Fan, moi ? Jamais (quoi que)
01 novembre 2016
Ça reste un mystère pour moi, ce truc qui fait qu'on bascule de l'admiration pour le travail de quelqu'un à une adulation de la personne elle-même.
J'ai suffisamment vécu pour savoir que l'amour (celui des amoureux, pas le filial ou le plus général "de son prochain" (1)) comporte une part de ça.
Mais il s'agit pour les fans d'autre chose puisque l'objet humain de leur (centre d')attention est par définition inaccessible (2).
Alors comme le sujet est un peu marrant, quand j'ai envie de dérider mon cerveau de sombres pensées que les circonstances y ont imposées, je me reprends à tenter de le creuser.
Ce soir je songe que bien que ne comprenant guère, il m'est arrivé par trois fois d'éprouver quelque chose qui y ressemblait, qui s'en approchait.
- Une rencontre à l'Institut Culturel Italien à laquelle participait Natalie Dessay, je tenais à la remercier de moments magiques passés à l'Opéra grâce à elle, l'ai fait, mais allez, reconnais-le, patate, tu avais la gorge sèche et ta petite voix à toi qui tremblotait.
- Ma rencontre imprévue avec Wim Wenders un samedi à la Fnac des Ternes, il dédicaçait avec son épouse le livre consécutif à Buena Vista Social Club, je passais par là, j'entends l'annonce, vais jeter un coup d'œil, suis surprise par le (relatif) peu de monde et voilà qu'on papote cinéma - j'ai un prénom qui aide merci Maman merci Papa -, tranquilles, cools, ça va de soi. Je redescends, passe en caisse (elles sont où étaient au 1er étage, et la dédicace avait lieu au 4ème, à la librairie), me dis tiens si je rentrais en bus, attends le bus et là, soudain, mais C'ÉTAIT WIM WENDERS. J'ai dû m'asseoir pour retrouver mon souffle.
- Une étape de ma vie de libraire qui n'avait rien donné, il eût fallu que j'eusse de la maille à investir et pas seulement des qualités de terrain et ma passion, et cette visite des futurs locaux avec un type que j'admire pour le boulot qu'il fait, et qui m'ouvre une porte en disant comme il aurait dit dans une visite d'appartement vous pourrez en faire la bibliothèque ou la chambre des enfants, Là ce sera le bureau de Ken Loach lorsqu'il viendra à Paris. La moi de douze ans qui m'habite toujours un peu, la gosse de banlieue qui aimait aller au ciné, inventer des histoires, les faire jouer à ses ami-e-s, n'osait pas trop les filmer en super 8 parce que ça coûtait trop cher et que le père aurait dit qu'est-ce que c'est que ça, n'avait pas la moindre idée de ce que pouvait être un réalisateur sinon elle aurait voulu faire ça, le coup de la porte ouverte sur le bureau d'un des plus grands contemporains qui aurait pu être au boulot son voisin, elle ne s'en remet pas. (3). L'adulte que je suis a vu des petites étoiles sur ce coup-là.
Je dois donc bien être un peu fan quand même.
Pour autant, ça ne se comprend toujours pas.
(1) Oui, ce truc oldschool en voie de disparition et qui peut même mener en prison si on le pratique encore dans certaines régions aux flux migratoires importants.
(2) sauf JJG un jour m'a raconté un expert ;-)
(3) C'est aussi la prise de conscience des plafonds de verre que dans une société il y a : je viens de si loin, que l'éventualité même d'un tel voisinage dans la vie quotidienne de travail, est faramineuse en soi. Eussé-je été issue d'un milieu pas forcément aisé mais un zeste bourgeois et cultivé, une telle éventualité sans suite serait un mauvais souvenir à vite oublier, un échec. Au lieu de ça, ce moment est l'un des plus beaux souvenirs de ma vie. Un de ceux auxquels je pense pour tenir bon quand ça tangue.