à eux pouvaient passer mais au compte-goutte puisqu'à présent, ce que l'on peut comprendre au vu des événements des deux dernières années et qui semblent ne plus jamais devoir cesser (3).
Nous nous en sommes donc retournés après une petite boucle réduite à vitesse réduite aussi (puisqu'aussi gênés qu'un autre jour ou quasi) - au temps pour moi qui avais espéré passer saluer mes camarades qui effectuaient un dimanche d'ouverture à la librairie -
un tantinet déçus, il faut bien l'avouer.
Comme l'écrivait un ami sur Twitter, ça n'était pas Paris sans voitures c'était Paris avec un petit peu moins de voitures.
Sans arrêt dans notre circuit nous avons dû faire attention à la circulation comme un jour ordinaire. À aucun moment nous n'avons eu l'impression que la rue était rendue aux vélos et piétons.
Il se trouve que je suis ressortie dans l'après-midi entre 14h et 16h30 et que la situation ne s'était guère améliorée (4). On aurait même dit que pas mal de gens, particulièrement des deux roues, qui avaient dans un premier temps fait l'effort, avaient fini par se dire, puisque c'est comme ça, moi aussi je prends mon véhicule.
Au point que dans un reportage très pro-journée sans voitures, à plusieurs reprises (5), on voit les bagnoles dans l'arrière-plan pas si lointain. Ce qui n'est pas sans un léger effet comique puisque les personnes interrogées disent combien c'est formidable, Paris sans ces engins.
Pendant ce temps ceux qui persistent à vouloir polluer (en oubliant qu'eux-mêmes vivent là et ont des poumons) hurlent leur colère sur les réseaux sociaux et insultent la maire de Paris, tout ça parce qu'on ose leur demander de faire preuve d'un peu d'intelligence et de civisme durant une journée.
Nous avons cependant fait une bonne petite balade que nous n'aurions pas tentée sans cette initiative, et dans une ville qui reste belle et qui malgré tout nous rend souvent heureux d'être là.
* * *
Rien à voir directement, mais il est difficile d'écrire quelques mots sur ce dimanche 1er octobre 2017, sans évoquer les nouvelles qui nous arrivaient de Catalogne par les réseaux surtout et un peu les infos au sujet du référendum sur l'indépendance que le pouvoir central de l'Espagne a déclaré illégal. Je n'ai pas d'opinion tranchée au sujet de l'indépendance de la Catalogne, je suis consciente de la complexité des enjeux et toujours un peu méfiante du combo (régionalismes, replis sur soi, glorification des traditions (lesquelles sont presque toujours ennemies du respect de la liberté des femmes)), méfiante également du côté oppressif des pouvoirs centraux. Il n'empêche que voir des gens pacifiques et non armés se faire tabasser par des forces dites de l'ordre qui s'efforcent de les empêcher d'aller voter est particulièrement révoltant et terrifiant. Je partage à tous points de vue
ce touite d'Attac France d'où l'image est tirée
* * *
Enfin, impossible de clore ce billet sans évoquer la mémoire de Philippe Rahmy, dont l'annonce du décès survient via Le Temps, alors que m'apprêtais à éteindre l'ordi. Nous espérions l'inviter à la librairie, j'en avais parlé il y a dix jours avec l'un des ses éditeurs qui m'avait précisé qu'il faudrait que ça soit avant le 15 décembre ou après le 15 avril en raison de la résidence d'écriture prévue. Quelle tristesse.
Un bel article à son sujet dans La Tribune de Genève
Son site, Rahmyfiction
Paris sans voitures paraît soudain d'une futilité méprisable. Mais sans doute que laisser le billet c'est aussi montrer à quel point l'annonce d'une mort peut être brutale, survenir alors que l'on relisait, un décès être inattendu et la peine éprouvée forte y compris pour quelqu'un qu'on avait tout au plus une et une seule fois croisé (mais son travail est inoubliable).
(1) Tous lieux de Paris où il n'est pas des plus agréables d'être un cycliste lors d'une quelconque journée
(2) Plus tard, j'ai appris qu'il s'était agi d'un défilé l'Oréal dans le cadre de la Fashion Week. Privatisation de l'espace public une fois de plus et de plus en plus.
(3) Dans l'après-midi même à la gare Saint-Charles de Marseille un de ces pseudo-terroristes surtout bien cinglé tuera au couteau deux femmes qui avaient le malheur de passer par là. Désormais n'importe qui fait n'importe quoi en se croyant investi d'une mission divine de combat.
(4) Il était annoncé que la journée sans voitures c'était de 11h à 18h. J'en étais venu à me dire que puisque nous avions circulé au début de cette plage horaire, peut-être avions-nous essuyé les plâtres, le temps que les voitures soient vraiment mises à l'arrêt ou sorties.
(5) À 0'53" puis vers la fin