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Nos conditionnements

 

    C'était ce matin sur la ligne 7, de légers problèmes ont semblé s'alourdir. J'allais chercher des livres en un comptoir au Kremlin Bicêtre, je m'en suis tirée en sortant une station plus tôt (puisque c'était finalement bloqué) et en terminant mon trajet à pied.

Livres récupérés j'ai cru que l'incident serait terminé, mais non : cette fois-ci grilles fermés. Et puis des véhicules toutes sirènes hurlantes qui se dirigeaient vers les stations plus au sud de la ligne, un hélicoptère qui semblait surveiller, des piétons qui se pressaient dans les bus, ou marchaient, hâtifs et avais-je cru sombres.
J'ai craint le pire.

Quelqu'un sur Twitter m'a obligeamment renseignée : le colis suspect était bien sous contrôle.

Je restais sceptique : pourquoi un délai si long avant reprise du trafic ? Pourquoi dans un premier temps des hoquets puis un arrêt avant soudain une fermeture radicale.

Ce n'est qu'au soir, toujours via un twitos que j'ai eu l'explication : il y avait en fait eu deux incidents distincts et successifs. 

En attendant, c'est fou comme à présent vivants à Paris nous sommes conditionnés vers le pire dès le moindre incident d'un peu d'ampleur.

 

Un de mes camarades libraires passe me voir en fin de journée, il s'étonne d'un message que je n'ai pas reçu, et qui présente un caractère d'urgence. 

Assez vite nous comprenons : il me l'avait envoyé à mon adresse mail perso (plutôt qu'à celui de la librairie) ; or au travail j'ouvre très peu ma messagerie et uniquement lorsqu'il y a une raison précise. Alors qu'en fait dans ce poste-là l'avoir en permanence en ligne serait efficace. 

Mais voilà pendant des décennies j'ai été empêchée de consulter mon mail au travail. Entre mal vu voire carrément interdit pendant des décennies de mon boulot de banque puis de celui en chaîne de librairies, il m'en est resté ce conditionnement qu'au boulot on ne consulte pas ses mails perso. Et j'ai beau savoir que dans celui-ci non seulement je suis libre mais qu'en plus ça serait plus efficace, je ne parviens pas (encore) à y songer. 

L'ensemble de la journée m'a laissée impressionnée d'à quel point nous pouvons être, à notre insu, conditionnés, par des obligations ou interdictions longtemps subies ou bien des événements survenus et qui laissent des sortes de réflexes réels ou de pensées. 

 


Que faire face à un homme qui a faim ?

 

    Pour la deuxième fois j'ai été aujourd'hui confrontée à un homme qui a faim, pas un de ces manchards professionnels dont on se demande pour quel mafia il bosse, non, quelqu'un de courtois, pas agressif, qui demande de l'aide. Et pour la deuxième fois je n'ai pas su aider, pas su quoi faire en fait.

La première c'était un jour d'hiver glacial porte de Clichy et l'homme ne parlait ni français ni anglais. En sortant du RER porte de Clichy j'avais raclé mes fonds de poches pour acheter du pain à ramener à la maison et j'ai mis trop longtemps à comprendre que l'homme aurait voulu que je lui en donnasse un bout. Je m'en veux encore. 

La seconde c'était aujourd'hui. Le gars vient à la librairie se présente comme un laveur de carreaux mais voilà depuis le début de l'après-midi il pleut sans arrêt et il me dit je n'ai pas pu travailler, et en fait j'ai faim, s'il vous plaît. Deux clients viennent d'entrer et je dois m'occuper de les servir ou conseiller. Nous allons avoir un auteur tout à l'heure et celui d'entre nous qui fait les courses pour avoir de quoi grignoter dans ces cas-là n'est pas là à ce moment précis n'est pas là. Il reste bien dans un coin je suppose quelques gâteaux secs et cacahuète d'une soirée d'avant, je dois bien avoir de la monnaie qui traîne dans une poche de mon sac dans la réserve, et il y a de l'argent, même si peu, dans la caisse (après tout je pourrais prélever de quoi lui offrir un sandwich puis tirer de l'argent le lendemain matin et rembourser jusqu'au moindre centime après avoir fait de la monnaie pour me payer mon propre repas), il y a aussi des pâtes au frigos à réchauffer pour mon déjeuner du lendemain, mais voilà je suis au travail, je n'ai rien en poche (littéralement, fors des mouchoirs et la clef) le reste n'est pas à moi quelque chose de cet ordre est ancré en moi, alors je dis en pensant que plus tard nous aurons effectivement de quoi grignoter et boire, Là je ne peux rien faire, mais peut-être si vous passez après. En plus que j'aurais pu lui donner de quoi se payer un sandwich à la boulangerie d'à côté, et parier sur la confiance qu'il vienne laver les vitres lorsque ça pourrait. Quelque chose me dit que cet homme était fiable.

Non mais comme je suis conne moi, des fois, formatée par la vie en ville, souvent volée - travailler au contact du public, inévitablement nous endurcit -, sollicitée comme tous entre dix et quinze fois par jour, ce qui finit (on ne peut pas donner à tous, et certains dans les transports nous interrompent en pleine lecture, en pleines pensées) par nous imperméabiliser. 

Et dans quel monde sommes-nous retombés pour que dans une ville comme Paris des humains valides et de bonne volonté soient là à crever la dalle, à errer, alors que l'opulence au fond y est ?


Lisette Oropesa

 

    #lefiston a 22 ans et je n'en reviens pas. Il n'a pas voulu m'accompagner à l'opéra et j'ai dû revendre le billet que son père, parti en Normandie inquiet (le voisin voleur a pompé notre électricité puis disparu en laissant son chien affamé dans son petit jardin contigu au nôtre). Plusieurs internautes amis dont Nawal m'ont indiqué la Bourse d'échange de l'opéra et ça a fort bien fonctionné - sauf que pour l'instant la repreneuse pourtant présente (je revendais la place voisine) n'a pas confirmé la réception du e-billet -.

J'ai vite compris qu'on ne s'en sortirait pas niveau commandes en cours à la librairie, si je ne faisais pas le coursier dès aujourd'hui. Ce que j'ai fait ... sous une pluie battante. Heureusement mon amie Florence tenait son stand à la semaine italienne du XIIIème et y vendait en plus des livres (sous de belles bâches transparentes plastifiées) quelques tee-shirt Caro Diario. J'ai pu acheter de quoi me rhabiller (car malgré l'imper j'étais trempée). Nous aurons au moins eu le plaisr de papoter au plus rude de la drache dans l'abri que son stand offrait.

Que de souvenirs.

Le boulot m'a tenue jusqu'à l'heure de l'opéra.

Et alors que l'ensemble de la journée avait présenté une succession de (petites) difficultés à surmonter peu à peu, la soirée fut magique.

Lisette Oropesa (1) a représenté une Gilda éblouissante. J'ai rarement été aussi émue devant une interprète si parfaite. C'était merveilleux.

Le Rigoletto,  Zeljiko Lucic (accents à compléter) était formidable. Et si j'avais vingt ans de moins au moins j'en pincerai pour Mikhail Timoshenko, qui fait regretter que le "beau rôle" soit (presque) toujours tenu par un ténor.

Et la mise en scène m'a emballée, Claus Guth à la fois innovante et pleine de respect. J'ai particulièrement aimé les danseurs figurants qui côtoyaient les personnages chantant, incarnant leur "moi" d'âges différents.

J'écris en dormant, et donc sans doute un peu n'importe quoi, mais je tenais à conserver une trace de l'éblouissement.

 

(1) Dont j'ai découvert incidemment en rentrant qu'elle avait un compte Twitter actif.


Télescopage plastifié

 

    Je n'ai pratiquement pas de temps devant mon ordi ces jours-ci. Notons que pendant que ma vie est belle et surchargée, il s'agit depuis environ une semaine d'une période de canicule assez remarquable, je sais que c'est mal vu de le dire, mais moi qui me sens au mieux de ma forme au dessus de 25°c (et à condition de ne pas dépasser 37) je suis aux anges (1). 

Le contraste avec la même période de l'an passé est saisissant. On était resté à un moment dix à onze jours sans voir le moindre rayon de soleil et la Seine était en crue comme elle l'avait rarement été.

Cette année les climatiseurs doivent pomper à fond. Apparaissent des coupures de courant. L'une d'elle, dans la nuit, a affecté les pompes de la piscine. Un (petit) bassin s'est trouvé vidé. L'entraînement a été annulé.

Je suis alors passée par une boulangerie histoire de ravitailler avant de rentrer le logis (2). Seulement j'étais à vélo sans avoir prévu d'y passer. J'ai donc demandé un sac. Or il n'y en a plus, une loi anti-sachets plastiques a été votée il y a un an ou deux et qui est réellement entrée dans les faits. J'ai donc dû rentrer à pied, tenant le vélo d'une main, chargée de mes affaires de natation en sac à dos, calant le sac en papier sans anse sous mon bras libre comme je le pouvais et le petit sachet du croissant pour l'homme de la maison dans le porte-bidon.

Il faut prendre l'habitude d'être toujours pourvue d'un filet à provision.

Alors que je me faisais cette constatation, à peine rentrée, je suis tombée sur cette video, relayée sur Twitter par quelqu'un que je suis. Pour le cas où elle ne serait plus disponible je la décris : il s'agit d'un homme en bateau à rames qui voit une petite tortue de mer en difficulté et la sauve du sac en plastique dans les anses duquel sa tête et l'une de ses pattes étaient enserrées. Et si fort (elle avait dû se débattre pour tenter de s'en extraire) qu'il n'a pu l'ôter qu'en coupant le plastique.

Nos efforts de "faire sans" valent la peine, vraiment. 

 

(1) Et j'ai beau intellectuellement savoir que ces fortes chaleurs sont éprouvantes, à part pour la pollution induite (que je ressens, à Paris, sans besoin d'instruments de mesure, à tel point la qualité de l'air morfle), je peine à concevoir, dans nos régions tempérées, la chaleur comme une ennemie. Je ne peux m'empêcher de la percevoir comme un soulagement.

(2) Une pensée pour ceux qui font le pain et doivent avoir très très très chaud, pour du coup.


Les gens calmes

 

    J'ai passé une fort belle soirée à la remise d'un prix littéraire dans un cadre enchanteur et revoyant une amie qui m'avait manquée (elle avait eu un accident au moment où je me débattais dans le deuil et autres difficultés puis j'ai changé de boulot et c'est ma propre vie qui était trop intense). 

Il n'en demeure pas moins que mon souvenir de cette soirée sera, au début de mon retour à vélo de constater que pour un lundi soir il y avait beaucoup de gens dehors et très calmes : autour du ponton dont nous étions partis pour la nage du triathlon (là où ça forme un petit cirque) et au belvédère sur les bancs.

Alors oui il faisait très chaud et c'était de bonne guerre de venir chercher un peu de fraîcheur vers 23h autour du lac. Il n'empêche ces gens, toutes sortes de gens, seuls, en grappes d'amis, en petites familles, souvent avec enfants, étaient tous particulièrement calmes, assis et devisant. Pas d'éclat de voix, pas d'éclat de rire, personne qui s'agitait, personne qui ne mendiait, personne qui semblait avoir trop bu ou pire. Non, rien, tout le monde était calme et semblait goûter que la soirée le soit.

(Plus loin du lac, plus près de chez moi, à hauteur d'Épinay, il y avait deux véhicules de polices et un petit attroupement calme, sans doute une arrestation en cours ou une intervention suite à quelques faits, la magie du calme était rompue. 


Qui était Jean Blanzat ?

 

    Entre mes lectures personnelles de malade et ce que ma #viedelibraire m'a appris, il est rare que je tombe sur un écrivain français "classique" inconnu. Je n'ai pas tout lu et ne lirai pas, beaucoup des grands vieux messieurs morts, pas tous, au style peut-être très classe mais à la vision du monde androcentrée et portés sur les choses de gloires et de concurrence (1) ne m'intéressent guère. Je préfère infiniment les œuvres de leurs quelques consœurs à  mes yeux souvent plus intenses, subtiles et sensées. Il n'empêche que je connais leur existence, leur prénom en plus du nom, leurs œuvres principales, une idée de la période de leur vie, ce qu'ils ont traversé. Et qu'à un lecteur potentiel et curieux à leur sujet, je saurais en parler. This is my job.

Et puis de plus en plus rarement, je parle bien de ceux qui ne connurent pas ce siècle, car il y a parmi les contemporains de nombreux inconnus, le temps n'ayant pas encore fait œuvre de décantation, voilà que je découvre l'existence d'un auteur dont je ne savais rien. 

Le plus souvent il s'agit d'une femme, restée dans l'ombre du fait que la société offre davantage de lumière aux garçons. 

Hier il s'agissait d'un monsieur.

Une femme avait traversé un morceau de Paris pour trouver quelque ouvrage de lui que nous étions probablement les seuls à avoir. Elle était tout heureuse d'en trouver.

Il s'agissait de Jean Blanzat.

Soit ma mémoire me joue des tours - ce qui n'est pas exclu, les coups durs de 1983, 2006, 2013 et 2015 et le changement brutal de vie de 2009 ont laissé des traces, et quelques micro-amnésies de "juste avant" -, soit je n'avais effectivement jamais entendu parler de lui (2), ni rien lu, évidemment.

Voici donc Jean Blanzat, ce grand oublié, peut-être de peu de monde (Comment ça, tu ne connaissais pas ?) mais en tout cas de moi, connu principalement pour son roman Le faussaire, paru en avril 1964, et qui fut résistant et ami de Jean Paulhan - d'où mon étonnement de n'en avoir rien su - (3). 

Dès que je le pourrai j'irai y jeter un coup d'œil. Sa lectrice a su éveiller ma curiosité.

 

(1) J'ai dit ça le plus élégamment que je trouvais.
(2) Je connais plutôt bien le fond de la librairie dans laquelle je travaille depuis quelques semaines mais pas encore son intégralité. Nous ferons sans doute en juillet un gros travail le concernant, donc pour l'instant je me consacre plutôt à la gestion courante, mais il y aura de la belle matière.
(3) Cela dit il est souvent, sur la photo, celui qu'on ne voit pas.


Thirteen reasons why


    Depuis quelques mois je suis à nouveau capable de suivre une série. C'est lié aux moments difficiles que nous avons traversés, au besoin de c'en évader. 

Qu'il faut un contre-poids aux livres. 

Que mes enfants ont pris soin de moi, l'une en me prêtant ce qui était à l'origine sa connexion, l'autre en m'indiquant une série qui m'a bien accrochée. Une série pour enfants avec une belle reconstitution des années 80. Une fois celle-ci terminée, j'avais envie d'en retrouver une autre.

Je les regarde à l'ancienne, un épisode par semaine, environ. La petite attente anticipative de l'épisode suivant fait partie du plaisir.

Du coup après plusieurs essais, dont certains presque concluanta ("The Americans"), et l'impossibilité pour cause de devoir la regarder avec le home cinema pas souvent disponible, de regarder The wire de façon suivie, j'en suis venue à "13 reasons why", un peu reluctantly et en me sentant trop vieille pour m'intéresser réellement.

C'était plus une façon de me vider la tête.

Et puis l'écriture arrive dans l'histoire, des personnages prennent de l'épaisseur, on sort un peu de la série pour ados, les enchaînements de flashbacks sont magnifiques et correspondent tellement (bien) à ceux que l'on a après un deuil, que je finis par être "dedans".

Pour autant j'eusse été plus intéressée par l'équivalent mais entre adultes dans le milieu du travail, qu'au lieu de bullying il s'agisse de la pression qu'on met au travail sur les gens, la façon dont on les incite à "s'impliquer" et pas seulement faire le boulot et combien ça peut devenir létal une fois que puisqu'on est dans une société où celui qui bosse est la variable d'ajustage, on jette celui ou celle qui travaillait en y ayant mis de soi. Question d'âge, de génération.

Peut-être aussi que les interrogations du personnage de Clay me rappellent celles qui furent miennes il y a onze ans, quand quelqu'un m'avait quittée sans que je ne voie pourquoi. What have I done to Hannah ? Et puis je me souviens des suicides successifs à "l'Usine" et combien nous en fûmes perturbés. C'est intéressant de pouvoir y repenser, au calme, plus de vingt ans après.

Pour autant. 

Je ne suivrais pas forcément la saison 2. Sans doute que j'écrirai. 


Croisements, coïncidences et recoupements

 

    Nous quittons une amie et moi la présentation de rentrée des éditions Fayard et après différentes étapes nous séparons devant la mairie du Xème où nos direction divergent. 

Elle me parle alors de la sinistre utilisation qui fut faite pendant la guerre d'un des immeubles d'en face qui fut celui des meubles Lévitan. Des juifs y furent employés, captifs, au tri des meubles dont d'autres personnes de même origine avaient été spoliées. Il me semble que si j'ai su sur le tard que des camps d'internement avaient existé dans Paris intra-muros, j'ignorais le destin de cet immeuble précis. 

Le soir même lors de la présentation de rentrée des éditions de l'Olivier, Marion Vernoux présentant son roman à paraître où il est question finalement d'une enquête sur l'histoire familiale au travers des meubles transmis évoquera ce camp-là, Lévitan, par lequel une de ses grands-mères avait transité.

Donc voilà pendant un demi-siècle on ignore tout d'un sujet et soudain au cours d'une même journée il en est question par deux fois. Sans qu'aucun lien avec les circonstances du jour ou l'histoire récente ne puisse l'expliquer.

Un ami traducteur assiste en cette rentrée à la parution simultanée d'au moins deux romans sur lesquels il a travaillé. Nous voilà donc amenés à nous croiser là aussi par deux fois.

Tu t'offres le luxe de te rendre à l'un des rendez-vous à pied. 
Ta montre d'apprendra que le parcours faisait 3,35 km. 

Tu fais le coursier pour des libraires amies mais tu arrives trop tard à la soirée de dédicace qu'ils organisaient.

Cette histoire de ressemblance entre Boris Vian et Emmanuel Macron que tu avais vue passer sur les réseaux sociaux tu avais trouvé ça ridicule, surfait. Comment pouvait-on trouver que ?

Et puis la journée te met successivement sous la vue : un portrait de Boris sur une prochaine réédition et une affiche électorale qui vous aura fait rire car y était mentionné le fait que tel candidat était le "vrai de vrai" du parti de Macron.
Et là tu de dis Ah ouais quand même.
(Ils eussent pu être cousins) 

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Les différentes rentrées sont pour l'instant de très bonne tenue. Mais pour l'instant toujours pas de "Confiteor" en vue.

Mode Je trace on

    Trop fatiguée pour écrire. Mais je souhaite conserver la mémoire de cette période si particulière. Alors quelques notes.
   

Nous avons eu ce matin du retard à l'allumage mais je suppose que nos corps, fourbus, en avaient besoin. 

Mais ensuite ce fut une journée de celles où l'on dépote, et à part vivre des moments merveilleux - mais on ne peut pas faire que ça, sinon on ne se rendrait même plus compte qu'ils le sont -, je n'aime rien tant que ça : bosser (variante sportive : s'entraîner) et à la fin de la journée se dire qu'on a fait ce qu'on s'était fixé.

Le plus simple était de voter. Contrairement aux présidentielles, zéro état d'âme, une décision facile à prendre quoique sans trop d'espoir. En fait les présidentielles, avec les angoisses successives, les hésitations induites par la folle situation et entre les deux tours les déchirements entre personnes aux valeurs et idées pourtant voisines, ont engendré chez moi une forme de saturation : tout se passe comme si c'était derrière, que c'était plié pour cinq ans et que ça serait bien que le jeune homme ne se plante pas trop sinon on héritera de l'extrême droite au pouvoir.

Puis il s'agissait d'aller continuer la mise en carton chez ma mère. Les travaux ont bien avancé, la maison a cessé de sentir la maladie. J'ai eu cette sensation : les murs ont cessé de pleurer. 

Au prétexte d'aller voir où se trouvait la déchèterie nous avons fait un petit entraînement de course à pied. Il faisait beau et chaud et je me sentais en pleine forme. Nous nous sommes renseignés sur les heures d'ouverture possible, les conditions d'accès. 

Retour en faisant une boucle par le bois des Écouardes dont j'avais oublié le nom. C'était à distance courable de la "zone verte" un petit bois interdit de mon enfance. Il se disait qu'il y avait danger et les parents, tous, recommandaient à leurs enfants de n'y mettre pas les pieds. Nous nous en étions au mieux approchés. Ce qui est curieux c'est qu'à l'adolescence au lieu de titiller l'interdit, nous nous étions totalement désintéressés de ces lieux. 

Un panneau indique que la commune s'apprête à le rendre accessible. À côté quelques immeubles bas sont en construction et je pense immédiatement au film de 1992, Les habitants, ce truc de ouf (1).

L'homme aperçoit un accès et nous nous faufilons dans le bois encore presque intact. Un bois non travaillé c'est ça, aucun vrai sentier aucun accès aisé, des orties presque partout, plein d'oiseaux, des papillons et pour moi, comme souvent en forêt, l'illusion d'y être protégée (2). Je suis un peu triste qu'il soit appelé à bientôt se faire civiliser. Au moins je l'aurais vu tel qu'en lui-même une première et dernière fois.

Nous avons bien dépoté du rangement. J'ai retrouvé des objets de ma mère auxquels nous tenions et qu'on avait bien cru égarés pour toujours et à jamais.

L'homme a réparé la barrière qui coinçait et taillé un peu de haie. 

J'ai pris une douche. Peut-être la dernière dans cette salle de bain autrefois si familière.

Nous sommes passés livrer la laine chez une amie que je vois trop peu - nos vies trop chargées -. Son plus jeune fils était ravi et qui parle comme un grand désormais. Avec une belle étendue de vocabulaire.

Et puis il a fallu ranger de ce que nous avions rapporté ... et dégager le balcon. Je croyais que l'homme l'avait fait et il avait certes descendu un meuble de récupération mais il restait plein de papiers et beaucoup de saletés sous la chaise longue. Du coup j'ai fini tard, dans la nuit, deux poubelles recyclables et trois sac poubelles standards plus tard, mais au moins c'était fait. Et j'ai là aussi retrouvé quelques documents à mes yeux importants.

C'était une journée productive comme on aimerait en tenir davantage. 

Après, temps personnel = 0

Il est temps que les choses avancent, je ne tiendrai pas de longs mois comme ça.

 

(1) ici un plus long extrait.  
(2) Je ne suis pas dupe : réduite à mes propres ressources, sans avoir de quoi manger, en hiver je n'y ferais pas long feu.

 

 


La vie qui va


    En tant que fille et même si ma mère était féministe, j'ai été élevée dans l'idée qu'il y a d'abord toutes les choses à faire qu'il faut faire puis s'il nous reste un brin de temps les choses que l'on fait par plaisir. Autant dire, dès lors qu'on a une petite famille, un logis, et que l'on doit gagner sa vie, pas souvent.

En tant que gosse issue d'une immigration et dont le père travaillait en usine, et qui ne voyait dans le quartier où elle grandissait que des gens qui bossaient dur afin de boucler les fins de mois (1), j'ai grandi dans l'idée qu'on ne choisissait pas son métier, à moins d'être nés dans des grandes familles fortunées (et encore, j'avais à peu près pigé que dans bien de ces cas-là il y a des héritages à assumer, que c'est une autre façon de manquer de liberté).

Du coup il était à peu près clair pour moi qu'une vie d'adulte sur le temps hors sommeil c'était 80 % de contraintes plus ou moins pénibles, de petites et de grandes corvées et au mieux 20 % d'activités choisies (pas forcément faciles, ça peut être du sport ou de la musique, s'exercer à quelque chose qui nous va, mais qui demande de l'effort).

Il m'aura fallu un bon paquet de rencontres, et que mes enfants soient devenus grands, pour me rendre compte que, du moins en Europe en cette époque-ci (que l'on sent menacée), la vie normale c'est l'inverse, 80 % d'activités choisies et 20 % de trucs qu'on ne fait que parce qu'on ne peut pas faire autrement. La clef de ce miracle : exercer un métier que l'on aime et dans de bonnes conditions.

La condition principale pour le rendre possible : s'accorder le risque de la liberté et soigner dès ses vingt ans sa condition physique autant que faire se peut.

Contrairement à ce que cette société tente de nous inculquer, plus particulièrement aux femmes, afin que l'on claque un max de blé dans toutes sortes de "soins" et produits et trucages, il n'est pas nécessaire de coïncider avec des cannons de beauté. Rien ne vaut tant en terme d'apparence que d'être bien dans sa peau. Les modes ne font que passer.

Après, il faut en plus avoir de la chance, beaucoup. Et ça, ça ne se décide pas. Mais d'être à même de saisir les pistes qui se présentent, si.  

 

(1) Sans se rendre compte qu'avoir cette possibilité (s'en sortir en trimant d'arrache-pied) était déjà un privilège, qu'on vivait une époque favorable et protégée.