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parfaite dans son genre (Une journée)

 

    Notre première dédicace collective - et qui m'a mise en joie, j'ai pensé au travail de Grand Corps Malade Il nous restera ça -, des clients juste ce qu'il fallait compte tenu de tout ce qu'il y avait à faire, un peu de mode coursier, nager pour commencer, danser pour terminer, les amis du triathlon - que j'ai l'impression de connaître depuis toujours alors que nous avons fait connaissance il y a un an seulement. 

Une amie qui me fait la bonne surprise de passer. 

Une rencontre qui trouve sa date.

Être efficace dans le boulot - le plaisir qu'il y a à sentir les choses avancer -.

De la chaleur, la petite parcelle d'été dont le mauvais temps trop précoce nous avait privée.

Un lieu comme hors-sol à Saint-Ouen et repérer l'entrée grâce au vélo d'un ami (1).

 

Dans son genre c'était parfait. Manquait seulement l'homme de la maison (2). 

Manquait du temps personnel et de l'écriture.

Traînaient encore les usual tristesses et celle plus particulière du départ de l'un de mes cousins. J'éprouve du mal à faire le deuil de sa présence parmi nous. Et je ne sais que trop ce que ma cousine peut ressentir. J'éprouve aussi toujours un immense désarroi lorsque se dévoile le côté mister Hyde de personnes que j'admirais.

(et puis comme toujours dans ces cas, des sortes de pensées bizarres qui traversent le cerveau, par exemple m'être dit que c'était bien que ma mère soit morte avant d'avoir su, puis prendre conscience de ce que signifiait vraiment ce qui venait de se penser et se dire Mais ça va pas la tête ?).

Les semaines filent à vitesse folle. Être heureux au travail, c'est miraculeux. 

 

(1) Ça ferait une jolie scène comique dans un film, marcher à grand pas en cherchant un café et voir le vélo et faire quelques pas de plus avant que l'info ne parvienne au cerveau : si le vélo de Martin est là, c'est que cette entrée qui semble fermée est peut-être bien celle du Mob Hôtel.
(2) En mission normande de récupération de quatre des objets volés et qui étaient conservés à la gendarmerie ; accessoirement de petits moments festifs avec les voisins, ce que je ne peux comprendre qu'à demi : comment peut-on célébrer l'enfermement de quelqu'un [même s'il nous a fait du mal] ?


Les jours heureux (au travail (pour le reste, un peu moins))


C'était une belle belle intense journée de boulot, de celles où tout s'enchaîne, de messages le matin jusqu'en soirée organisée. Avec le sentiment de pouvoir faire avancer les choses et un ami qui m'a fait une joie immense en acceptant de venir comme auteur invité alors qu'il viendra de pas sauvagement tout près.

Du coup les tracas immobiliers (vente qui tarde, diagnostic douteux), et ceux de victimes de vol (dans l'autre maison, en Normandie) ne semblent pas si forts. 

Nous avons récupéré quatre objets dont l'un n'était pas celui que l'on croyait. Par rapport à tout ce dont nous nous sommes faits dépouiller, c'est peu. Cette affaire nous aura coûté environ 1500 €, plus que ce que je gagne en un mois. 
Les propriétaires ont fait vider la maison qu'occupait le voleur, réparer la porte du type qui était cassée également et changer la serrure. Il est probable que l'homme ne reviendra plus. Je me dis que dans deux ans mettons il sortira de prison et qu'il sera sans affaires personnelles et sans toit. Alors il ira ailleurs et il recommencera. Ça semble sans issue. Il a eu sa chance avec cette femme de la petite ville qui l'aimait, qui a tenté de briser le cercle des poisses successives, qui se cramponne à son dur boulot. Mais il est incapable de rester stable bien longtemps. Et d'avoir le courage d'endurer un de ces jobs physiques de ceux destinés à qui n'est pas qualifié.

Je pense à ce cousin par alliance qui a si brutalement quitté la famille. Qui nous a raconté à chacun des craques à des degrés divers. J'ai l'impression que nous avons tous été victimes d'une escroquerie affective. À nouveau me revoilà en train de me poser la question de Comment cet homme-là a-t-il pu agir ainsi, prétendre ce qu'il a prétendu, se révéler si différent de celui qu'il était ?
C'est peut-être la quatrième fois de ma vie que ça m'arrive : avec V. dont l'amitié semblait si solide et sincère, avec le grand B. qui semblait si respectueux mais non, Emmanuel R. volatilisé. Il y avait eu aussi Bernard, mais son cas était différent (1).
D'autres m'ont aussi menée en bateau, mais disons que c'était d'une certaine façon prévisible, que ma confiance en eux avait su rester raisonnable. La révélation n'est alors qu'une pénible déception. Pas de ces moments qui font douter de tout et de tous. 

Difficile de ne pas songer à ce film de Woody Allen dans lequel le jeune qui se met à avoir des idées ultr-réac. est en fait atteint d'une tumeur au cerveau.
Ou à l'histoire de Jean-Claude Romand, et soudain on se surprend à se sentir soulagé que ça n'ait pas fini aussi mal.  

Je m'efforce de me dire que certains des moments étaient sincères, l'étaient vraiment et que c'est seulement à partir d'un instant donné que les choses ont pu dévier. Que la personne de maintenant avec ce qu'elle a fait ou déclaré n'est plus la même que celle qu'on appréciait mais que celle-ci a réellement existé. Qu'on varie tout au long d'une vie.
Il n'empêche que ça fait mal. 
Apprendre que celui qui m'avait si souvent donné des conseils si avisés et qui m'ont plusieurs fois aidée a pu se comporter comme un affabulateur et un bourreau affectif et que dans son travail il maquillait la situation de son entreprise, et que ce que j'avais pris pour un succès était un échec en fait (2), me laisse sciée. Et il y a suffisamment d'indications concordantes pour que je sache que ce que j'ai appris récemment n'était pas inventé.
Bon sang, mais pourquoi ?
Tout est-il tout le temps faux, dès lors qu'il s'agit d'humains ? 

 

(1) Il avait pendant des mois (années ?) prévu son suicide minutieusement. S'inventer une reconversion faisait partie du processus. Nous y avions tous cru. Elle était absolument inventée et il est allé mourir au premier jour théorique de sa nouvelle carrière.
Avait-il d'autre choix s'il voulait qu'on le laisse mourir en paix et également nous protéger de tout sentiment de culpabilité (nous sommes exemptés du fait de n'avoir pas su deviner, il avait tout tellement bien organisé pour faire écran de fumée).
(2) Dû pour partie à des repreneurs qui n'ont pas tenu leurs engagements. Il n'empêche que ça n'est pas l'exemple de succès qui de loin (je n'avais pas les mêmes aspirations, mais la recherche d'une dynamique) m'inspirait.

 

 

 


C'est quoi ce rhume ?


    Jeudi soir nous recevons Gilles Marchand à la librairie, et c'est un moment où je fais partie de ceux qui présentent, je me sens bien, je suis à l'intérieur de l'action, aucune subroutine du cerveau qui part dans d'autres directions (1). Tout au plus lors d'un bref passage que je lisais à voix haute ai-je eu l'impression que ma voix était légèrement voilée, pas comme d'habitude. Le genre de choses que l'on se dit après coup, mais qui sur le moment se remarquent à peine.

Vendredi matin réveil pourvue d'un gros rhume déjà bien avancé, tous les symptômes y sont, nez qui coule, état fiévreux, voix rauque, toux, respiration avec efforts. C'était comme si d'un seul coup j'étais au 3ème jour d'un mal déjà déclaré.

Vendredi et samedi, capable de bosser mais sans élan, avec du mal à parler (sympa pour les clients), la fièvre facilement tenue en respect par les anti-rhumes courants.
Dimanche matin, sans doute un accès de fièvre si fort que je suis au bord du malaise - passé l'étourdissement et un moment de sommeil je me réveille comme si le rhume n'était qu'un mauvais souvenir -. Je parle encore un peu du nez, le son de la voix voilé.
Dimanche et lundi à part un peu de toux au réveil le lundi matin et qui disparaît avec la verticalité, je me sens certes un peu fatiguée comme après avoir été malade, mais guérie. Comme si le rhume avait une semaine.

Mardi matin à nouveau l'état grippal, comme si j'en étais revenue au samedi, comme si les deux jours de mieux n'avaient pas eu lieu. Pas pu pratiquer de sport, et d'ailleurs des courbatures même sans. Je me hasarde jusqu'au stade où j'aurais dû avoir un entraînement de course à pied, mais rien que de parcourir en marchant les 800 m qui m'en séparent, j'ai la tête qui tourne. Les jambes sont en coton douloureux depuis le matin.

Les autres membres de la famille depuis ce week-end sont tous aussi plus ou moins toussoteux. Rhinopharyngite a dit le médecin à celle qui est allée le voir.  Je nous suppose atteints par la même affection. 

En attendant c'est quoi ce rhume qui va qui vient, qui s'abat d'un coup, semble guéri mais non ? 
Je suis allée voir mon kiné, il m'a au moins remis le corps dans l'ordre (2).

J'irai bosser demain, pas question de ne pas. Mais dans quel état ?
(je crois que je suis en train de payer l'absence de repos lors de mes brèves vacances liée au voisin voleur ; et le cumul familial des chagrins, les révélations successives (qui ne la concernent pas directement) autour de la mort de ma mère, du simple fait que les obsèques ont fait qu'on devait les uns et les autres se voir, les personnes dont je croyais qu'elles allaient bien que leur vie suivait leur petit bonhomme de chemin alors que non, que pas du tout)

 

(1) En période de deuils c'est toujours un risque
(2) La fièvre, les états grippaux me donnent souvent l'impression d'avoir les vertèbres dans le désordre, les membres ailleurs qu'à leur place, d'être un Picasso tardif ambulant


Après nos fins

 

    À l'occasion d'heureuses (oui, heureuses, les uns et les autres vous vous aimez bien et c'est l'emprise de la vie quotidienne qui vous a éloignés tandis que les kilomètres qui séparent vos villes de résidence n'arrangeaient rien ; il y a aussi qu'avec l'Internet tu as cessé de téléphoner et qu'eux n'étaient pas des internautes, tes aînés) retrouvailles, vous découvrez ce par quoi vous en êtes passés, des maladies graves des enfants, des ruptures, des contextes professionnels pas tout à fait que ce que vous croyiez savoir ...

Tu sais avoir une bonne mémoire jusqu'à présent, du moins pour les choses affectives, alors tu es persuadée que ce que tu découvres à présent, c'est que tu ne l'as pas su, ou alors en mode totalement hors de proportion avec ce qui se tramait (La petite x... , elle n'est pas très en forme en ce moment, par exemple, pour dire une maladie qui rétrécit l'avenir de qui l'a développée). En fait la génération du dessus, qui détenait les nouvelles et que chacun supposait avoir fait le boulot de mettre au courant ses propres enfants (1) n'a rien transmis. L'une n'a pas dit, ou l'autre n'a pas redit. J'imagine bien ma mère nous voyant aux prises avec nos propres problèmes, de boulot, de maladies chroniques, d'argent malgré de bosser dur et de dépenser peu, a peut-être préféré ne pas nous alourdir, sachant combien j'aimais mes cousin-e-s, et s'est tue. Peut-être aussi n'avait-elle tout simplement pas su.  

Depuis février, à chaque personne que nous revoyons (2) c'est une trentaine d'années d'historique qu'on se mange au rattrapage. Pas que du triste, il y a des choses bien. Notamment les femmes qui ont réussi de belles choses d'un point de vue professionnel et ne s'en sont pas vanté et personne n'a eu la bonne idée de colporter.

Ce sont aussi des éléments de l'histoire familiale qui se révèlent pourvus d'autant de versions que d'issus de survivants. Ainsi la mort de ma grand-mère maternelle en Normandie quelques mois après le débarquement et de celles d'un petit garçon qu'elle venait de mettre au monde a autant de versions qu'il y avait d'enfants grands qui avaient survécu. Le point commun étant : tomber malades et ne pouvoir être soignés, du fait des circonstances. Ils se meurent quand tout le monde festoie. Les médecins et même les prêtres sont avec les soldats. Les maisons sont des courants d'air qui n'ont pas ou plus de toits.

Aucune version n'est plus ou moins glorieuse ou dramatique qu'une autre, c'est la maladie qui change ou même (dans mon cas) l'ordre des décès. Le fait est que ma mère ou ses sœurs n'en parlaient jamais, les très rares fois ou elles faisaient l'effort - généralement pour répondre à nos questions d'adolescent-e-s - leur mémoire avait peut-être enfoui les précisions. Nous portons de fait toutes, nous les filles de la génération suivante, le poids de la mort prématurée de cette grand-mère remarquable, dont toutes les traces restantes nous laissent à penser qu'elle fut une femme d'une force de caractère hors du commun. Nous portons également une succession d'enfants grandissants qui n'eurent pas lieu, chaque génération soumise à des impératifs de guerres, maladies, morts, nécessités économiques. Ça se paie un jour, inévitablement.

Mon naturel optimiste (que je tiens peut-être de cette femme, sa force de combat, ou d'une belle part de fantaisie venue de mon côté d'Italie, salut Enzo !) fait que je persiste à penser que nous ne nous en sommes pas si mal tirées.

De façon plus contemporaine, il y a aussi que depuis 1994 nous avons perdu un rendez-vous annuel chez l'oncle et la tante qui avaient une maison assez grande et un immense jardin. Personne n'avait les moyens, ne seraient-ce que géographiques, de prendre la relève.

Il y a également que chacun a pu supposer que l'autre avait été mis au courant, s'était peut-être désolé du manque de solidarité, de soutien. Et que, passé le pire, ceux qui étaient concernés n'avaient pas envie d'en reparler (3), ce qui fait qu'à l'occasion suivante, rien n'avait filtré des épreuves traversées.

D'autant plus qu'on n'a pas envie d'être définis par sa maladie ou ce qui peut handicaper.
D'autant plus que ces dernières années nous ne nous sommes croisés le plus souvent qu'à des enterrements. Ce ne sont les bons moments ni pour confier des ennuis ni pour se vanter.
D'autant plus que le capitalisme sans opposition puissante, qui est depuis plusieurs décennies le système économique prévalant, génère une concurrence permanente sur tout tout le temps. La maladie qui commençait tout juste à n'être plus honteuse (4) devient facteur d'exclusion même après rémission. Alors on la tait.

En attendant, nous avons perdu beaucoup de temps à rester éloignés, écopant chacun dans notre coin, tentant de nous en sortir. Le regret de n'avoir rien su et donc été absente est chez moi tempéré par le fait que j'étais toujours trop prise par mes propres combats pour pouvoir réellement assurer une présence aux autres. J'espère que nous parviendrons à retisser les liens, à présent qu'on sait que l'on ne savait pas.

Je vais désormais essayer, si le travail et les santés des uns et des autres m'en laissent la disponibilité, de venir aux nouvelles et aussi d'en donner. Qu'elles soient mauvaises ou bonnes, sans dramatiser ni exagérer.

Et je retiens la belle idée de ma marraine d'une fête pour remercier un jour tous ceux qui lors des différentes épreuves m'ont aidée. Restera à trouver un moment favorable, un endroit, un budget. Elle sera aussi la fête des fêtes que l'on n'a pas faites.

 

 (1) On s'amuse rarement à prendre soi-même le téléphone ou le stylo pour annoncer à toute la famille l'annonce d'une grave maladie ; au mieux, on appelle une fois le pire passé, pour dire qu'il y a eu ça, mais qu'on s'en est pour l'instant tiré. 
(2) Elle semble avoir eu lieu dans les deux sens, la non circulation de l'information.
(3) Surtout à ceux qui, ignorant tout, ne s'étaient pas fendus du moindre mot, de la moindre visite à l'hôpital, par exemple. 
(4) Je n'ai jamais compris que l'on use de périphrases pour désigner des cancers, a priori ni contagieux ni liés (à part le cancer du poumon et fumer) directement à une activité précise.


La responsabilité du "don"

C'est quelque chose qu'il m'est mal aisé de concevoir, et j'hésite sur le terme même, mais voilà on peut naître avec quelque chose en soi qui nous place en différent, ça n'est pas forcément aussi visible qu'un violon dans la tête, et cette différence s'apparente parfois à un cadeau du ciel. 

Il faudra alors beaucoup de travail pour que ce cadeau ne se transforme pas en malédiction. 

Lorsque l'écriture me semble un fardeau - moins depuis que j'ai du bonheur au travail, lequel est lié aux livres même si ce sont ceux des autres, j'ai cessé de souffrir loin des mots écrits dans des tâches pour moi in-sensées -, je vais volontiers rechercher l'énergie vers les plus jeunes, ceux qui se sont trouvés à devoir assumer "quelque chose" immédiatement. C'est terriblement le cas avec les garçons qui ont une voix exceptionnelle avant leur mue : c'est pour eux maintenant ou jamais. Aksel Rykkvin me semble, j'espère ne pas me tromper, être de ceux qui ont intégré leur don et la part de responsabilité qu'il induisait, avec une maturité exceptionnelle. Il ne donne pas l'impression d'être là parce que les adultes alentours ont flairé la bonne affaire. En tout cas pas seulement.
Le chant est très particulier, il engage le corps et l'âme, j'ai suffisamment pratiqué (1) pour mesurer l'exploit que cet enfant, bientôt jeune homme accomplit.

En regard de la voix, l'écriture est un fardeau modéré. Quel que soit celui qui nous échoie, ça n'en demeure pas moins une responsabilité.

J'ignore un peu pourquoi.

 

(1) avant de devoir arrêter par incompatibilité calendaire avec la #viedelibraire et qu'aussi les cours de chant coûtent vite une fortune dont je suis dépourvue.


Soirées littéraires

    Cette semaine, sorties 4 soirs sur 7 : 2 en tant que libraire invitée par des éditeurs, 2 en tant que libraire contribuant à inviter des auteurs. William Boyle, Don DeLillo, David Lagercrantz, Cyril Dion et Gilles Marchand.

Pour ce dernier c'est demain jeudi 21, à partir de 19h30 et vous êtes les bienvenus.

Comme nous sommes à Paris, et que c'est une jolie petite ville en fait, je me suis retrouvée un midi à prendre le café en compagnie d'une amie (c'était prévu) et d'un autre auteur (qui passait par là). 

C'est une vie d'une intensité et d'une richesses d'échanges comme je l'ai rarement connue et comme je n'aurais jamais cru pouvoir connaître. Je savoure chaque jour, consciente d'un immense privilège. Écouter Cyril Dion ce soir, avait quelque chose de magique, ou d'en tout cas formidablement réconfortant. Sa manière de voir les choses en face sans pour autant se résigner à ce qu'elles aillent si mal est sans doute contagieuse.

(car pendant ce temps le vaste monde va mal, si mal, qu'il est difficile d'en faire abstraction, mais voilà de quoi puiser quelques forces afin de résister tant qu'on le peut encore)

 


Il est des jours, parfois, qui ne nous appartiennent pas

Au fond ça aura commencé dès le matin, avec le réveil très très matinal de l'homme de la maison, lequel m'aura fait perdre un rêve.

Puis il y aura eu ce coup de fil alors que je partais. Un 06 inconnu après une sonnerie sur le fixe, que nous ne décrochons jamais : ceux qui nous connaissent ne l'utilisent pas, donc un appel du fixe c'est forcément une requête. Quelque chose me dit qu'il faut que je rappelle, même s'il n'y a pas de message. 

Je fais bien : il s'agit d'un des officiers de police judiciaire chargé du cas de notre voisin voleur, lequel a reconnu les faits ... et doit passer le lendemain en comparution immédiate.

J'ai des papiers à signer, qu'il me faudra scanner et renvoyer. Une foule de questions se posent : faut-il se constituer partie civile, prendre un avocat ? 

La librairie n'attend pas, il me faut y passer chercher un carton de retours, le déposer à l'un des comptoirs de diffuseurs, y prendre une commande.

L'après-midi passera comme ça, entre librairie et appels liés à notre polar personnel et qui au vu du très courts délai ne peuvent être différés.

Pour finir un appel de l'homme alors que je me dirigeais vers le métro.

Au fond je n'aurais eu "à moi" que le temps du trajet, que j'emploierai à la lecture du roman d'Erwan Larher, "Le roman que je ne voulais pas écrire". 

Une fois à la maison, et contrainte par le manque de temps de manquer une soirée de fête en l'honneur d'un excellent roman, c'était reparti  pour une session de paperasses, avec une lettre plutôt délicate à tourner, celle pour tenter d'expliquer à un président de tribunal qu'on ne souhaite pas engager des poursuites de ouf à l'encontre du contrevenant mais en revanche recouvrer notre (légitime) paix et que les intrusions cessent.

Il y aura eu aussi des nouvelles sombres de la famille - se souvenir une fois pour toute que lorsque les gens se montrent silencieux c'est le plus souvent qu'ils ont du sérieux tracas -, un petit coup de harcèlement de rue (j'ai plus de cinquante ans, je n'en reviens pas), un autre de dysfonctionnement de  ligne 14 celle-qui-n'a-jamais-de-problème mais là si, un souci d'allocations Pôle Emploi qui n'arrivent pas (1), un paquet coincé dans la boîte à lettres, les propos divaguants de l'homme comme à chaque fois que dans l'affaire du voisin voleur il y a rebondissements (2), des appels d'agents immobiliers auxquels je n'ai pu répondre, un repré qui reviendra (nous nous sommes curieusement manqués par deux fois), quelques textos réconfortants amicaux.

Comment peut-on traverser une entière journée avec si peu de temps personnel que : deux trajets, un café, et l'écriture de ce billet ?

 

 

(1) pas pour moi 
(2) à croire que la pression exercée par la situation l'a rendu fou.

 

PS : Merci infiniment à Nicole Masson ainsi qu'à son ami avocat qui a bien voulu prendre de son temps pour m'expliquer la procédure.


Bilan de l'an (2016 / 2017)


P6242099_2Pour moi les années depuis l'enfance n'ont jamais cessé de fonctionner selon le découpage des années scolaires. Tant il est vrai que fréquemment et aussi pour le métier que j'ai adopté (ou qui m'a adoptée, devrais-je dire), les rentrées sont dites de "septembre" (1), les choses fonctionnent ainsi. Janvier n'est pas le début d'une nouvelle phase mais le deuxième trimestre d'une "saison" du théâtre de la vie.

 

2011/2012 commencée encore un peu triste d'un chagrin de l'hiver d'avant avait eue une fin merveilleuse. Et 2012/2013 avait été une des plus belles années de ma vie sauf sur la fin où le cumul d'une rupture subie avec la perte d'un emploi avaient été rudes. Au bout du compte le vrai mois de vacances (dont j'ignorais qu'elles allaient être mes dernières d'avant longtemps) lié à la fin de mon travail me permit sans doute de ne pas sombrer. J'ai fait du sport. J'ai dormi autant qu'il le fallait. Lu, aussi. Et puis j'étais dans ma Normandie qui en ce temps là était encore un havre de paix.
2013 / 2014 avait été une année difficile même si au printemps j'avais retrouvé du travail, problèmes de santé pour l'un des membres de la famille, qui engloutissent des brèves vacances - ce qui est très secondaire mais marque le début de plusieurs années sans plus de vraie période de récupération -. 2014 / 2015 alors qu'à l'automne on reprend espoir (mais que l'automne est marqué par la mort d'une de mes tantes) tombe l'attentat du 7 janvier et ceux des jours suivants.

La vie ne sera plus jamais pareille. Par ricochet je perds une seconde fois quelqu'un qui avait tant compté pour moi, en plus d'avoir perdu un ami assassiné. 
Je crois que c'est le moment de mon existence où l'expression "ne plus savoir à quel saint se vouer" prenait tout son sens, car plus rien n'en avait. C'est le moment, après un problème à un pied qui était sans doute une fracture de fatigue mal diagnostiquée, où je prends, c'est rare, une décision, celle d'arrêter un job que je ne parviens plus à tenir avec efficacité et qui ne parvient pas à me laisser payer les factures. Je m'impose un épuisement qui n'a pas de sens, de mois en mois se creuse notre manque d'argent.

2015/ 2016 c'est l'année d'une nouvelle tentative de se relever après avoir été mise KO par l'adversité. J'avais grâce à une amie, une jolie perspective professionnelle toute neuve et qui me plaisait bien - en plus qu'assise à un bureau, ce qui convenait à mon état physique boitillant d'alors -, en compagnie d'une personne avec laquelle je m'étais immédiatement sentie bien. J'allais apprendre de toutes nouvelles choses dans le traitement de la photo. 
Les attentats du 13 novembre pulvériseront cette perspective : celle qui aurait pu être ma future collègue était au Bataclan, s'en sort mais non sans séquelles et par conséquence de conséquences le poste prévu est supprimé.
C'est très étrange d'être par deux fois parmi les victimes de 3ème ou 4ème niveau d'attentats dans la même année. Impactée par les ondes de choc d'événements enchaînés. Ce n'est rien par rapport aux réelles victimes et à leurs proches. Mais c'est loin d'être rien. 
Heureusement, l'année civile 2016 débute par une formidable rencontre professionnelle puis par un bel emploi dans un petit havre de paix en haut d'une colline avec quelqu'un que j'apprécie. Il n'en demeure pas moins que depuis le 7 janvier 2015 parmi les séquelles de l'étrange état de choc subi, je traîne une forme d'hypersomnie qui confine à la narcolepsie. Ça sera au point de faire une investigation d'apnée du sommeil. Laquelle sera négative. 
Rétrospectivement, je crois que c'est simplement mon corps qui réagissait fort sainement à tout ça.
À l'été 2016 la plus grosse inquiétude est la santé de la compagne de mon meilleur ami, atteinte par une infection rare et grave et qui restera entre la vie et la mort un (long) moment. Elle s'en sortira mais ensuite il semble n'avoir plus de temps ni d'énergie pour rien d'autre que pour le travail et rester auprès d'elle. Old adult's life is not friend's friendly.

2016 / 2017 aura ainsi été une grande année de pertes : un ami qui n'a plus de temps, ou plus l'envie, un cousin par alliance qui se sépare d'une de mes cousines. De tous ils m'étaient les plus proches, qui ne se connaissaient pas mais que les circonstances auront sortis au même moment de ma propre vie. Et puis surtout nos ascendants, celui de l'homme de la maison, et ma propre mère dont la santé se sera dégradée d'un grand coup, alors qu'elle semblait partie pour faire solide centenaire.

Avec l'élection de Trump et le Brexit, dans une moindre mesure l'élection présidentielle française aussi, cette histoire de fou qui met au pouvoir un ultralibéral ultracommuniquant, la perte aussi d'une croyance pleine et entière en la démocratie.


C'est une proposition d'emploi d'amis qui cherchent une remplaçante libraire pour qui de leur équipe s'en va qui me sauvera à plus d'un titre : tourner la page de ce retour au Val d'Oise qui avant la maladie de ma mère tendait à me charmer, après, n'était qu'un rappel des temps envolés ; devoir mobiliser toutes mes forces pour tenir ce nouveau travail qui est très complet et à ma mesure.

Une autre chose me sauve : le triathlon. 

Décision de 2011, octobre, prise alors qu'au marathon de Bruxelles nous encourageons l'ami Pablo. Cinq ans pour parvenir, entre manque de temps, manque d'argent, et recherche de place dans un club, à accéder à la possibilité d'essayer. 
La maladie de ma mère et au printemps le changement de boulot auront passablement obérée ma capacité d'entraînement. Ça n'était vraiment pas prévu comme ça lors de mon inscription effectuée alors que j'avais, croyais-je, enfin un travail stable et heureux, et que ma famille semblait elle aussi stabilisée, les santés et les voies professionnelles (ou fin de travail pour l'un, mais sans trop d'urgence financière) des uns et des autres. Tout semblait dégagé pour que je puisse me consacrer à ce nouveau défi pour une fois personnel et volontaire. 
Las, le syndrome de George Bailey aura encore frappé.

Nous ne pourrons garder en banlieue la maison que ma mère occupait. Depuis avril je consacre une part importante de mon temps libre si réduit à ranger, trier, jeter, préparer un déménagement. Je retrouve d'anciens documents. C'est émouvant, parfois marrant, régulièrement étonnant, toujours finalement éprouvant. Ma chance est d'aimer la photo, et de trouver du sens dans les images, peu importe que l'on y connaisse ou non les gens. J'aime ce qu'elles disent d'une époque, d'un temps. Mes trouvailles m'aident en fournissant une part de beauté, un peu d'enchantement.

Histoire d'accentuer le deuil, il y aura à partir de février 2017 l'épisode du voisin voleur au passé de psychopathe possiblement violent et qui en Normandie videra à plusieurs reprise la petite maison de denrées et équipements. Nous volera aussi de l'électricité tant qu'à faire. Au delà du préjudice financier (entre 1700 et 2000 € à ce jour), moral (trouver la maison cambriolée vitre arrière fracassée, tout jeté sens dessus dessous alors qu'on arrive tard un soir de février pour enterrer sa mère le lendemain, on a beau en avoir vu d'autre, ça atteint), c'est notre havre de paix qui est pulvérisé au moment où l'on en avait fort besoin. Et de nouvelles brèves vacances qui volent en éclat : visites des gendarmes, dépôts de plaintes, réparations à entreprendre, achats de remplacements, virage obsessionnel de l'homme de la maison et ses accès de colère induits (2). Zéro détente fors dans les livres, heureusement excellents, les Sadorski de Romain Slocombe, la Serpe de Philippe Jaenada. En plus que je suis heureuse dans mon nouveau travail, si stimulant qu'il a fait reculer mon hypersomnie et que j'ai l'impression de revivre, je n'avais jamais repris le boulot après des congés avec autant d'appétit. 

L'année 2017 / 2018 démarre donc par une arrestation, celle du voisin indélicat, par du sport, beaucoup de sport et ça me fait un bien fou, par des nouveaux tracas de santé familiaux qui se profilent par beaucoup de pluie (3), par ce beau défi professionnel et un vaste point d'interrogation financier (4).

Je ne manque pas de rêves et de projets, c'est fou comme un emploi qui vous convient peut donner des ailes, seulement je crains que les circonstances, générales comme individuelles ne soient pas favorables. 

 J'aimerais du calme pour pouvoir avancer, dans le sport, dans le travail, dans l'écriture, enfin. Je crains de plus en plus que ça soit un vœu pieu. J'aimerais la force pour pouvoir avancer malgré l'absence de calme.

Les activités ont toutes repris ou le feront la semaine prochaine. Allez hop, c'est reparti. Puissent les guerres et les grands tourments nous épargner encore. Nos aînés ont tant donné. 

 

[photo : ma plus belle photo de l'année, lors du triathlon de Deauville ; celle qui encourage et celui qui participe, alors en plein effort, sommet d'un raidillon]

 

(1) même si en pratique en août.

(2) J'aime les romans d'Ariane Bois entre autre pour leur qualité à présenter des hommes qui en cas de coups durs savent parfois être un soutien. Mon fils l'est par moment, seulement la différence d'âge et d'expérience et que c'est à rôles inversés, limitent cet effet, mon meilleur ami savait l'être, mon cousin déclassé également, mais très partiellement. Je n'ai connu et ne connais sinon que le cas où l'homme face aux coups durs est principalement un facteur aggravant, voire carrément la source même, pour certains et certains chagrins.  

(3) J'ai l'impression qu'à part une poignée de journées caniculaires il n'y aura pas eu d'été. Et depuis plusieurs jours, il pleut sans beaucoup discontinuer.

(4) Tant que la succession n'est pas dénouée, c'est très juste, entre les frais liés au décès maternel et ceux liés aux cambriolages successifs que l'assurance n'a pas couvert (entre restrictions lorsqu'il s'agit d'une maison de campagne et notre manque de factures, puisqu'au départ ça n'était pas notre maison). 

PS : Se rappeler que 2017 au printemps Mastodon est apparu comme une alternative non marchande à Twitter, avec respect des niveaux de confidentialité.


C'était la seule consolation de cette situation

(C'est un billet que j'avais écrit il y a un an ou deux, pas mis en ligne sur le moment, redécouvert aujourd'hui) (intéressant de voir ce qui entre temps a changé, ce qui n'a pas bougé) (et je mesure l'importance bienfaisante du triathlon dans ma vie, c'est comme si l'ensemble de mes capacités s'étaient élargies, en plus que je parviens enfin à penser un peu à moi, par le biais de l'attention nécessaire au corps)

 
    C'était la seule consolation de cette situation, quand celui qui avait bien un peu fait semblant est parti, je n'ai plus vraiment eu, fors cas très particuliers très extrêmes, par exemple les différentes vagues d'attentats et de ne pas savoir qui risquait ou non d'avoir été là, à rester suspendue aux nouvelles de quelqu'un ou à leur absence. Lui était plutôt du genre régulier, ou alors il prévenait (cette semaine, j'écris), généralement de façon inutile (c'est lui qui m'envoyait un SMS, un mail), ou alors s'est parce qu'il était malade (auquel cas il réécrivait dès qu'il le pouvait, où envoyait un bref texto dès qu'il sortait de la fort fièvre). C'était plutôt moi l'irrégulière. 

D'ailleurs je le suis hélas souvent avec la plupart de mes amis : il y a le travail, il y a ses prolongations (de belles soirées en librairies, des lectures pros), la petite famille, les entraînements sportifs, quelques sorties, et (pas suffisamment) l'écriture. Le sommeil prend tout ce qui reste. Souvent le soir lorsque je suis enfin devant l'ordi, je m'efforce de répondre à mes messageries (celles des réseaux, celle du vrai mail), et le sommeil déboule avant que j'aie fini. Je remets donc au prochain temps personnel libre, généralement le lendemain soir car le matin c'est debout-se préparer-filer et il n'est pas rare qu'un message reçu en début de semaine n'ait pas de réponse avant le week-end suivant. Comme désormais le week-end je travaille une fois sur deux (en gros), ça remet parfois d'une quinzaine, et je pense que mes interlocuteurs sont en droit de penser que je les ai oubliés (alors que non).

Il s'est trouvé que l'an passé parce que la bien-aimée d'un ami de longue date avait subi un dangereux problème soudain de santé, je m'étais par ricochet retrouvée dans la situation de l'attente dans l'inquiétude. Avertie du malheur, prévenue d'un silence le temps du plus fort du combat, j'ai passé près d'une semaine à penser à eux en permanence, une sorte de petit sous-programme que mettait en sourdine le travail et mes propres moments de ressources intensément utilisées (par exemple ce retour du travail à vélo sous une pluie battante, le problème n'étant pas tant la pluie qui en deux ou trois minutes m'avait rincée, plus rien n'était à craindre, que les multiples dangers induits de mes freins devenus incertains, aux dérapages possibles, aux voitures qui levaient des flaques, et à une moins bonne visibilité).

C'est alors que j'avais pris conscience d'être retombée dans ce travers d'autrefois, datant de mon premier amour, puis de la période du Burkina Faso (l'amoureux moins gêné que moi par la distance subie : il vivait une vie au parfum d'aventures du fait même de son expatriation, tandis que je me frottais aux dures lois du travail en grande entreprise pour lesquelles personne ou presque n'était moins adaptée que moi), puis de la période de grande intimité avec l'ancienne amie, puis de la période avec celui que j'appelais Another Ted après qu'il m'avait si brutalement quittée : je renouais avec ces heures et ces jours traversés dans une sorte d'équivalent humain du "mode sans erreur" des ordis, fonctionnant mais sans plus, plein de fonctions mises en veilleuse, incapable d'accéder à l'ensemble de mes capacités, pas tout à fait présente, en fait.

Et comme toujours le message (en l'occurrence un SMS) mettant fin à l'attente (d'autant plus qu'il apportait une bonne nouvelle, un intense soulagement), montra combien l'oppression avait été forte par le niveau instantanément d'énergie retrouvée et de présence au (reste du) monde.

Ça n'aurait constitué qu'un dégât très collatéral, mais j'avais été au bord de perdre le seul aspect consolant de ma situation de "rejected one".

 

PS : Cet épisode avait aussi été l'occasion de mesurer, comme l'évoquait Chris Marker dans "Le cœur net" la non sanctuarisation de l'amitié dans nos sociétés. Si je suis la sœur de mon grand ami, je peux éventuellement obtenir des informations par un tiers, c'est la famille. Je ne suis qu'une amie, quand bien même notre lien affectif de fraternité est très fort, pas moyen de savoir ce qu'il est advenu si le principal intéressé trop occupé ou accablé n'émet plus rien.
Ça avait été aussi l'occasion de prendre conscience d'un truc auquel je n'avais auparavant pas vraiment songé : la plupart de mes amis "d'avant", s'ils meurent sans que des amis communs ne relaient l'infos, je n'en saurais rien. Pour un certain nombre d'autres de mes amis de ma vie depuis l'internet (1), je sais que d'une manière ou d'une autre, par les réseaux ou les infos, je serais avertie si quelque chose survenait. Les temps ont bien changé. 

(1) J'aimais beaucoup ce que disait au passage Samantdi sur ses amis d'avant et d'après. Valable aussi pour les miens (et moi)