Ce monde-là
27 décembre 2016
C'est dommage que la période soit si chahutée d'un point de vue familial entre une mère au bout du rouleau et un homme rendu fou chagriné par la conclusion de l'affaire de la fuite d'eau invisible (c'est ainsi : quand tu n'as pas une belle installation par manque d'argent et qu'un ennui survient parce que c'était vieux, tu dois payer pour retaper les belles installations des autres et mettre en conformité la tienne à tes frais), car les journée de boulot sont intenses et gratifiantes, d'autant plus que cette semaine je tiens seule la boutique ce qui dans un espace réduit est plus facile en fait (1).
J'en repars fatiguée mais le plus souvent le cœur léger, avec le sentiment d'avoir été utile, je lis dans les transports et rêve encore un peu en marchant jusqu'à la maison.
J'étais au sein d'une de ses songeries déambulatoires, un rêve très tonique dans lequel à Uccle je retrouvais un bonheur possible, lorsque j'ai vu que les mendiants des feux rouges au bas du périph, ceux qui viennent là depuis des mois avec des pancartes "Famille Syrie", alors que la température extérieure voisinait le zéro n'étaient plus quelques-unes mais une petite foule d'hommes de femmes en noir et de petits enfants. Qu'ils soient vraiment Syriens où prétendant l'être ils ne méritaient pas d'être dehors à attendre par ce froid. Leur surnombre ôtait toute chance d'efficacité puisque par définition même un automobiliste compatissant et fortuné (2) n'aurait pu offrir assez. Et je suppose que nombre d'entre eux risquaient même en étant de bonne composition de se sentir agressés, par simple effet d'infériorité numérique. Il n'y avait rien que je pusse donner, la seule chose que j'avais d'abondance était des livres et encore à lire "pour le travail". Une fois de plus j'ai eu honte de mon impuissance. Je me dis que notre société a vraiment quelque chose qui ne va pas.
Plus tôt, attente du bus. Ils sont rares en cette période, et nous sommes plusieurs. Il y a une jeune femme bien en chair qui attend également un peu à l'écart. Un type avec un SUV de crâneur s'est arrêté, j'ai pensé à un parent venu la chercher, ou tout du moins quelqu'un qu'elle connaissait. Elle s'est approchée, ils ont échangé quelques mots, elle s'est reculée il est reparti sans s'arrêter auprès des autres personnes dont je faisais partie - et de toutes façons s'il s'agissait de demander son chemin il avait le genre d'engin qui sait tout ça tout seul -. Elle a finalement pris le bus avec le petit groupe que nous formions. Mais je me suis posée la question d'un trafic éventuel, de propositions crapuleuses, voire de prostitution. Le lieu semblait mal choisi. Mais ce que m'a appris la vie c'est qu'aucun lieu n'est plus totalement incongru. Un doute subsistera.
Nous vivons dans ce monde-là.
[mais c'est aussi un monde où la plupart des personnes croisées dans ces mêmes transports, bus de banlieue puis RER C, bouquinent, passent des coups de fils parfaitement anodins, traitent leurs enfants avec soin, saluent le chauffeur du bus et le remercient à l'arrivée ; il faudra se le rappeler lorsque tout va basculer]
(1) Question d'expérience, de n'avoir pas à faire gaffe à ce que fait l'autre en même temps, et aussi de ce léger handicap que je traîne depuis janvier 2015 et qui fait que je ne perçois plus les présences à l'arrière (ou latérales si en retrait). Alors je dois faire preuve pour compenser d'une vigilance accrue (ou sinon j'écrase des pieds, je bouscule) qui me fatigue davantage.
(2) Auquel cas que ferait-il porte de Clichy en soirée ?
PS : Si je devais faire un sondage "sortie de caisse" en libraire je dirais que Macron et Mélenchon sont pour le printemps les grands favoris. Effet de microcosme ou bien tendance de fond ?