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    Comme Alice je ressens cette nécessité de témoigner pour plus tard, d'autant plus que quel que soit le résultat la période restera dans l'Histoire comme le moment de bascule où la mémoire de la seconde guerre mondiale dont il restait pourtant des survivants et des personnes qui l'avaient traversée enfants, n'était plus suffisante à maintenir à distance les séductions du populisme d'extrême droite, entre nostalgiques (qui s'étaient longtemps tus) et plus jeunes qui pensaient qu'il s'agissait désormais d'autres choses et qu'on pouvait mettre sur le même plan racisme et options économiques, que ça n'était pas si grave d'être racistes (et antisémites ...) au fond. Le ralliement des ambitieux a déjà eu lieu et s'amplifie. 

Quant à l'argument (avancé par des personnes que ça navre, mais pas au point de tenter de faire cette fois barrage) "Elle va gagner en 2022" il semble très répandu. C'est curieux un peu comme si, puisqu'on doit y passer commençons tout de suite on en aura plus vite terminé. Sans tenir compte du fait qu'on pourrait en crever. Ni du fait que si on écarte le péril à présent tant de choses peuvent se passer qui feront que peut-être en 2022 on échappera même au fait de devoir se poser la question.

Je me dis qu'il faut que je raconte en mode terre à terre. L'effet fait pour quelqu'un qui vivait là une vie moyenne.

Alors une des choses que j'ai constatées dans mon cas, c'est que l'agitation politique est telle et le sens si fort du danger (1), qu'une sorte de sous-programme qui tourne en permanence dans mon cerveau en ce moment. Jusqu'à dimanche dernier il était très accès sur Bon sang mais dans cette confusion générale pour qui vais-je voter ?

Depuis je ne me pose plus de question, tant il me semble évident qu'il faut faire barrage au parti dangereux pour notre démocratie en votant Macron, quand bien même je n'aurais pas songer à le faire en dehors de ce cas précis. En revanche je m'en pose sur la mesure du danger, sur que faire si ?, sur ce qu'il adviendra du pays, sur comment ne pas fracasser des amitiés sur nos divergences apparues sur le fait de devoir faire comme en 2002 front républicain.

C'est pour moi une période de vie ultra remplie, alors il m'arrive d'avoir quelques heures à fond dans telle ou telle activité et donc d'oublier, mais c'est très bref, et je m'aperçois que mon cerveau continue à tourner.

L'autre sous-programme est intime : il concerne la mort de ma mère (début février) et ses conséquences. Beaucoup de boulot, et de deuil et tout court : il va falloir vendre sa maison, se répartir ses affaires, continuer à faire beaucoup de papiers avant que ça ne se calme. Et puis il y a eu des ricochets de conséquences comme d'être en première ligne face au cambriolage de la petite maison normande et la récidive (mais il n'y avait plus grand chose à voler ; déjà que). Alors je me rends bien compte qu'à part certains moments d'être totalement concentrée sur quelque chose, j'y pense d'une façon ou d'une autre, en basse continue, chagrin ou préoccupations consécutives concrètes, sans arrêt.

Par miracle j'ai en ce moment un troisième sous-programme fort stimulant puisque j'ai une perspective heureuse dans ma vie professionnelle, et qui me demandera beaucoup de travail. Parfois quand les débats politiques m'épuisent ou me désespèrent, je pourrais presque en venir à me dire qu'après tout je pourrais faire comme tant d'autres coquets du second tour (2) et me dire que j'ai bien assez à faire sans m'occuper de l'état du pays, qu'après tout je n'aurais pas trop de toute mon énergie pour faire tourner la baraque. 
Seulement voilà je crois que mon travail quoi qu'il advienne sera impacté. Et quand bien même ; je ne sais rester indifférente au bien commun, au sort de la cité.

Il y en a un quatrième, plus discret, celui-là c'est moi qui l'ai voulu et qui concerne le sport. Dans un mois puis deux je vais tenter mes premiers triathlons. Je n'ai pas pu m'entraîner ces derniers mois comme je l'aurais souhaité. Ça va être rude. Et puis je dois faire encore quelques efforts d'équipement.

J'avais donc bien assez à faire sans que la part politique ne prenne tant de place malgré moi, qui rêve de retrouver cette distance d'autrefois, quand on avait des Giscard - Mitterrand ou Mitterrand - Chirac et qu'on savait que ça serait plus ou moins rageant ou moche (selon sa situation personnelle ou ses convictions) mais rien de dangereux pour la nation en tout cas, qui serait gouvernée avec un même sens des responsabilités même si les options prises divergeraient. Et donc en étant alors un français moyen on pouvait poursuivre sa petite vie sans trop se préoccuper de ce que là-haut ils faisaient, si ça ne faisait pas partie de nos centres d'intérêt.

Si les choses s'étaient déroulées normalement sur tous les plans, je devrais être en train de me dégager l'esprit en vue de mon nouveau boulot, en train de me préparer pour les triathlons, et je suis en train de surmonter la perte de ma mère et la perte de sens collectif commun de mon pays.  

La tension liée aux élections est telle qu'il est difficile de faire des projets ; autour de moi je ne connais personne que la situation réjouisse (3). C'est sans doute la première élection où c'est réellement le cas. 

 

(1) que l'on se retrouve en dictature comme de rien. Ne serait-ce que par la grâce de l'article 16 de notre constitution, tombé entre de mauvaises mains, sans même parler de cet état d'urgence qui a été prolongé d'ores et déjà pour au delà de la fin du règne de François Hollande. 

(2) L'expression n'est pas de moi, je l'ai vue passer sur Twitter

(3) Je n'ai pas, à moins qu'ils n'avancent masqués, de lepénistes parmi mes amis et il se trouve qu'aucun d'entre eux n'est supporter de Macron first place, même si beaucoup ont déjà voté pour lui au premier tour (pensant déjà qu'il y avait urgence). Ce sont des votes "pour le moins pire". 

PS : Et un très beau texte d'André Markowicz , parmi tant d'autres.  


L'entre deux (mouvementé)

 

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Je me doutais bien que le front républicain ne se portait pas aussi bien qu'en 2002, qu'une partie du vote pour Mélanchon face à un candidat de la haute [finance] pouvait potentiellement se jeter dans les griffes du fascisme.

Je n'imaginais en revanche pas à quel point il était fissuré, ni l'ampleur de l'effet cosmétique réussi par Marine Le Pen, et qui visait à faire croire aux petites gens qu'on allait enfin se soucier d'eux. Racistes, nous ?
Oublié le groupuscule mené jadis par son père au bandeau. Oublié ses fondements idéologiques qui n'ont jamais été reniés. C'est juste qu'on n'en parle plus.

Je n'imaginais guère qu'à peine les résultats du premier tour sortis ça serait la foire d'empoigne. 

Ce dessin de Marc Dubuisson résume tout tout très bien. 

Comme Alice, je tente tant bien que mal de témoigner de "comment c'était", "comment c'est possible".

Elle a déjà fait une grande partie du boulot dans ce billet : 

 

Folie : la reprise

avec entre autres le thread de L'étagère qui est très marquant. 

Enfin ce soir via Kozlika j'ai retrouvé ce billet chez David Madore : 

Quelques remarques sur les pouvoirs du Président français

dans lequel j'ai appris bien des choses que j'ignorais, en particulier les "pouvoirs non formalisés" d'un-e Président-e de la République Française.

Et vraiment je les remercie tous d'avoir écrit ainsi. 

 


François filme par chez moi

   

    Je me dis toujours que je le ferai, et puis ce sont des trajets de travail, et souvent je lis (comme je suis libraire c'est pour partie du travail aussi), et puis ces derniers mois, toutes sortes de tracas et donc les trajets servent aussi à envoyer des messages ou, ces temps-ci c'est un devoir, à tenter de se tenir informer, et j'aime un peu trop la photo, le charme de l'image saisie, arrêtée, pour m'appliquer avec élan à la video. Alors je ne le fais (toujours) pas.

Et puis voilà qu'un ami s'y est collé, qui travaille ou va travailler dans le coin lui aussi, filmant dans le sens banlieue - Paris un des trajets que j'effectue régulièrement dans le sens Paris - banlieue (1), se chargeant ainsi de documenter également sans le faire exprès ma petite vie, et surtout cette part de villes moyennes au bord de la grande ville, qui à la fois change sans cesse et si vite mais varie si peu (2).

Ce qui me fait beau c'est qu'il filme d'en bas, ce que les nouveaux trains, ces beaux Bombardier, permettent, avec un glissé fluide en travelling de cinéma. 

J'aime les mots qu'il superpose. N'aurais pas su si bien dire.

Je vais bientôt changer de boulot. Me voici pourvue d'un souvenir de celui que j'aurais tenu avec plaisir pendant un an. Merci François ! 

 

(1) Pour le retour j'ai, sauf contrainte, d'autres chemins. Les temps selon le sens, notamment les bus disponibles, ne sont pas équivalents. 
(2) En retrouvant le Val d'Oise en avril 2016 après quinze ans de quasi absence et n'y être plus domiciliée depuis trente-trois ans, j'ai été surprise d'à quel point quelque chose s'en conservait.


Un poème et une plume

 

Ce matin au courrier d'en papier, il y avait,

une longue lettre de banque et une enveloppe par une amie envoyée. 

 

À la lettre de banque, versant soucis de pris-pour-riches, rien d'affolant, je n'ai pas rien compris, voire même à peu près tout (j'ai quelques vestiges d'anciennes compétences), mais je n'ai pas aimé comprendre. C'est le monde tel qu'aujourd'hui il se prend. Nous sommes sommés d'aimer gérer. Nous sommes censés vouloir gagner de plus en plus d'argent.

Dans l'enveloppe de l'amie, un poème et une plume, le papier délicatement choisi, les mots soigneusement manuscrits, une petite œuvre de grâce. Il correspond au monde tel qu'en moi il serait, si l'extérieur coupant n'intervenait sans arrêt. C'était un poème de Pessoa, partagé en réconfort, avec pour le temps long du deuil un respect.

Je ne la remercierai jamais assez.


Musique d'accompagnement

 

    Ce soir (1) sur Mastodon, Kozlika écrivait "Il y a des morceaux qui t'accompagnent quoi qu'il arrive : tu es heureuse il est léger, tu es triste il pleure avec toi" et elle nous offrait cette sonate de Schubert, qui effectivement s'y prête.

Spontanément j'ai alors songé à des valses de Chopin qui vibraient d'énergie passionnée lorsque je les écoutais amoureuse et le reste du temps me donnent envie de pleurer dans un long et immense désespoir sans fond et pour la solitude participent de son agrandissement.

Je me dis à la réflexion qu'il y en a sans doute d'autres, qui sont pour la légèreté et le cœur gros sans nécessairement entrer dans les tourments violents.

Ça mériterait d'y repenser à tête reposée. 

  

(1) ou dans l'après-midi car je suis restée un moment sans me connecter, ni même consulter


Les concommittences assassines


    Il est des petits sales coups de la vie qui prennent un malin plaisir à survenir à point nommé, alors qu'on ploie déjà sous le joug d'une gravité, quelque chose de suffisamment lourd pour suffire à nous désespérer. 

Traversés de façon isolée, ils seraient pénibles mais une fois sortis de leurs griffes on pourrait par exemple en faire une anecdote pour fin de soirée à en faire sourire les amis ; ou sans aller jusque là, un souvenir mémorable de ceux que l'on se rappelle parfois avec la sensation même si ça n'était pas drôle d'avoir eu de l'intensité dans la vie.

Par exemple ça peut être un cambriolage dans une petite maison secondaire, un voisinage indélicat, une clôture séparative trop facile à franchir, une vitre que l'on casse, et il n'y a plus ni micro-ondes, ni machine à café, ni les bonnes bouteilles que l'on se gardait pour une occasion, ni la nourriture sèche que l'on conservait d'un séjour à l'autre, ni papier toilettes, ni balais de chiottes.
Pris isolément on peut se dire que cette société est bien malade qui poussent certains à se servir comme ça, que ça n'est pas bien grave, qu'on va faire réparer la vitre et racheter les machines.

Quand on découvre le forfait alors qu'on arrive un soir pour enterrer sa mère le lendemain, le truc fait mal. Très. Du sel sur une plaie.

Par exemple ça peut être un ancien bien-aimé qui pousse l'indélicatesse jusqu'à envoyer la réclame pour un roman qu'il publie avec sa dulcinée, quelque chose comme un an et demi après avoir lâchement quitté la destinataire. Au delà du chagrin renouvelé le message était si youkaïdi youkaïda qu'il aurait pu prêter à rire.

Quand le message est envoyé au lendemain du jour où l'on a un ami qui s'est fait assassiné avec ses collègues dans un attentat aux armes de guerre, et qu'on a commis l'erreur d'ouvrir le message (on se gardait bien depuis la rupture d'ouvrir quoi que ce soit venant de ce Ted Hughes réincarné) en croyant à des condoléances, ça met en danger. 

Par exemple ça peut être une compagnie d'assurance qui après avoir mis fort longtemps à répondre au sujet de la plainte pour vol avec effraction, déclare que l'absence de factures (même si ça n'était pas notre maison et que les factures devaient être détenues par une personne morte à présent) ne leur permet pas de rembourser le vol mais seulement le bris de verre. On peut se dire qu'OK, tant de gens jouent les Fillon que les assureurs de nos jours n'accordent aucune bonne foi potentielle à leurs adhérents.

Quand le message téléphonique parvient à l'instant d'avoir raccroché avec un des membres de la famille retourné pour quelques jours au calme dans la maison et qui appelait pour signaler une nouvelle infraction, même si ce sont des soucis de riches, ça donne envie de s'arrêter et de laisser les autres trimer. 

Parfois ça peut même le faire avec des choses qui autrement auraient été plutôt jolies, c'est l'enchaînement lui-même qui en fait une horreur.

Par exemple une cliente de librairie qui appelle pour demander si nous aurions par hasard, je sais que cette demande peut vous paraître bizarre, mais un livre de recettes de cuisine faites avec des fleurs, ça pourrait constituer une charmante brève de librairie.

Lorsque l'appel survient alors que malgré l'attentat meurtrier de la veille et le message si blessant et invraisemblable du matin, on a trouvé pourtant la force d'aller au boulot, que le téléphone sonne alors qu'on y parvient et qu'on décroche, première tâche de fait de la journée travaillée, il fait se demander si l'on n'est pas en train de sombrer dans une forme de folie, ou si le monde lui-même n'a pas tout bonnement quitté la réalité.

Lorsque par là-dessus le compagnon de route, celui qui devrait quand même éventuellement pouvoir constituer en cas de coups durs un soutien en profite systématiquement pour péter un câble et entrer dans des colères violentes ou des bouffées délirantes d'assassinats du monde entier, ça donne bigrement envie de reprogrammer l'univers et ses chronologies afin que les ennuis ne puissent se passer à plusieurs pour un humain donné dans la même unité d'espace temps. Qu'ils aient, entre autre, un temps de latence minimal à observer.

 

C'est le moment de se rappeler de "La Crisi" de Coline Serreau et de l'avoir déjà remerciée : 

(à 2'30")

 

 


La grandeur de la France

 

    Depuis le début de la nouvelle vague d'attentat entamée le 7 janvier 2015 (1), force est de constaté qu'à chaque tuerie parmi les victimes ou ceux qui auraient pu l'être, se trouvent des personnes formidables, qui le plus souvent permettent d'en sauver quelques autres, ou meurent mais c'est alors l'occasion d'apprendre qu'elles menaient de belles vies au service des autres, avec du sens. Ils ne font pas de tapage, ils sont restés discrets. Leur existence ne nous est révélée que par ces circonstances, dont tous se seraient passés.

Ils sont de tous âges, sexes et orientation sexuelle, tendances et nationalités (2), de différents métiers, même si ces temps derniers les forces de l'ordre paient un plus lourd tribut. Ils attestent que ce pays reste fort qui permet que de telles personnes existent, ici et là, partout et que ce ne sont pas quelques pauvres embrigadés d'une violence délétère qui collectivement nous feront tomber.

En attendant, hommage et respect. 

Grand merci à Matoo pour le lien suivant : 

 

 


L'intégralité de l'hommage par son conjoint... par publicsenat

 

 

 

(1) Je parle d'un point de vue local, je ne perds pas pour autant de vue qu'en Syrie, en Afghanistan, au Yémen, en Irak ou ailleurs, ça n'a pas cessé depuis de longues années et que le pire s'amplifie.

(2) Lors de l'attentat de Nice en particulier


Interlude

 

    Je recherchais sur l'internet la musique de la nouvelle choré (Taal se tall remix Rahman, plusieurs versions trouvées, aucune exactement celle que), lorsqu'après être passée par un djembe man indien impressionnant (quoiqu'un tantinet sirupeux dans ses créations personnelles) puis une jeune batteuse japonaise que les algo m'ont mise après, suivie de peu par un jeune batteur australien frimeur je suis arrivée sur cette video. Voilà, on faisait quand même des trucs bien, l'humanité, avant de tout casser : 

 

 

PS : Tombée aussi sur un reportage au sujet de Quincy Symonds, intéressant, lorsqu'être doué pour quelque chose croise les bonnes conditions - c'est peut-être ou probablement trompeur mais les parents n'ont pas l'air d'être de ceux qui tentent de réaliser leur ambition à travers leur progéniture, on dirait qu'il se trouve que It fits -.


vendredi 21 avril 2017 (diario (parfois c'est comme ça))

 

    Il faut faire des démarches administratives et potentiellement un déménagement, après un décès. C'est le matin pour avancer. Il faut le faire et tu le fais.

Ça se passe pour le mieux, même si tu comprends que compte tenu des impôts potentiels et des frais il ne restera rien, qu'une petite maison normande à ton nom et pour le reste toute sorte de frais dont tu te demanderas, même dans le meilleur des cas - l'homme aurait du travail, le tien serait payé avec régularité - comment parvenir à y arriver, chaque mois.

Le bureau est le même qu'il y a douze ans, la dame en face de toi aussi, elle a fait un truc avec sa couleur de cheveux mais pour le reste la même. Efficace, chaleureuse par moments, cassante à d'autres. Reviennent les souvenirs de l'époque, je soutenais ma mère qui s'était efforcée de faire face très bien, même si je la sentais parfois perdue, n'osant pas trop demander. 
Je m'en allais une fois tout signé par le train, gare du Nord via Ermont, chez #lancienneamie alors très proche. J'y retrouvais une autre personne et à trois, quatre un peu plus tard, nous avions fait toutes les relectures du livre "100 jours sans" édité sous l'égide d'Actes Sud au profit du comité de soutien à Florence Aubenas et Hussein Hanoun. 
Au passage j'avais acheté ce que j'espérais être une bonne bouteille à un marchand du marché couvert près duquel existait l'Île Lettrée. L'amie nous avait préparé à manger. Je me souviens de la bonne salade, de son efficacité. De notre extrême concentration au travail et qu'il faisait beau. Lucie était passée. 
Alors le moment difficile, l'officialisation définitive de la mort du père, s'était trouvé enrobée par l'activité militante, la chaleur de l'amitié, cet appartement où je me sentais chez moi comme je ne me suis jamais aussi bien sentie chez moi (1), la sensation si puissante d'être la bonne personne utile au bon endroit. Et puis le cœur étreint comme nous l'avions pour les otages, cette conscience qu'à chaque instant un message, un appel téléphonique, pouvaient indiquer une délivrance ou une tragédie.
La prise de conscience aussi, qu'à force d'aider les autres j'étais devenue une relectrice aguerrie. L'oubli absolu de mon job alimentaire de l'époque, comme si je pouvais tout au plus considérer deux cases : en l'occurrence ce jour-là, administration familiale et activités pour le Comité.
Il faisait beau.

Aujourd'hui aussi. 
Seulement en guise de suite, repasser chez moi, passer des coups de fils d'assurance, envoyer des messages pour toutes ces choses requises. Manger sur le pouce. Filer travailler.

Un jour comme aujourd'hui je savoure à son prix de pouvoir aimer mon métier.

L'après-midi passe. Vite. 

Tu dis un truc pour dire une bêtise et faire rire qui est là. Vérifications faites : ta boutade n'était autre que la réalité [éthymologie du mot plouc]. #oupsIdiditagain 

Tu apprends une mauvaise nouvelle. Le soir même une autre personne te confiera la même mauvaise nouvelle la concernant. Presque en les mêmes mots.
Du coup tu ne rentres pas chez toi au soir, sans appréhension. Épidémie de such bad news ?
Pour avoir connu bien des hauts et des bas tu sais qu'il s'agit surtout de périodes difficiles transitoires destinées à déboucher sur du bon, voire du bien meilleur, ultérieurement. Mais sur le moment, que faire ? Comment survivre à ces souffrances ? Comment survivre au flot de problèmes induits ?

Une soirée autour de Décor Daguerre, d'Anne Savelli. Un régal pour la partie que j'en ai suivie (2). Un doux moment entre amis. 
Le corps signale soudain qu'il lui reste juste assez de batterie pour assurer le retour. 

Demain sera à nouveau jour plein.

Le vieil ami me concède un demi conseil électoral, mais qui me laisse à mes hésitations. La sensation que l'attentat ciblé de la veille n'était qu'un coup d'envoi. Pourquoi se priveraient-ils de l'écho d'amplification que donne la campagne électorale à tout ce qui survient ?

Je me régale du nouveau livre, enfin entre mes mains (3). En quelques pages déjà il me console du monde.

Il est trop tôt tard. Mais trop vite.
Le lit m'attend.

 

 

(1) sauf peut-être longtemps plus tard dans la maison maigre de la rue H. van Zuylen, là-haut.
(2) venir de la colline fait manquer les débuts de tout. 
(3) un envoi postal s'est égaré.


Tu remarques

 

    Vous rentrez d'une soirée littéraire, pendant celle-ci les téléphones éteints ou silencieux, et juste jeter un coup d'œil en repartant, si d'aventure un message perso. Mais rien.
Vous ne traînez pas, du travail (administratif) t'attend à la maison, ligne 14 puis à Satin Lazare un train. Vous parlez de Karsten Dümmel qui vous a fait forte impression. C'était l'auteur invité.

Les transports ne sont pas très plein, et tu te fais la réflexion que sans doute les gens regardent la soirée de présentation électorale. À la gare, le train a du retard, beaucoup de monde sous les panneaux proche des quais potentiellement concernés par son arrivée.

Des militaires en patrouille, comme on a fini par s'y habituer. Celui qui t'accompagne remarque leur présence, Ils sont nombreux. Pour ta part, ça n'est pas remarquable, tu circules beaucoup en transports en commun, en cette période électorale de tous les dangers tu as déjà remarqué qu'ils étaient plus nombreux que le déjà plus nombreux de l'après 7 janvier [2015]. Ce qui te frappe c'est leur formation, au lieu d'évoluer en petit groupe qui marche ils se sont postés aux angles. Comme si la petite foule des voyageurs aux nez en l'air vers les panneaux était à surveiller. Un des plus jeune est aux aguets comme un animal traqué. Tu remarques que la foule est inhabituellement silencieuse pour une foule de fin de soirée ; pas de petit groupe rigolard qui a un peu trop arrosé une occasion ou une autre de festoyer. Pas de mendiants. Lien de cause à effet avec la forte présence de soldats ? Tu remarques que la plupart des gens sont au téléphone. D'accord le train a cinq minutes de retard et il n'y en aura pas beaucoup d'autres avant le lendemain après celui-là, mais ce besoin qu'on les gens de nos jours dès qu'ils bougent de dire on arrive et de paraphraser en permanence leur propre vie, c'est quelque chose ! "J'attends le train devant le quai 2" précise même une jeune femme. "Il arrive, là, ne t'inquiète pas" précise-t-elle peu après.
Les gens sont calmes, rapides (pour compenser le léger retard ?), tu remarques une certaine fluidité, comme si chacun se hâtait, pressé d'en finir avec cette journée. Tu penses alors que le retour du froid après ce qui ressemblait à un beau démarrage de printemps n'a pas usé que toi.

Tu remarques, tu remarques tout ça.

À peine assis, d'un accord tacite, vous vous plongez dans les ouvrages fraîchement achetés ; sommeil ou boulot administratif, il n'y aura pas réellement de temps de lecture après. Donc pas de téléphone consulté.

C'est en arrivant à la maison que tu comprendras, votre fille soulagée que vous rentriez, elle dit "Sur les Champs Élysées un policier a été tué".

Alors tu te renseignes, tu lis, et tu comprends enfin le sens de tout ce que tu avais remarqué sans être capable, alors que tu y avais pensé en début de soirée, ce risque, ces jours-ci, de rassembler A + B.

Triste époque. 

(Et le pire reste en risque : quelque chose contre une foule, comme on l'a déjà vu)

Article plus complet par ici (Le Monde) avec l'intéressant et très précis témoignage d'un témoin (les véhicules les armes, les enseignes des magasins, il est au taquet - j'admire qu'il en soit capable comme ça juste après, pas un gramme de panique, grande lucidité -)