Petit rituel du matin (un tantinet fracassé)
30 janvier 2017
Depuis longtemps je me lève de bonne heure, à moins de jour délibérément consacré à reprendre des forces.
Alors il y a les matins d'entraînements, ou il y a quelques années ceux de file d'attente d'opéra, et là c'est simple, le radio réveil ou le réveil du téléphone ou le réveil tout court se déclenchent et il faut s'extirper du sommeil et du lit et vite filer. Punto basta.
Il y a aussi, il y a eu, il y aura encore, les matins d'aftermath : un proche est gravement malade ou accidenté ou il y a eu des attentats, ou quelque chose de grave s'est produit la veille, ou est encore en cours, quelque chose dont on attend la suite, ou pour la suite duquel on attend des nouvelles, et la première pensée après un sommeil nappé d'inquiétude est Y a-t-il eu du nouveau pendant la nuit ?
Habituellement c'est très ponctuel. Le matin du 8 janvier 2015 ou du 14 novembre de la même année. Ou après une opération chirurgicale d'un proche. Ou le lendemain matin de l'annonce d'une disparition [qui concerne quelqu'un que je connais]. C'est le matin du lendemain matin. Éventuellement le surlendemain. Pas plus loin.
Il y a hélas les jours de maladie et de différentes souffrances physiques ou le réveil sonne l'instant des retrouvailles avec la douleur.
Sinon, la plupart des jours, les jours normaux, les autres jours, j'aime commencer la journée par un instant de lecture. Rarement le roman du moment, faut-il qu'il m'ait happée, et que le sommeil m'a surprise alors que je croyais qu'encore je lisais. Plus généralement de la poésie ou un grand classique, quelque chose qui permet d'entamer la journée sur des pensées calmes et larges. Que l'urgence concrète du quotidien attente que le corps et l'esprit soient d'attaque pour s'imposer. Qu'il soit possible d'entrer dans la journée par un sursis de rêverie, ou une bouffée de réflexion. Si possible de beauté. Quelques secondes d'harmonie.
Et puis il y a ce type. Un fou furieux élu cet automne à la tête d'un gros puissant pays lointain. Qui y a le pouvoir depuis un peu plus d'une semaine. Je ne suis pas censée être directement concernée. Pas tant qu'aucune nouvelle guerre ne soit déclarée.
Et pourtant.
Depuis qu'il est là, mon rituel du matin s'est trouvé fracassé. Je commence par regarder les fils d'infos sur mon téléphone, ou écouter le flash d'info à la radio (alors que normalement le premier se déroule sans que j'y prête réelle attention). La première pensée ce sont des variantes autour du thème Quelle(s) catastrophe(s) va-t-il [encore] avoir déclenchées ? Et ça n'est pas qu'un lendemain de quelque chose. C'est tous les matins. Une part animale de mon cerveau ressent un danger (1). Je m'informe pour [tenter de] l'apaiser.
Seulement ensuite, je peux un peu lire. Sur le temps restant.
J'ignore si l'accoutumance venant (on s'habitue à tout ce qui ne nous tue pas), je vais retrouver ma routine. Ou si une catastrophe effectivement surviendra qui me replacera dans le cas "matins d'aftermath" et me délivrera par le pire de la peur de la survenue. Ou si quelque chose fera que cet incompétent dangereux sera destitué. Peumeuch au point où l'on en est qu'il soit remplacé par quelqu'un à l'idéologie à mes yeux aussi pourrie, tant qu'il s'agit de quelqu'un pourvu d'un minimum de sens des responsabilités, de cohérence et de sang-froid.
Ça ne va pas être possible de tenir longtemps comme ça.
(1) Pas besoin de psychanalyse, je sais d'où elle vient, c'est la trouille de mon père grandissant durant les années trente en Italie sous Mussolini. Les adultes sont fous, de peur ou fous tout court. Il n'y a plus rien à quoi se fier. Et tout, autour, devient danger.
(J'ai, face à l'actuelle situation, l'impuissance d'un enfant)