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Se prendre en compte

 

    Il aura donc fallu un vol stupéfiant (1) et qu'on me demande si j'avais des factures pour que je prenne conscience d'à quel point soucieuse de ne pas dépenser de l'argent que je n'avais pas, ni de surconsommer, aimant aussi trouver une utilité aux objets qui m'échoient, je me traitais un peu mal et qu'il était grand temps que je pense à moi. 

Je faisais durer depuis des mois mon petit Mac Book Air parce qu'il avait une valeur affective et par souci d'économie, mais de fait je me privais d'un fonctionnement normal, ça faisait longtemps que je n'avais pas sérieusement "développé" mes photos parce qu'il saturait. L'écran était devenu trop petit pour ma vue déclinante.
Je faisais durer depuis des mois mon sac à dos d'ordi. Je l'avais obtenu dans le cadre d'un programme de fidélité de ma banque à présent changé pour un système de cashback qui ne me sert pas, puisque j'achète peu ou par nécessité immédiate et donc sans choisir où. Il était troué en dessous, les fermetures éclair se rouvraient.  Il n'était plus tout à fait sûr. 
Des pochettes qu'il contenait, une seule correspondait à un achat - elle était si pratique et je la regrette -. Les autres étaient plus ou moins des petites trousses publicitaires. L'une imperméable venait de chez ma mère. Dommage, sa seconde vie n'aura pas duré. 
Le portefeuille était une réclame d'il y a des années. J'en avais pris l'usage en 2009 lorsque je m'étais fait voler un autre que j'avais et que j'aimais bien.
Le cordon du téléfonino qui m'a été volé correspondait à mon nouvel appareil qui est un "faux gratuit" de mon opérateur.

Bon, la souris de l'ordi. était aussi un achat mais depuis quelques temps elle avait un faux contact, par moments. 

Mon fils a pu me dépanner fort gentiment d'un ordi immédiatement. Il s'était facilement offert ce que je reportais pour moi. Certes, il gagne sa vie depuis qu'il est apprenti et participe volontiers aux frais de fonctionnement de la maisonnée, mais pourquoi est-ce que j'admettais de me priver d'un outil en pleine forme alors que nous sommes quatre dans ce même logis. 

Mes autres objets achetés et volés étaient des livres mais c'est aussi lié à mon métier. Pas des achats de fantaisie, même s'ils me font plaisir.

J'avais la même paire de lunettes depuis plus de 5 ans. Certes c'est parce que ma vue de loin n'a pas franchement baissé mais quand même. Dès que j'ai à nouveau une mutuelle, je prends rendez-vous chez l'ophtalmo, il me fallait le faire de toutes façons.

Nous allons devoir changer la serrure de la porte. Des années que par moments elle se bloque ou avec certaines de nos clefs. Mais l'homme de la maison freinait pour la changer.  

C'est effarant à quel point je suis formatée pour ne pas dépenser. Des années de manque d'aisance. Des années de vie avec quelqu'un qui n'a pas une relation normale avec l'argent. Les fins de mois difficiles ont fini par avoir raison de ma résistance à son trouble.
Cela dit, par souci écologique et de ne pas surconsommer, c'est moi et moi seule qui suis incapable de remplacer quelque chose qui fonctionne et fait bon usage par un autre modèle simplement parce qu'il est plus joli ou plus à jour des dernières spécificités. Mais il est temps que j'intègre qu'il ne faut pas traîner avec un matériel qui commence à être défaillant sous prétexte d'être raisonnable. On se complique la vie et on facilite le non-remboursement pour cause d'obsolescence par une assurance éventuelle en cas de problème.

Il est temps que j'apprenne à avoir envers moi un minimum de respect. À prendre en compte mes besoins, à ne pas toujours les reporter à des jours meilleurs qui ne viendront peut-être jamais.

En attendant le nouvel ordi, vif, rapide, lisible, agréable, me réjouit. J'en éprouve un regain d'appétit de travail, d'énergie.

 

(1) que je n'aie rien senti ne m'étonne pas : depuis le 7 janvier 2015 je ne ressens plus les présences à l'arrière, ni n'ai conscience de regards posés sur moi si je ne vois pas la personne qui me voit. En revanche que les personnes à ma table n'aient rien vu alors qu'elles étaient en face ou juste à côté de moi m'étonne. Je ne m'étais pas même absentée le temps d'aller aux toilettes. 


Après le vol


    Je me suis donc fait embarquer mercredi soir alors que j'étais attablée avec une dizaine de convives à la terrasse d'une brasserie mon gros sac d'ordi avec dedans l'ordi et pas mal d'autres trucs. 
L'étrange est de n'avoir rien senti (il était pratiquement contre ma jambe gauche et que personne n'ait rien vu.

Je m'en suis rendue compte très vite, ai fait opposition immédiatement sur les cartes bancaires, changé avec l'ordi de la librairie les mots de passe de toutes mes principales appli. Ce matin fait opposition à ma carte de ce grand magasin anciennement culturel, vu mon conseiller bancaire, déposé plainte au commissariat du lieu du vol et qui est celui de mon lieu de travail. Mon fiston me prête un ordi qu'il n'utilise pas ou peu. 
D'autres démarches devraient suivre.

Je me suis aperçue alors qu'on me demandait pour les factures que ma besace ne contenait quasiment, à l'exception d'une pochette pour téléphone et d'une souris d'ordi que des cadeaux ou des gratuits. Que presque tout était au stade : il faudrait que je le change et je traînais par manque d'argent. 
Ce n'est hélas pas la première fois qu'un vol va m'obliger à me remettre à niveau question outillage. Je m'accorde sans doute trop peu de choses, à toujours faire passer le reste avant.


C'était donc un feu d'artifice


    Dimanche soir il pleuvait fort, limite orageux. Vers minuit à Clichy nous avons entendu des bruits d'explosion.

- On dirait qu'il y a de l'orage ?
- Non, on dirait plutôt un bruit de feu d'artifice. 
- Un feu d'artifice le 23 octobre ?
[temps de réflexion, chacun passe mentalement en revue ce qu'il sait des événements commémorables en cette soirée]
- Pourvu que ça ne soit pas un attentat.

Et nous étions si fatigués et, il faut le reconnaître, à la maison au complet, que sur cette vague inquiétude nous nous sommes rendormis.

Aujourd'hui j'ai entendu des gens qui avaient eu très peur et en parlaient dans le métro et #lefiston quand je suis rentrée m'en a parlé à son tour.

En fait il s'agissait d'un feu d'artifice tiré depuis la Tour Eiffel pour la série Sense 8. Les riverains immédiats avaient été prévenus, sauf que le feu d'artifice, bien que tiré assez bas par rapport à l'ordinaire des célébrations officielles, se voyait et surtout s'entendait sans rien de visible de bien plus loin.

En attendant il est déjà terrible de constater à quel point l'idée de l'éventualité d'un attentat nous vient vite, ainsi qu'un mode de fonctionnement totalement fataliste (Tout le monde est là ? On verra demain).

(et à part ça, même si on aime cette série, une preuve de plus de la privatisation grandissante de l'espace public ou du patrimoine commun et le peu de cas que l'on fait des gens qui doivent aller bosser avec un rythme classique)


Certains salauds seraient donc sincères (étonnements)

    

    Je poursuis donc dimanche après dimanche, lorsque rien de particulier tel qu'une course n'est prévue, la mise en carton des objets de la maison de ma mère. Le grenier avait été fait avant des travaux de remise au propre, les pièces du premiers étages sauf les placards fixes de la cuisine aussi - n'ayant aucune valeur mémorielle ajoutée sur les verres et les assiettes ou peu, j'eusse aimé déléguer cette tâche, mais mon premier assistant a fait n'importe quoi empilant ces choses fragiles comme si elles ne l'étaient pas -, j'en suis à la pièce du bas laquelle détient un grand placard mural qui m'occupe depuis deux fois.

Aujourd'hui ma progression méthodique m'a menée vers un angle où il y avait des livres, en particulier certains que j'avais offerts à ma mère.

Parmi eux une petite anthologie collective de poésie où se trouvait pour ma plus grande surprise un poème que j'avais écrit. Elle date de l'an 2000, vers le printemps.

Le poème n'est pas bon. Pas non plus de quoi avoir honte. 
Je l'ai reconnu et la mémoire m'est revenue de son écriture en le relisant. Le souvenir du fait d'anthologie est demeuré caché, voire inexplicable (Moi, postuler à une sélection POUR DES POÈMES ?).
Mon amnésie localisée peut s'expliquer : en l'an 2000 mes enfants ont 5 et 10 ans, je travaille comme ingénieure au faux temps partiel de 4/5 (OK pendant une journée, le mercredi, tu peux t'occuper de tes petits, mais la charge de travail n'est pas moindre que celle d'un temps plein donc les 4 autres jours sont de toute densité et les heures supplémentaires bénévoles la norme. Je chante dans une chorale, et il y a des concerts et des répétitions, en particulier pour l'un d'eux qui aura lieu au Champs de Mars pour Johnny Hallyday. Professionnellement la fin de 1999 a été exténuante, une course contre la montre pour désamorcer le "bug de l'an 2000" qui aurait bien eu lieu si plein de gens tels que mes collègues et moi n'avions pas passé en revue toutes sortes de vieux programmes dans tous les coins de tous les systèmes d'exploitation et aussi modifié toutes les bases de données dans lesquelles une valeurs d'année égale à 1999 servait de test pour déceler un enregistrement en erreur, voire était inscrite en dur pour certains calculs de durées. En mai je participe à un voyage glorieux de mon club de dégustateurs de whiskies. C'est seulement alors que je refais surface de l'épuisement. 
Du coup que ce petit poème soit passé à la trappe, écrit à un moment de ce séjour, dans un petit élan, ne m'étonne guère. La fatigue n'est pas l'alliée de la mémoire. Que j'aie oublié sa publication alors que j'avais dû en être fière sur le moment me surprend davantage.

Si on m'avait posé hier ou ce matin même la question : As-tu déjà publié de la poésie ?, j'aurais répondu en toute sincérité que non.  

Alors je comprends soudain comment peut fonctionner le déni que pratiquent si bien certains. Jusqu'à présent j'avais tendance, fors faits et gestes commis sous l'emprise de la boisson ou tout autre drogue ou personnes sujettes à des troubles psychiques, à croire qu'ils faisaient volontairement preuve de mauvaise foi. On fait ou dit un sale truc, on prétend comme un enfant, Non c'est pas moi.

En fait ils sont peut-être pour certains d'entre-eux parfaitement sincères ... et amnésiques de ce fait-là.

Si j'ai oublié mon petit poème et son impression alors que c'était quelque chose de joyeux que je n'avais aucune raison de souhaiter "perdre", il doit être d'autant plus facile et fréquent d'effacer de sa mémoire des éléments dont on pourrait avoir honte, que l'on souhaiterait oublier avoir dits ou faits.

Me voilà ce soir en train de repenser certains épisodes douloureux de ma vie, dont d'aucuns où celui qui me soutenait si fermement n'avoir pas dit ce qu'il m'avait confié que si je n'en avais pas eu de traces écrites je me serais crue devenir folle et laissée persuader d'avoir rêvé, à l'aune de cette nouvelle hypothèse : on peut parfois gommer entièrement quelque chose de sa mémoire, sans le vouloir, sans souhaiter tricher.

Je me demande ainsi ce qui est le plus triste : l'absence de fiabilité et d'exhaustivité de nos souvenirs ou d'avoir si longtemps cru à une cruauté volontaire de la part de personnes que j'avais tant aimées.

Contente, cela dit, d'avoir (re)découvert que j'avais un temps gambadé côté poésie. Contente de constater que ma mère l'avait pieusement gardé. 

 

PS : Rien à voir, mais lors de notre entraînement de course à pied en forêt nous avons croisé une meute de propriétaires de gros chiens nombreux (traîneaux, combats, bergers allemands ...), qui marchaient de conserve avec leurs animaux, beaucoup d'entre eux non attachés. Nous n'avons eu aucun problème nous abstenant simplement de courir le temps qu'ils soient passés, mais c'était très impressionnant. Un ou deux des chiens malgré leurs dehors féroces se sont même montrés affectueux et leurs maîtres nous ont presque tous salués comme il est d'usage en forêt, certains rattachant spontanément leur compagnon le temps de s'avancer. Mais qu'était donc cette brigade, comme des chasseurs sans fusils, qui cheminaient à trente ou vingt ? 


Le chiant Jacques

(ces jours derniers, à la librairie)

 

D'ordinaire je mets à la librairie la radio sur FIP ou sinon du silence, plus rarement quelque chose généralement classique que je n'ai pas eu le temps d'écouter avant de partir de chez moi. FIP a ceci de sympa qu'elle n'a pas de publicité, zéro, rien du tout, un bonheur, une programmation éclectique mais rarement clivante, ce qui pour une boutique est bien, et un petit flash d'info au 50 de chaque heure ce qui permet quand on parvient à l'entendre (1) de ne pas être totalement coupée du monde, malgré plus de 7 heures sans dételer.

Parfois un-e client-e me demande, C'est beau cet air, c'est quoi ? Et je regarde sur le site pour pouvoir renseigner cette personne lorsque d'aventure c'est une composition que je ne connais pas. 
Souvent je m'attarde après la fermeture pour régler un peu de tâches administratives en écoutant Jazz à FIP. Tranquille.

Et puis voilà qu'hier ils diffusaient un Jacques Brel, certes l'un des plus pesants (2) mais après tout ça n'est pas totalement dépourvu de sensibilité même si l'humanité des fournisseuses n'est pas envisagée. Et qu'une cliente qui venait chercher un livre précis s'est fâchée après lui, qu'il est lourd ce Brel, c'est insupportable, puis craignant de m'avoir contrariée si d'aventure j'avais mis ce titre par choix personnel, C'est la radio ? J'ai répondu que oui sans pour autant renchérir (3), car bien que quelqu'un me l'ait gâché, et sa propre misogynie, il me reste une admiration pour le poète, pour ses capacités d'épingler les choses de la vie, pour son implication en scène. Ça fait quand même un bon vestige. 
Certains en font des caisses, c'est ainsi leur façon. 
De toutes façons le temps que je me demande si elle aussi avait eu un #anotherTed pour lui ôter du Grand Jacques toute admiration, un homme qui sans être prédateur sexuel l'avait traitée en pion à déplacer sur l'échiquier de sa vie, et la rendre ainsi féroce (entre temps elle y était revenue, Il est insupportable, mais qu'est-ce qu'il est chiant !), elle était passée à autre chose, la radio aussi, et je cherchais pour elle un autre roman à lui proposer.

Le lendemain matin, au troquet d'à côté, un homme chantait, et plutôt bien, Le port d'Amsterdam a capella pour deux ou trois copains. Je me suis dit que c'était quand même quelque chose. Avoir su écrire et interpréter des chansons qu'un type dans la rue, peut avoir envie de chanter, longtemps plus tard (4) à ses potes qui l'écoutent, attentifs. 

 

(1) Un jour il faudra que j'écrive un billet sur LE client de l'heure cinquante, comme s'il suffisait que résonne le jingle du flash d'info pour que quelqu'un entre.
(2) Au suivant 
(3) Par un mécanisme de la nature humaine qui m'échappe un peu, les gens que quelque chose mécontente quettent toujours l'approbation de leur interlocuteur.
(4) Ça fera dans un an quarante ans qu'il sera mort.


Tu peux compter sur moi

C'est venu en statut FB mais je le dépose là pour ne pas l'oublier


 C'est impressionnant à quel point derrière chaque réussite dans un travail de création il y a à un moment quelqu'un ou plusieurs qui ont tendu la main à celui ou celle qui avait le quelque chose et l'envie d'y travailler. C'est un parent, un enseignant, un conjoint, un pote d'entre les potes, un autre qui en est passé par là, s'en est sorti et aide les suivants, parfois une relation qui joue le mécène. Ou alors : une fortune familiale qui permettait de n'être pas obligé de perdre sa vie à la gagner.
Depuis que je suis rentrée hier soir, je cherche une exception et n'en trouve aucune ou peut-être un seul mais je pense que sa femme joue un rôle plus important qu'il n'en a conscience (il n'a pas la charge mentale de l'intendance chez lui).
Depuis que je suis rentrée hier soir je me dis aussi qu'il y a des parents formidables à un point que je n'imaginais pas possible.

Le système économique dans lequel nous vivons nous pousse à être individualiste mais y a pas à tortiller, les êtres humains, quand on s'en sort pour des trucs bien (1), c'est toujours collectif quoi qu'on veuille nous inculquer. 
Notre individualité ne compte que dans ce qu'elle permet de contribuer, en étant le réconfort des précédents, la courroie de transmission des suivants, en laissant d'éventuelles traces qui les aideront ou en aidant ceux et celles qui sont à même de le faire. 

 

(1) Je ne parle pas de faire fortune et d'épuiser le monde entier


Prise de conscience


    Alors il y a eu le terrible #BalanceTonPorc , plus élégamment #MeToo dans d'autres pays (après avoir en Californie concerné celui qui a tant agressé) et des femmes courageuses qui écrivent un vrai texte (par exemple Celia), de très beaux messages d'hommes, d'amis élégants (par exemple Stéphane) et tu te rends compte que même si tu es moins surprise qu'eux tu n'en reviens pas de l'ampleur du déferlement de la parole libérée. On dirait que pas une seule femme n'a été épargnée par, au moins pire, des comportements ou des remarques déplacées.

Puis tu profites que le mardi est un jour de congé pour toi et que cette semaine tu n'as pas de rencontre en librairie à préparer pour te poser 5 minutes et pour une fois penser. 

Tu n'es pas sexy, juste normale, sportive, des vêtements pas provocants, très rarement maquillée, et pratiquement jamais en chaussures à talon. C'est un peu militant, un peu d'avoir les pieds plats et beaucoup d'aimer courir, voire d'avoir une vie, un métier qui nécessite de se déplacer, de marcher à grandes enjambées, de porter. Tu as des jambes musclées et pas interminables. Des seins petits et très discrets. Bref, tu as tout pour qu'on te foute sexuellement la paix.

Or ça n'a pas été tout à fait le cas, même en se disant que les mains baladeuses #ligne13 sont dues au taux de compression des usagers plus qu'aux penchants libidineux d'aucuns, tu dénombres quatre fois dans ta vie où tu as dû un peu te défendre parce qu'on tentait de te tripoter, voire plus même sans affinités. Tu as beau n'avoir rien pour, si ce n'est au siècle dernier ton air juvénile, tu ne sais même plus compter le nombre de fois où des hommes t'ont commentée, sifflée, accostée, proposé des trucs plus ou moins salaces ou étranges (1). Plusieurs fois des hommes que tu connaissais, en particulier par le travail, ont tenté comment dire des approches, particulièrement stupéfiantes parce que tu ne songeais à rien du tout de cet ordre avec eux. À chaque fois les choses en sont restées là, soit parce qu'ils tentaient comme à tout hasard, soit parce que tu n'as même pas pigé - c'est quelqu'un d'autre qui après coup, en en plaisantant, te permettait de comprendre -. Des femmes aussi ont tenté leur chance, sans doute induites en erreur par ton allure peut-être androgyne, mais c'était beaucoup plus subtil et sans insistance aucune (2).
Tu as pensé à chaque fois, Ben qu'est-ce qui lui prend, ou Pauvre type, il doit vraiment être seul [pour tenter le coup auprès de moi], le plus souvent Quel connard il a failli me faire rater mon train / arriver en retard au boulot. Tu n'as jamais été réellement menacée même si une fois tu as envoyé valdinguer un type sur le quai du métro, parce qu'ils étaient trois et que ça pouvait peut-être mal tourner.

 
Depuis quelques années et déjà parfois quelques témoignages tu avais compris qu'il s'était agit de harcèlement de rue. Que tu ne l'avais jamais identifié comme tel parce que tu es d'un temps où l'on considérait, Ben voilà, les hommes sont comme ça et que tu avais intégré comme bon nombre de femmes des générations précédentes que tant que ça s'arrête là, on n'y peut rien, c'est comme ça. Qu'aussi comme tu n'as jamais éprouvé de peur dans ces cas (aucun d'eux n'était armé), tu n'as pas eu de peine à exprimer ton refus assez fermement et assez de fois pour qu'ils se le tiennent pour dit, donc tu ne te percevais pas comme une proie. Tu pensais Y a certains mecs, j'vous jure ! 
Tu as pensé aussi que tu étais mal tombée, que c'était pas de chance d'avoir croisé ce type ou cet autre-là. Tu te disais même vaguement, quand même c'est pas de chance, il y a un mec bourré ou frustré et il faut que ça tombe sur moi. 

En fait tu n'avais pas imaginé que si c'était comme ça pour une fille comme toi, c'est que ça arrivait sans arrêt tout le temps à toutes (3). Que ce que tu prenais pour des coups de pas de chance, étaient en fait la norme déviante d'une société beaucoup plus patriarcale que tu ne le croyais. Et qu'en fait tu as eu de la chance, beaucoup de chance, dans bien des cas, que ça ne tourne pas mal pour toi.

Tu te rends compte en découvrant tant de témoignage que ta famille où les hommes n'étaient pas sans défaut, mais où les couples étaient très stables, ce qui évitait l'apparition d'un beau-père potentiellement libidineux, était remarquablement respectueuse des enfants - ce qui te semblait aller de soi, en fait ne serait pas si courant -. Certains oncles se "contentaient" plus ou moins discrètement (4) d'avoir une jolie maîtresse.

Bref, tu te rends compte que tu auras traversé tout un demi-siècle sur ton petit nuage sans voir ce qu'il en était. Tu te rends compte aussi que cette ignorance t'a remarquablement protégée.

En attendant, un peu comme l'écrivait Milky au sujet des révélations de famille, aujourd'hui j'étais un brin ralentie par la mise à jour de mon appli intime de perception du monde. Et puis une cohorte de petits flashs-back insidieux t'a tenu compagnie presque en permanence, des situations suffisamment un peu bizarres pour qu'elles te soient restées en mémoire, et que tu comprends à présent, le cœur un peu vibrant, Mais ... mais je l'avais échappée belle, en fait.


La légère consolation de cette prise de conscience étant que se révèlent alors remarquables certaines attitudes qu'ont eue des hommes à ton égard et qui te semblaient certes sympas mais normales alors qu'elles étaient classes. Et puis une immense gratitude envers ceux de tes amis et proches qui ne sont pas comme ça, ou ne le furent qu'entre 13 et 15 ans, le temps de s'accommoder de leur propre corps, et qui sont encore plus stupéfaits que toi, et écœurés (il y en a).

 

 

(1) Une fois c'était juste et principalement hilarant, le type était jeune et bien balancé, pas du tout agressif mais j'étais déjà vieille, et notre conversation a très vite pris un tour cocasse. Il n'empêche j'étais ligne 14 et il m'avait abordée pour me faire des propositions d'ordre sexuel que je n'avais en rien sollicitées. Pour tout dire au début j'avais cru à une blague.  

(2) La différence entre une tentative de drague et quelque chose de bien plus invasif.
(3) Quand tu recueillais les confidences des amies tu supposais que c'était qu'elles étaient très jolies et que les hommes n'avaient pas su se tenir ce qui n'était pas bien, mais que le fait qu'ils éprouvassent du désir difficile à contrôler pouvait se comprendre. Ou tu te disais qu'elles étaient tombé sur un fou échappé de l'asile.

(4) Impossible de savoir si ce que je percevais, captais venait d'une absence de discrétion de leur part ou de ma trop grande attention au monde, j'enregistrais, et mentalement j'écrivais. Dans deux cas ils ont supposé sans doute que je ne comprenais pas.


La chute d'un prédateur


    Ainsi donc cet homme dont il était de notoriété publique qu'il abusait des femmes et du pouvoir lié à sa situation vient enfin de tomber, signe parmi d'autres que peut-être les temps ont changé. 
Je n'ai pas eu le temps, prise par mon travail de lire beaucoup d'articles mais il m'a semblé qu'il a suffit qu'une femme ait le courage et la force et sans doute suffisamment de preuve pour porter plainte et bon nombre de celles qui se taisaient ont à leur tour osé parler.

Je lis ce soir cet article de Ann Helen Petersen sur BuzzFeedNews qui est fort juste à pas mal de points de vue : 

Here's why so many women knew the rumour about Harvey Weinstein

Et cet article de The Onion dans son côté parodique vise juste :

'How Could Harvey Weinstein Get Away With This?’ Asks Man Currently Ignoring Sexual Misconduct Of 17 Separate Coworkers, Friends, Acquaintances

J'ai vraiment le souvenir que lorsque j'étais jeune femme il était de notoriété publique qu'il fallait se méfier des hommes de pouvoir, tous, sauf à vouloir tenter de jouer plus forte à leur jeu. On ne savait pas trop si on admirait ou méprisait celles qui s'y risquaient.

Il n'était pas envisagé qu'ils puissent changer un jour, ni leur impunité. C'était une sorte de fatalité. On ne pouvait rien faire contre, seulement apprendre à faire avec, à tenter de n'être pas atteinte.

Pour ma part, ça me laissait indifférente, je m'estimais trop peu séduisante pour risquer d'être concernée, je n'ai jamais eu peur d'aucune hiérarchie, et je savais me battre. Je participais cependant à ma hauteur à ce réseau diffus de mises en garde croisées. Il m'est arrivé de jouer le rôle de la personne qui évite à une autre d'être seule en présence d'un homme potentiellement harceleur. Il m'est arrivée d'avoir "du mal à le croire" car certains prédateurs désignés peuvent se montrer à leur heure hommes charmants.

J'ai eu un collègue jadis qui a "mal tourné", mais heureusement il se contenta de faire des propositions déplacées à la plupart des femmes qui se trouvaient dans sa zone professionnelle. Je me souviens que j'étais à de telles lieues de songer à lui ainsi que j'avais eu un mal fou à piger. Dans ces cas-là ça ne peut faire qu'empirer les choses car l'agresseur prend l'absence de réaction de repli comme un indice favorable voire d'acquiescement. 
Heureusement ce malheureux hommes n'abusait pas : une fois les choses dites, il n'insistait pas et ne tentait pas de jouer de son pouvoir - il avait un peu de hiérarchie -, du moins à ce que j'aie su.

En fait n'étaient considérés comme abusifs que les cas où les promesses explicites ou tacites n'étaient pas tenues. Sinon la "promotion canapé" était perçue comme une alternative établie à la promotion par le mérite. Ni l'une ni l'autre ne rivalisaient réellement avec la promotion par l'ascendance et leur variante presque démocratique, le fonctionnement en baronnies. La "promotion canapé" pouvait être une variation de ce dernier.

Je suis plutôt réjouie d'assister à la fissuration de ce système via un cas emblématique (mais hélas pas isolé). Pour autant je crains que le chemin ne soit encore fort long avant que les victimes de telles pratiques n'aient toute latitude pour oser parler.
Et puis il y aura inévitablement de plus en plus de fausses victimes (1) qui une fois démasquées feront du tort à la cause générale des personnes abusées.

Quoi qu'il en soit, les temps changent. 
Parfois en bien.

J'espère que je vivrai assez vieille dans une planète encore suffisamment vivable pour assister au moment où les performances physiques sportives des hommes et des femmes s'équivaudront. Les abus et les dangers devraient alors nettement diminuer.

 

(1) Parce qu'il y aura des sous à gagner en intentant des procès, que ça sera plus facile d'obtenir gain de cause. Milky m'indique en commentaires qu'on a encore une marge folle
et je crois important de l'intégrer au billet 

PS : Un hashtag sur Twitter, qui ne me convainquait qu'à moitié mais j'ai quand même participé car le mouvement me semblait nécessaire, #balancetonporc a été énormément utilisé. J'ai pris conscience à cette occasion, que moi qui ne suis pas une femme sexy et qui m'habillais corporate sage du temps de l'Usine et le plus souvent simplement sportive, rien de provoquant et qui ne me place pas dans un registre de séduction, j'avais si je le voulais une foule d'exemples qui me venaient. Je n'en ai choisi qu'un, parce qu'il y avait prescription parce qu'il m'avait semblé significatif de l'attitude de certains hommes qui semblent parfaitement respectueux et dont on s'aperçoit un jour qu'ils ne pensaient qu'à nous sauter dessus. Je me dis en conséquence que mes consœurs séduisantes doivent vivre dans une tension permanente, un qui-vive nécessaire, dont je n'avais pas idée ; sans doute mais dans une moindre mesure puisque je savais déjà bien des choses, comme certains hommes de bonne volonté qui ont découvert tout ça horrifiés. 
J'ai pris également conscience que bien des situations que j'ai rencontrées, et parce que je les ai traversées sans me percevoir en danger et aussi parce qu'il fut un temps où l'on était envers les hommes fatalistes et indulgentes - ils sont comme ça on ne les changera pas (typiquement : les photos de femmes nues dans certains lieux de travail ou de bricolages, et que j'ai toujours perçu pour ma part comme un aveu de faiblesse) - n'étaient en fait pas franchement acceptables. Qu'il suffit d'imaginer ce qu'on penserait si la même situation se présentait en inversant les rôles pour voir à quel point elle n'est pas respectueuse.

 

 

 


Claude Pujade-Renaud chez Charybde

Rencontre Claude Pujade-Renaud

En réouvrant l'ordinateur de la librairie, tout à l'heure, je me suis aperçue que la veille en arrivant j'avais commencé un billet pour annoncer la rencontre du soir même avec Claude Pujade-Renaud à notre librairie. 
Mais j'ai eu tant à faire que les choses en étaient restées là : le titre et avoir téléchargée l'affiche de l'événement, ne pas même l'avoir déposée sur le billet esquissé. 

Du coup, c'est au lendemain que je complète le billet, cette fois-ci pour dire que la rencontre a eu lieu, que nous avons causé beaucoup de William Faulkner et un peu du travail de Claude, et que ce fut un grand honneur et un grand bonheur pour moi.

La photo a été prise par Nathalie (Peyrebonne) que je remercie parce qu'en plus elle me fait marrer, avec mes origines italiennes que je ne peux renier. 
(Mais bon quand je seras grande je voudras faire de la radio, pas de la télé, alors ça n'est pas grave si je cause avec les mains)