La semaine a été trop intense, sur trop de fronts simultanés. Il faut tenir le coup et ça se passe plutôt bien au travail le matin.
Au moment de partir, une femme entre malgré que tu lui indiques que tout est fermé - sauf la porte que tu t'apprêtais à franchir, restait une commande particulière à envoyer, l'ordi n'était plus allumé que pour la messagerie -, en plus elle est confuse dans sa demande et tu n'es plus capable, l'esprit déjà tourné vers l'hôpital de faire plus que constater que vous n'avez pas l'ouvrage qu'elle semblait demander. Elle finit, semble-t-il par comprendre, peu aimable - ces gens qui estiment qu'ils ont tous les droits, surtout quand l'heure est nettement passée et qu'on a décroché -.
Brunch rapide mais bon.
Je m'endors à l'hôpital, presqu'à peine arrivée, du moins je crois puisqu'il fut une heure plus tard bien plus vite qu'une heure plus tard. Sans doute bien entraîné par les fréquentes journées de fréquentation de son père qui vécut en maison de retraite pendant de longues années, l'homme de la maison est très fort en soins aux personnes âgées.
Ma mère redevient elle-même c'est-à-dire compliquée à côtoyer. Nous ne parvenons pas à cerner si son quasi-refus alimentaire vient de difficultés physiques (qui feraient que ça ne passe plus) ou d'une grande lassitude. Elle refuse qu'on l'aide (se redresser, boire un peu). Mon père il y a douze ans, comme patient était beaucoup mieux. Au moins elle semble avoir retrouvé une part d'énergie puisque protester lui est redevenu possible.
Sa voisine s'appelle Paulette.
L'homme en entrant dit Bonjour Paulette, comme s'il la connaissait de longue date, comme si venir à l'hôpital est déjà inscrit en tant qu'habitude dans nos vies.
J'insiste pour prendre le temps de voir une infirmière, quelqu'un, pour tenter d'en savoir plus. Moyennant une attente rallongée de son exaspération, je parviens à mes fins.
Nous obtenons ainsi quelques informations. La jeune femme est compétente, lui parler est constructif, éclairant et même si rien de très déterminant ne nous est dit, nous repartons le cœur moins lourd.
Nous repartons avec les coordonnées du médecin qui suit le cas de l'ascendante. Nous vérifions qu'ils ont bien les nôtres. Le dossier sur lequel elle complète la liste de nos téléphones est bien annoté.
Depuis le début de ce nouvel épisode de tentatives d'approche que la mort effectue, nous n'avons rencontré que des soignants attentifs, intelligents, compétents. Souvent débordés mais faisant face. Les dysfonctionnements ne viennent pas d'eux. Ils semblent simplement n'être pas assez nombreux.
Nous informons notre fille (qui d'Angleterre appelle), et ma sœur, par SMS.
Il faut ensuite passer à la maison de l'hospitalisée. Des affaires à prendre qu'il faudra lui apporter. Une voisine à avertir dont nous n'avons pas les coordonnées. Une machine à laver dans laquelle le linge était resté (je l'ignorais, l'homme croyait que c'était l'eau qui ne s'était pas évacuée). Le bazar, les draps froissés, les mouchoirs ensanglantés, traces de la situation d'urgence qui fut celle de la semaine passée. J'en profite pour prendre le linge sale, ranger ce qui peut l'être, chercher les éléments de garde-robe que la malade a réclamé. Je vide quelques cadavres. De bouteilles.
Nous débattons d'énervement au sujet d'une motte de beurre dont le sort (poubelle ou cuisson) aura catalysé nos épuisements. Plus tard j'interrogerai les copains qui en feront quelque chose de drôle et je leur en sais gré :
Nous recevons un appel téléphonique dans la maison que nous tentions de remettre en propreté. Je ne trouve pas un vêtement demandé. Ça me peine plus qu'il ne le faudrait : j'eusse aimé faire ce micro-plaisir à l'alitée. Qu'elle retrouve le sweat-shirt qui lui tenait chaud.
On dirait que la maison était fort bien tenue jusqu'à un récent laisser-aller durant lequel n'auront plus été fréquentés qu'un fauteuil du salon, la cuisine et dans la chambre, le lit. J'ai une sensation de type Alice [au pays des merveilles] tant le pavillon me paraît petit. Je me souviens fort bien du sentiment de grand espace éprouvé à cinq et six ans lors du passage de l'appartement exigu à cette petite maison.
Nous comprenons, à l'état des aliments dans le réfrigérateur, ce qui a pu endormir notre méfiance : certains restes dataient en fait probablement depuis longtemps. Et lors des dernières visites la vision de morceaux entamés - donc en fait elle mangerait - a endormi nos doutes. J'imagine que cette duperie était involontaire. Il n'en demeure pas moins que laisser des restes pour faire présupposer à qui les voit que la part manquante l'est depuis peu, fût-elle volontaire, ferait une stratégie imparable.
Un nouvel SMS arrive. C'est un remerciement pour la veille. Au matin il y en a eu d'autres. C'est curieux, j'avais l'impression d'être malaisée, une part de mon cerveau en subroutine "tracas hospitaliers". Ou alors c'est que les gens sachant nos difficultés du moment s'efforcent d'être gentils.
Là-haut sur la colline beaucoup le sont.
Au matin juste avant le travail un homme qui près du distributeur attend que j'aie fini car je m'en étais écarté, petit retrait achevé, afin de chercher dans mon sac mes clefs. Il croyait que je cherchais sans doute ma carte de retrait. C'est typique des gens du petit pays de Jean-Jacques Rousseau.
Je me demandais si je devais ou non voter au second tour des primaires de la droite afin de tenter de contribuer à éviter le plus réactionnaire des deux candidats restants. L'existence arbitre pour moi : partie à l'heure où les bureaux de vote ouvraient, je suis rentrée à celle de leur fermeture.
En soirée je parviens toutefois à sauver une brindille de temps personnel. Auparavant, je m'attaque aux lessives, l'homme au dîner. Le fiston prend des nouvelles, retourne à ses occupations, et moi aux miennes au lit.
Tu parviens même à récupérer une pensée pour l'ancienne amie que tu reverras sans doute demain (comme cela semble certes important mais désormais pas tant), et une autre amie dont le changement d'éditeur dont tu n'avais pas été avertie cache peut-être d'autres choses bien moins simples.
Pour un peu on entreverrait la possibilité d'un retour à la vie normale.
[mais tu le sais bien : rien n'est moins certain]