Grand âge
Un texte triste mais significatif (André Markowicz)

Douze ans après

20161124_144346Douze ans après, mais cette fois-ci pour la personne qui alors t'accompagnait dans certaines visites à celui qui était alors malade, tu reviens à l'hôpital d'Eaubonne.

Tu en avais soigneusement oublié le chemin, toi qui à l'ordinaire les retiens si bien.

Les bâtiments ressemblent à ton souvenir.

Tu te dis qu'il y a douze ans tu ne connaissais pas la plupart de tes ami-e-s de maintenant, et ça t'impressionne. Le net est passé par là qui t'a fait rencontrer les personnes non plus par concordance géographique et temporelle mais par affinités. Les liens n'en sont que plus forts.
Lors de l'attente auprès du brancard, tu tentes de compter combien tu as eu de vies que l'on pourrait presque qualifier de successives tant elles différent. En point communs : seulement les livres et quelques liens indéfectibles et traversants. Tu constates qu'à part les drames, et les drames déterminants ne sont pas ceux auxquels on pense forcément, ces différentes existences ont souvent des bornes en forme de transition.

La première irait de ta naissance à l'automne 1997 ou à l'été 1998 ou au 17 février 1999. Elle comporte bien des étapes déterminantes, mais qui ne t'auront pas fait basculer dans une autre dimension. Ainsi la naissance des enfants. Certes on n'est plus la même personne, tout à fait, après. Mais le cours de la vie suit la même logique du moins lorsque, ce fut notre cas, tout s'est bien passé.

En revanche l'automne 1997 c'est le moment où un prospectus sur un pare-brise, pas même celui de ta voiture, te décide à t'essayer comme choriste. À  ce moment là ton temps personnel c'est lire le soir / la nuit un peu au lit et un cours (de danse) par semaine le samedi après-midi. Tu veux y rajouter la chorale, répétitions le jeudi soir. L'homme qui a été sérieusement malade au printemps, mais va mieux à présent, consent.
Non que tu aies besoin de sa permission, mais de sa présence garantie au même moment à la maison afin de s'occuper des enfants (alors 7 et 2 ans). De là quelques jours à Prague, ensembles, au printemps, au prétexte d'un concert. De là les concerts avec Johnny et leur préparation et cette révolution dans ta vie : elle peut elle aussi comporter des moments extras et pas seulement ordinaires. Alors tu es prêtes pour la rencontre du 19 février 1999.

De là au 26 juin 2003 il y a une grande amitié qui se solidifie, et l'incubation de l'écriture jusqu'au 7 novembre 2003 que je reçois les mots qui secouent pour me secouer. Et le 24 février 2004 le premier manuscrit. Et mon père qui tombe malade et meurt mais peut-être que je suis la même personne jusqu'au 1er mars 2005, quelqu'un à qui on a fait le coup du "Venez chère grande âme" et qui est tombé dedans et vol libre sans même prendre le temps de sangler son parachute. 

Le 1er mars 2005 c'est à la fois le premier jour de l'emploi désormais à mi-temps et la video de Florence Aubenas captive, que tu parviens à ne pas regarder mais qui te fait filer au Comité de soutien auquel déjà tu participais mais avec pondération. À partir de cette date fatidique, ça sera à fond. Et cette expérience change ta vie. Tu n'es plus la même personne après. Tu ne parviens plus à rentrer dans tes anciens habits, particulièrement la blouse grise mentale de ton emploi bancaire. Aussitôt après l'expérience collective de l'Hôtel des Blogueurs te fera rencontrer des amis formidables. Tu es une même personne, fonceuse, du comité de soutien jusqu'à ce 17 février 2006, que tu considères même si ça ne rime à rien comme ta première mort. 

La 5ème phase sera celle de la survie, tu as envie de l'établit jusqu'au 20 janvier 2009 même si le 28 août 2008 est une date de bascule. Tu n'en demeures pas moins la même personne jusqu'au ce dernier jour de travail comme ingénieure et que tu auras parcouru sans jamais savoir qu'il le serait. La personne que tu es alors est quelqu'un d'infiniment désemparé et triste, seule l'écriture (qui perdure) et les ami-e-s te permettent de tenir et cette nouvelle rencontre, à laquelle tu mettras un moment à croire, tant la rupture de début 2006 fut brisante. 

Tu es ensuite quelqu'un qui à de l'élan et de l'allant même si rien n'est donné, et ça durera sur le plan affectif comme professionnel, jusqu'à l'été 2013. Sans doute que tu n'auras jamais été aussi proche de la personne que tu sens être en toi qu'à cette période. Sans doute que tu n'auras plus avant longtemps un vrai temps d'écriture comme celui-là. Ni un lien affectif aussi intense que celui que tu avais contribué à créer.

Tu retrouves la personne triste et marécageuse jusqu'au 7 janvier 2015 : quelqu'un qui se bat pour la survie professionnelle et affective. Reculez d'une case. 

Du 7 janvier 2015 au printemps 2016 et tes débuts à la librairie de Montmorency, c'est une période engluée dans des effets réactionnels bien secondés dans leur travail de sape par la déception professionnelle qu'aura constitué le travail dans une librairie de chaîne (chaîne indépendante mais chaîne quand même). Tu n'étais plus toi même durant cette période. Mais ta version zombie.

Depuis le printemps 2016 et grâce au travail, et à l'inscription (enfin) au triathlon, tu redeviens proche de la personne 2010 - 2013, celle qui a encore de l'énergie pour tenter des trucs de bête de ouf dans sa vie. 

De quoi l'avenir sera-t-il fait ?

Douze ans après retrouver les lieux que tu fréquentas avant même la création de ce blog-ci est donc très étranges. Tu les arpentas en étant la même autre.

Qu'est-ce qui dans la perception est en commun, qu'est-ce qui au contraire varie ?

Retourner sur ses pas, dans des circonstances similaires et non pas par choix, revient à rejoindre l'ombre de ce que nous fûmes. Ça n'est pas neutre. 

Je n'ai pas terminé d'y repenser.

 

PS : Les palmiers ont disparu. 

 

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