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En souvenir de Jeanne Moreau

 

    C'est dans le métro de retour des obsèques d'une vieille amie du ciné-club (1) que nous avons appris la mort de Jeanne Moreau, pour ma part via ce statut de Stéphane Goudet : 

 

Capture d’écran 2017-07-31 à 12.56.15

Je me souvenais très précisément de cette soirée et d'avoir écrit quelques mots sur mon blog cinéma juste après. J'ai retrouvé le billet, dans sa présentation actuelle du blog (et du coup : pas tel qu'il fut) Capture d’écran 2017-07-31 à 13.01.49 Ce souvenir est très émouvant. Le fait qu'il date déjà d'il y a douze ans surprend.

Voilà donc une grande dame de plus en moins. C'est moins spectaculaire qu'en 2016 mais 2017 est aussi une année féroce en termes de disparitions.

 

(1) pour ceux qui la connaissaient : Marie-Geneviève Rousseau


J'ai été à la fois très heureuse et très triste

 

    C'est la première fois à la librairie que je vois cet homme là, qui a eu le bon goût de passer alors que tout était rentré dans l'ordre de mon busterlike bookshop day (1), alors il se choisit un livre puis nous conversons, il me dit qu'il est nouveau dans le quartier, content qu'il y ait une librairie, je l'avertis que nous allons fermer pour une quinzaine de jours de congés mais que nous avons un beau programme de rencontres à la rentrée, il répond que ça tombe bien qu'il a un ami que ça intéresse beaucoup et avant que j'ai pu renchérir se corrige, pas un ami, non, mon ami, pourquoi j'ai dit ça ? Je lui souris pour dire You welcome, puis comme il avait terminé son achat, il s'en est allé, me laissant émue d'avoir su inspirer confiance, et en même temps si triste qu'il ait encore cet automatisme de camouflage. Bon sang comme ils ont fait mal tous ceux qui ont il y a quelques années envahi nos rues afin de défendre la possibilité aux autres d'officialiser leurs unions.

J'espère qu'il reviendra. Et que son ami l'accompagnera.

 

(1) billet à venir, si je ne m'endors pas

Lire la suite "J'ai été à la fois très heureuse et très triste" »


Les moments les pires ne sont pas les pires moments

 

    Les moments les pires ne sont pas les pires moments, mais plutôt ceux où l'on avait cru à quelque chose de meilleur alors qu'un malheur s'abattait. 

C'est se réjouir de retrouvailles et que l'autre en profite pour dire On ne se verra plus (1).

C'est se dire que quelqu'un après tout n'est pas si mauvais bougre qui s'est souvenu d'une amitié avec un autre dont la mort vient d'être annoncée et fait l'effort d'envoyer un message de condoléances, ouvrir le message pour cette seule raison (car on s'en protégeait sinon), et découvrir qu'en fait il se vantait simplement d'un livre léger commis avec sa nouvelle partenaire.

C'est se dire un soir glacial d'un sale janvier, à l'heure qu'il est si un ami, visé avec d'autres, était mort on aurait déjà appris son décès, les autres noms ayant été dits ... et l'apprendre juste après.

C'est, convoquée par une hiérarchie qui n'avait que des compliments à la bouche, imaginer qu'on va obtenir une augmentation, ou au moins une prime et apprendre qu'on est sur les rails pour un licenciement (peu importe qu'il soit économique et que d'autres aussi soient visés).

C'est croire qu'un bon ami est en train de vivre sa première journée d'une reconversion soigneusement préparée, et apprendre qu'il vient avec préméditation de se suicider (et qu'aucune reconversion n'avait réellement été envisagée)

Je suppose aussi pour les grands sportifs, croire à une victoire et apprendre que pour une raison imprévisible ils ont été disqualifiés. 

La dureté, on peut y faire face. On pige assez jeunes que la vie est ainsi. Que par exemple la mort en fait partie. Et qu'elle survient. Quand ça l'arrange.
Mais l'écart entre un bonheur au bord d'éclore et un malheur qui en sa place s'abat, c'est quelque chose qui mine et ne tue sans doute pas, mais met en danger. 

[j'y pense à présent à cause d'un livre que j'ai reçu sans l'avoir demandé]

 

(1) J'ai quand même amour et amitié confondus vécu ça 4 fois, 5 en comptant une très particulière qui présentait un délai - rétrospectivement je me demande encore pourquoi j'avais accepté ça, la sidération sans doute, ou de croire à une tentative pour atténuer un adieu en fait définitif (ce que ça ne fut pas, le délai fut respecté et l'ami réapparut, heureux que j'aie attendu) -.


L'héroïque James Lee

 

    La malédiction de la fuite d'eau invisible a donc retrouvé ma trace, de tous les lieux que j'ai longuement fréquentés seule Livre Sterling aura été épargnée mais peut-être parce que la malédiction date d'après. Au Connétable c'était seulement les cartes postales qui mises dehors certains jours se faisaient doucher sans que l'on ne sache trop d'où ça venait. À la librairie près du Trocadéro le mystère avait été résolu (en fait il en eu plusieurs différents) et le voisin arroseur nous avait confectionné en guise d'excuse un délicieux tiramisu.

Et donc arrivant pour ouvrir la boutique j'ai découvert aujourd'hui des morceaux de plafond tombés sur une table où nous présentons des bouquins et des gouttes qui de là tombaient sur ceux situés sur les étagères immédiatement sous le plafond. J'ai d'abord cru que seuls les livres de la table avaient morflés avant de constater que ceux d'en haut pour certains étaient gorgés d'eau. C'était le rayon Rivages / noir, ce qui après tout n'était pas sans sens : même s'il y a parfois de l'eau jusqu'aux seuils et qu'aux soirs d'orage en ville l'asphalte est détrempée, ce sont le plus souvent les rivages qu'une crue inonde.
Parmi ceux-ci le comportement héroïque des ouvrages de James Lee Burke, qui se gonflèrent comme des éponges, permirent à leurs camarades des étages inférieurs d'être bien moins touchés, certains même sauvés, au gré de l'alphabet.

En soirée un homme que je n'avais je crois jamais déjà servi est entré, s'est dirigé presque immédiatement vers la part de rayon Rivages/noir restants et à ma proposition de l'aider m'a demandé si nous avions par hasard des romans de James Lee Burke. Il cherchait Black Cherry Blues. 

Ça n'est pas si souvent que l'on nous demande de ses romans. La coïncidence était assez stupéfiante. 

Le petit dieu des livres, qui trouvait que son collègue le démon de la fuite d'eau avait un peu abusé a alors procédé à un miracle léger : il a placé l'ouvrage parmi ceux restés intacts quoi qu'un peu difficiles à retrouver (1), ce qui fait que notre client précis a pu être comblé malgré les dégâts sur les œuvres de son auteur préféré.

Ce fut somme toute, un bon moment de librairie. Il s'en souviendra sans doute et nous aussi.

Demain, retour aux corvées afférentes à ce genre de fastidieux incidents de la vie, assurances, propriétaires des locaux et plomberie. La fuite n'étant pas nette, et les voisins du dessus absents, je crains de longues complications. 

Puissions-nous plus tard n'avoir à nous souvenir que de l'héroïsme de James Lee !

 

 

(1) Dans la précipitation j'ai tout rabattu n'importe comment dans les interstices d'autres parties de la librairie. Mais contrairement aux humains les bouquins sont tous très accueillants envers leurs congénères réfugiés.


Patience et politesse font plus que force ni que rage


    C'est peut-être un des rares trucs que j'ai appris en vieillissant : la logique en ce bas monde ne vaut que pour les sciences, les vraies. Et probablement le fonctionnement interne externe de notre planète et des galaxies. En revanche pour tout ce qui dépend de l'être humain, elle n'est que vassale et relative.

Inutile de lutter.

Pas de façon frontale.

J'ai mis du temps à piger, moi qui jusqu'à l'amour ai fonctionné comme un gentil ordi tombé dans un corps de petite femelle.

Par trois fois ces jours-ci de l'avoir compris m'a servi. Et aussi d'être consciente que dans notre époque plus troublée en Europe que les deux ou trois décennies qui l'ont précédée, dans un monde où le travail décemment rétribué n'est plus la norme, et où les dispositifs électroniques ont posé des contraintes que peu savent contourner il faut savoir ne pas trop en demander.

Il y a eu la déchetterie. Maison de ma mère presque vidée, entreprise de travaux sympathique et efficace mais qui n'a pas pris en charge (tous) ses déchets, voilà que nous devons aller vider trois fois trois grands sacs poubelles de différents déchets. Je porte le même nom qu'elle, j'ai mes papiers d'identité, je me suis munie d'une facture récente (EDF ou eau) concernant sa maison. Dans ses documents, fort bien tenus, bien rangés, je n'ai pas retrouvé de carte d'accès : comme il convenait d'y aller en voiture et que les dernières années consciente de n'en être plus capable elle ne conduisait plus, elle n'avait sans doute pas fait les démarches nécessaires à son obtention ou son renouvellement. 
Ponctuellement un peu plus tôt, un voisin nous a prêté sa carte. Un dimanche un gars à l'accueil nous avait dit, OK pour aujourd'hui, si pas trop de quantité. Mais là, les gars, moins à l'aise ou trop contents d'exercer leur petit pouvoir, nous laissent passer pour un voyage et refusent au deuxième. 
Nous voilà donc dans les bureaux en train de parlementer. Car il faudrait pour que tout aille bien le certificat de décès et comme celui-ci remonte à février je n'ai plus en juillet, le réflexe d'en avoir un en permanence sur moi, histoire de parer à tout éventualité (1). Il faudrait même idéalement copie de ses impôts fonciers ou de sa taxe d'habitation. 
Tout ça pour jeter, seulement sur une journée, d'anciens papiers peints, quelques vieux objets et d'antiques cartons en voie de décomposition. 
Nous leur posons problème, et le big chef, peut-être déjà en congés est absents. Une personne appelle un collègue et qui hésitent à en référer à leur responsable immédiat. J'explique sans m'énerver, je réexplique aux personnes successives, en ajoutant que comme nous profitons d'un jour de congés nous ne pourrons pas revenir avant un dimanche ou le 14 juillet férié. 
Plus jeune je me serais sans doute énervée, c'était si absurde, ou j'aurais fait de l'humour, On dirait que vous craignez qu'on vous dépose un macchabée. Avec l'âge j'ai appris : à exposer mon cas, puis me taire. Sans bouger.
L'âge lui-même est pour quelques temps (2) un atout : nous sommes deux pré-petits vieux, presque l'âge de grands-parents, d'apparence ordinaire parlant un français courant sans accent régional (du point de vie de l'Ile de France s'entend) : a priori pas dangereux, rien de clivant [je n'en tire aucune fierté mais j'ai plus d'une fois constaté que c'est comme ça que ça marche même si ça n'est pas normal], voire au contraire : parfois mon nom italien s'est révélé en France un atout, souvenirs de vacances ou d'amours de jeunesse ou de beautés d'art, qui sait ?
Le chef un peu plus grand, réfrénant son agacement a jeté un œil à notre chargement puis consenti au déchargement. 

Il y a eu la dernière étape du tour de France. En tant que petite dame qui fait du vélo j'ai participé au petit circuit final, dimanche dernier avant les pros. C'était vraiment un bon moment.
Les consignes de sécurité étaient très strictes et respectée, tout le monde s'y pliait volontiers : les dernières années nous ont appris que dans la mesure où les terroristes de maintenant souhaitent mourir, se veulent martyrs, tout peut être envisagé, jusqu'à une participante au vélo piégé. Le hic fut qu'après la joyeuse manifestation, il nous était impossible de retourner vers le côté nord des Champs Élysées. Nous étions même obligées de franchir le pont Alexandre III, pas le choix. 
Je devais rejoindre l'homme de la maison du côté de la librairie où j'avais travaillé et été si heureuse il y avait quelques années, et n'avais pas spécialement envie de remonter jusqu'à La Défense pour redescendre après. D'autres femmes devaient repartir elles aussi de l'autre côté. 
Seulement voilà, après avoir franchi le pont suivant dans l'autre sens, impossible de regagner les Champs pour les retraverser - par exemple en utilisant le passage souterrain de Franklin Roosevelt ce que nous avions fait à l'aller -. Vous ne pouvez pas entrer sur le périmètre avec des vélos. Oui mais en fait on a des vélos parce qu'on vient de participer vous savez [ça se voyait nous avions sur nous les beaux maillots distribués et nos vélos n'étaient pas quelconques]. Non pas de vélos. 
Alors à trois (ne pas être trop nombreux ni non plus seules dans ces cas là) nous avons poursuivi en remontant vers la place de l'Étoile et en posant poliment la question à chaque fois, Pourrions-nous passer, là ? Nous venons de participer à la boucle pour les femmes, mais nous habitons vers l'autre côté ?

Et au bout de Trois accès "Pas de vélos, c'est interdit" nous sommes arrivés à un point d'entrée, où les trois personnes chargées de filtrer n'ont fait aucun problème. Mais bien sûr, et bravo.  J'ai pu in extremis retrouver mon homme, lequel commençait à se dire que ça faisait trop longtemps que tout était fini (et n'avait pas pris son téléfonino sur lui) et s'apprêtait à repartir, dépité.  
Il suffit de trouver le bon, commenta une de mes camarades de circonstances.

 

Il y aura donc eu aussi cette réinscription à mon lieu principal d'écriture. Ma carte est annuelle, et je la renouvelle dans les derniers jours de sa validité, choisissant généralement le jour pour lequel j'ai du temps, pas un de ceux où je dois ensuite filer travailler. Mais pour accéder aux bureaux des inscriptions il faut un numéro d'appel, disponible lui aux points d'accueil. Sauf que la personne à laquelle mon ordre dans la file d'attente m'a fait le demander a dit qu'elle pouvait la faire directement puis en voyant ma carte que comme celle-ci était valable encore deux jours qu'il fallait que je revienne après la fin effective de sa validité. J'ai vu son nez qui s'allongeait - ça me fait souvent ça face aux menteurs, mon père me racontait Pinocchio le soir quand j'étais petite et quelque chose m'en est resté -, ai juste tenté d'objecté que les autres années ça se faisait les jours précédents ce à quoi elle a rétorqué, Le logiciel a changé. La mauvaise foi était resplendissait.
Je n'ai pas insisté. J'ai poliment salué. 
Je suis simplement revenue ce matin à une heure sans file d'attente, ai choisi de m'adresser à un homme jeune qu'un plus âgé "coachait" pensant qu'ils auraient à cœur l'un d'expliquer au mieux l'autre de réaliser. Et comme disaient les jeunes c'est passé crème, ils m'ont même rajouté les deux jours qu'en renouvelant sans tarder je "perdais" - d'un autre côté renouveler ainsi me permettait de ne pas avoir à ressaisir tous mes documents actuellement consultés -. En fait ce qui avait changé c'était qu'il fallait obligatoirement établir une nouvelle carte plutôt que de garder le même objet. Me voilà donc avec une photo de moi réactualisée, ce que je préfère : la précédente datait d'une période de ma vie qui est vraiment finie.

Il est quand même dommage d'être souvent confronté-e-s à de faux barrages. Mes petites anecdotes ne sont que de l'ordre de la perte de temps, de la contrariété. Je songe alors à ceux qui le sont pour des questions vitales, qui fuient une guerre, ou la misère, ou auraient besoin d'un traitement qui les sauveraient, et qui se heurtent à quelques mauvaises volontés alors qu'un tout petit peu d'huile d'humanité pourraient en leur faveur dégripper un rouage, débloquer la situation, éviter d'en passer par des intermédiaires escrocs.  Si collectivement on le voulait à fond, ça serait presque toujours l'intelligence qui en viendrait à l'emporter, l'entraide, l'accès. Peut-être un jour, qui sait ?

 

 

 

 

(1) Conseil que je donne à tous ceux donc un très proche meurt et qui sont en charge des démarches : tant que la succession n'est pas débouclée, toujours en avoir un avec soi. Ne cherchez pas à comprendre, c'est comme ça.
(2) Le très grand âge n'en est pas un : on peut se faire traiter comme un vulgaire objet. 


La vitesse à laquelle ça va (le peloton pro du tour de France)

C'est filmé comme ça peut, le téléfonino à bout de bras avec des hommes devant moi : j'avais participé au petit parcours des dames et une fois repassée, non sans peine, du côté des Champs Élysées vers l'ancienne librairie, et l'homme de la maison retrouvé, nous étions finalement restés à l'intérieur du périmètre (l'idée étant un peu : tant qu'à faire d'y être entrés).

Alors nous avons pu admirer les pros. Leur allure (aux deux sens du terme). Ça va vite, vraiment très très (et comme j'avais fait la boucle le midi même, j'étais bien placée pour savoir, ainsi que mes camarades sportives, combien ces pavés n'étaient pas si simples à négocier).

Et puis il y avait cette joie ineffable de renouer avec des souvenirs d'enfance, des souvenirs "congés payés", des joies de voir en pour de vrai ceux qu'on suivait à la télé, l'impression que mon père s'y connaissait (et c'était bon d'avoir un motif d'admiration).

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Des mondes parallèles sans interconnexion (ou si peu)

 

    J'étais au boulot et n'en ai eu qu'un vague écho (merci FIP et ses petits flashs d'infos des heures cinquante, concis mais qui permettent de suivre la marche de ce morceau de planète), l'état s'apprête à rogner à partir de l'automne sur une aide au logement qui concerne pas mal de gens.

Ça a déclenché une tempête multi-médiatique. 

Sur le fond, je ne saurais me prononcer, cet article me paraît assez sain, mais même avec lui a-t-on tous les éléments en main ? 

On a élu en mai un président libéral, il applique ce qui correspond à ce qu'il annonçait, sinon comme programme du moins dans l'expression de ses opinions, on ne peut pas l'en blâmer (1). C'est juste que la somme de réduction annoncée 5 € par mois et par allocataires, visiblement choisie pour sembler dérisoire - allez les pauvres, faites donc un petit effort, fumez moins -, semble effectivement dérisoire et que du coup l'effet fait est plutôt de type : Hein, quoi, le pays va si mal qu'on en est réduits à demander aux gens qu'on est censés aider, de rendre 5 € par mois ?, on dirait nous autres dans les sales fins de mois, lorsqu'on fait les poches de nos manteaux rangés dans l'espoir d'y retrouver, entre deux boules d'anti-mites, un billet oublié.

Ce dont j'ai envie de garder une trace, ce qui me frappe, ce sont : 

- un mépris de classe qui fait froid dans le dos.

On dirait qu'une génération (ou deux) entière a grandi dans l'idée que si tu es pauvre c'est que tu le mérites. Soit parce que t'es bête, soit parce que tu viens d'ailleurs, soit parce que franchement si tu ne t'en sors pas c'est que tu ne bosses pas (assez). 
Sauf que voilà ça ne répond pas ou peu à ces critères là. En fait les deux façons les plus sûres d'échapper à la pauvreté sont d'être nés dans une famille aisée ou d'être malhonnête (ou du moins : roublard).
On dirait aussi que les mêmes méprisants bénéficient d'une sorte d'assurance de bonne santé éternelle. Sont-ils conscients, ces insouciants, que personne à aucun moment n'est à l'abri d'une pathologie qui peut se déclarer d'un coup alors que l'on croyait que tout allait bien, et attaquer y compris ceux et celles qui ont une parfaite hygiène de vie ?
Il faudrait que tous les dirigeants aient lu "Down and out in Paris and London" de George Orwell,on peut être bosseur et intelligent, faire de son mieux pour s'en sortir et manger la misère.


- une ignorance de la valeur de l'argent pour ceux qui sont dans l'autre camp. 

Ces vingt dernières années ceux qui sont parmi les classes aisées ont vu leur pouvoir d'achat vraiment progresser. Pour eux, cinq euros c'est ridiculement rien. Une somme qu'ils n'envisagent même pas. Cinq euros (à leur échelle) ça ne coûte rien. J'ai le souvenir précis d'une cliente fortunée et sympathique (ça n'est pas antinomique, pas forcément) à la libraire Livre Sterling, qui n'avait pas compris qu'un livre de cuisine parmi les soldés ne coûtait que 5 € et m'avait sorti un billet de 50 pensant payer le compte rond. Un objet à 5 € passait sous son radar, tout simplement. Et je pense qu'elle est repartie persuadée qu'on lui avait fait un cadeau de bonne cliente. 
Pour les autres, de plus en plus nombreux, cinq euros c'est se coucher le ventre vide ou pas, selon que tu as pu ou non les glaner, c'est peut-être éviter de justesse de dépasser en banque son découvert autorisé et échapper à une kyrielle d'emmerdes de niveau supérieur. Cinq euros, c'est pouvoir entrer dans un café, l'hiver, boire un truc chaud. C'est s'acheter un coupe-vent bradé chez Aldi (2) et ne pas se faire drincher. 
J'avoue que je ne sais pas comment rendre compréhensible, palpable, aux uns la perception que les autres en ont et vice-versa. Si je suis capable de voir les deux versants c'est que ma situation financière est quantique depuis 2011 : je suis riche et pauvre. J'ai un toit, ce qui n'est pas rien mais je manque le plus souvent de moyens pour assurer confortablement le quotidien. Je sors à peine de six années en working poor de luxe (et de choix : j'aime mon métier qui ne rapporte pas et j'ai tenté de préserver du temps partiel afin d'écrire ; seulement je suis consciente que beaucoup le sont par contrainte, parce que pas d'autres boulots que ceux qui ne nourrissent pas), avec une vie culturelle de rêve, ce que les pauvres gens n'ont pas, ou seulement par brefs éclats.
Ce que les plus fortunés n'imaginent même pas c'est une somme quelle qu'elle soit, même (surtout ?) faible, et qui pour eux représenterait un arbitrage (allez, je n'achète pas ce paquet de clopes), est pour les autres une privation de plus dans un lot déjà existant et peut-être celle de la suppression finale de quelque chose de nécessaire (3), c'est par exemple un déjeuner sur le lieu de travail (4) qui se composait d'un jambon-beurre un demi et un café, et puis tu laisses tomber le demi sinon c'est deux heures de boulot qui y passent, et puis après tout, le café, on peut s'en passer, et puis le sandwich ce serait moins cher si je le rapportais de chez moi et puis un jour, pour les ingrédients d'un sandwich, les 5 derniers euros, l'argent n'y est même pas (mais il faut assurer le travail tout pareil sinon tout serait bien pire).
Le film "Louise Wimmer" peut peut-être permettre de comprendre ça à ceux qui n'ont jamais été concernés. L'héroïne en est une femme qui se bat, rendue pauvre par un enchaînement fort courant de circonstances - son mari l'a quittée pour une autre - et qui malgré qu'elle travaille et d'arrache-pied, n'a pas les moyens de se loger. Souvent, dans les fictions les plus pauvres sont présentés comme possédant un cumul de "handicaps" qui font leurres - alcoolisme, ennuis de santé, problèmes psychologiques ... -, là, on voit une femme qui n'a rien qui va pas, fors le manque de rétribution de ses services et de devoir redémarrer à zéro à un âge où d'ordinaire on peut enfin souffler un peu.
"Le quai de Ouistreham" de Florence Aubenas, dans le même ordre d'idées est respectueux et montre bien la vie telle que pour beaucoup elle est. Ce n'est pas misérabiliste, c'est la réalité d'en vrai. 

Je ne sais pas pendant combien de temps le pays encore tiendra avec de telles failles entre les différents lots d'humains qui le composent, mais on dirait un élastique qui se tend se tend ... et depuis longtemps. De mondes parallèles sans points (ou de moins en moins) d'intersection. 

 

 (1) Ce qui ne signifie pas que j'approuve la mesure, mais je n'éprouve ni surprise ni sensation de trahison.

(2) Ce qu'a fait l'homme de la maison ces jours-ci - mais parce qu'il avait un besoin immédiat de se protéger de la pluie et qu'il a été chanceux -.

(3) Je crois que c'est dans une nouvelle de Carson Mc Cullers, peut-être dans le recueil "La ballade du café triste", que l'on voit diminuer peu à peu la  quantité quotidien de lait dans la bouteille qu'un jeune couple met au frais à sa fenêtre, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de lait, plus rien.

(4) Car tous ceux qui travaillent n'ont pas nécessairement de cantine oh pardon restaurant d'entreprise,  ni de chèque déjeuner. 

 


Un jeudi en juillet


    La vitesse à laquelle ma vie va depuis que j'ai un bel emploi me laisse pantoise. Plus même le temps d'écrire là, pas même le temps d'en éprouver un réel manque (quoi que dès que je me pose un peu). En passant à la vitesse supérieure, mais peut-être aussi grâce au triathlon je suis sortie de l'emprise du sommeil. Il me dominait depuis le dimanche 9 juin 2013 et plus encore (après une période étrange d'état de choc avec bon nombres de soirées entre amis passées à se tenir chaud et solidaires et donc dormir peu) le 7 janvier 2015. Je devais lui arracher l'autorisation de mener une vie quasi-normale dans la journée, mais ai dû plus d'une fois m'affaler sous un bureau à la pause déjeuner, dans un coin de la librairie là haut lors de l'arrêt de midi, sur un banc pour lui concéder 20 minutes afin qu'il m'accorde de finir l'après-midi de boulot. 
C'est fini c'est magique c'est parti. 
Tout au plus un peu de somnolence en début d'après-midi à l'heure où il faudrait que nous puissions tous nous accorder une sieste.
Pour autant je n'ai pas perdu la capacité de m'endormir instantanément à la demande, mais à la mienne, ce qui est infiniment moins flippant, même si ça reste parfois brutal.

Seulement même en dormant à nouveau comme un adulte normal, je n'ai pas ou si peu de temps personnel. Quelques miettes, que j'occupe à lire, ce qui fait partie du boulot mais reste un plaisir.

Ce jeudi, comme depuis le début de l'été il a fait beau. Plus ou moins pluvieux par accès. Mais globalement c'est un vrai temps d'été.

La journée de travail était comme une bonne journée de librairie, pas de temps mort mais un rythme normal et pouvoir avancer sur le travail de fond. Un seul type pour faire la manche que j'ai éconduit le plus respectueusement possible - l'argent de mes employeurs n'est pas le mien et par ailleurs moi je suis au travail et donc pas là pour en dépenser, sans compter que je n'ai pas d'argent sur moi -. Deux pour me proposer des objets à vendre dont un un livre, ce qui pouvait coller.

J'ai revu #anotherTed même si ça n'était pas vraiment lui, pas vraiment maintenant. Et fait la connaissance de Thomas. Même si ça n'était pas si simple, en tout cas de le revoir lui, sans compter la façon dont il m'est réapparu, sa silhouette, par les jambes (interminables !!) - j'ai cru, et puis je ne suis pas encore si solide -, quatre ans sans ses gestes, son accent, sa voix, cette élégance - hélas pas dans tous les compartiments de la vie -, je crois qu'au bout du compte ça m'a fait du bien.
J'ai quand même une réticence envers la triche quelle qu'elle soit. Les cheveux faux en font partie. Froissait l'alliance. Usurpation ? 

Il serait simplement grand temps que quelque chose de bon me survienne enfin (pas seulement dans le travail, même si c'est essentiel). Celle-ci est déjà une absence du passé. Les absences actuelles sont celles de celui de mes cousins qui de facto n'est plus qu'un ex-beau-cousin (1) et celle du grand ami qui est devenu un homme invisible. D'accord, il l'est devenu par suite d'une grave maladie, mais voilà qu'elle s'est éloignée mais que l'absence, elle, se prolonge.
Serais-je déjà entrée dans la phase de la vie où parmi nos proches les disparus sont plus nombreux que les présents ? J'en ai peut-être après tout l'âge.

Enfin pris le temps de parler un peu avec une amie. La sur-occupation a été si forte, depuis la maladie de ma mère et qu'a renforcée le nouveau boulot que j'ai l'impression d'avoir en partie perdu de vue tous ceux que j'aimais. Seul-e-s ceux et celles qui fréquentent les réseaux sociaux savent que j'ai changé de librairie.

Après une réunion de travail il y aura eu ce retour à vélib, à travers le beau Paris, et si j'eusse préféré n'être pas seule (ce qu'un coup de fil reçu a un peu atténué), c'était un moment magique, peaceful crowd, wonderful weather, beautiful cityscape. Un momento perfetto.  20170720_214936

Plus tard j'ai posé le vélo, vers Miromesnil pour accomplir à pied mon chemin partiel du temps de Livre Sterling. Ces trois années où je fus sans doute le moins malheureuse de toute ma vie, le plus moi-même aussi, même si le chagrin y était (mais d'une autre manière, avec un espoir qui perdurait). J'étais trop occupée à m'en sortir pour le mesurer, mais quelle chance j'ai eue de travailler là, quelle formation formidable. Et ces soirées !

J'aimerais que personne ne meure (du moins violemment et en tout cas plus personne à nouveau (puisqu'il y a déjà eu, avec l'attentat contre Charlie Hebdo)), mais que néanmoins un jour Philippe J écrive ma biographie. Il y a matière à une belle reconstitution d'un Paris en ce temps-là et ce qui y était possible pour qui aime les livres et pratiquait l'internet. Et je sais qu'il saurait brosser un tableau équitable des coups durs survenus tant avec #lancienneamie qu'avec #anotherTed . Peut-être même qu'il dénicherait des explications à la part difficilement compréhensible de leur attitude.
Et il saurait raconter mon ancien patron comme personne.
Ou l'épisode Johnny.
L'époque du Comité [de soutien] peut-être aussi.
Sans parler du club de dégustation de whiskies.  

Dans la soirée #lefiston m'a appris le suicide du frontman du groupe Linkin Park, Chester Bennington. C'était soudain comme une explication à la sourde tristesse qui m'avait tenue tout le jour. Même si je ne suivais pas ces gars au point de me sentir concernée à titre personnel, quelque chose dans l'air qui flottait. Saudade. 

(1) Si je disposais d'un minimum de mon temps je voudrais écrire sur les séparations collatérale. Les garçons me manquent, je m'étais affectueusement attachée, mon cousin me manque, j'aurais pour l'instant une sensation de trahison si nous nous revoyions, l'ami qui avait quitté une de mes amies mais par la même occasion tout l'entourage amical également, voilà il y a tant de pertes par ricochets en plus des disparitions principales. 
Nelson et Yéti (que je reverrai cependant sans doute si sa famille "monte" à Paris et vient faire un saut à la librairie) apparaissent encore dans mes rêves.

 

 

 

 

 


"Je décide de repartir à la surface parce que c'est pas ma place"

C'est grâce à Gilsoub qui a partagé cette étrange et belle video qu'en cherchant une explication au fait que l'apnéiste tombait sans mouvements (une fois dans le puits rond) je suis arrivée jusqu'au TED talk dans lequel l'apnéiste explique l'apnée.

Je serais je crois incapable d'en faire, probablement en raison de la thalassémie. Mais je comprends et ressens à mon niveau ce qu'il dit. Il y a un ravissement de la nage en eau libre. Et ce sentiment d'humilité, même sans plonger, y est.

Et puis, je vais me coucher moins ignare : c'est la compression pulmonaire qui octroie la chute libre.