La fête chez Jacques
03 octobre 2016
Alors voilà, moi qui en tiens pour une solide séparation (autant que possible) entre le travail et la part de vie privée, concernant les auteurs peut-être plus que tout autres - nous n'avons à connaître en tant que lecteurs que ce qui peut expliquer telle ou telle spécificité, c'est déjà beaucoup -, moi qui suis bien d'accord avec ce qu'écrit Jean-Philippe Guedas au sujet de la divulgation de la véritable identité de celle qui écrivait sous le pseudo d'Elena Ferrante en toute liberté (1), voilà que j'ai quitté sans m'attarder le moins du monde une intéressante soirée, parce que j'étais trop au bord des larmes pour rester.
C'était à l'initiative des éditions Gallimard, une soirée pour lancer les différentes publications prévues pour honorer les quarante ans de la disparition de Jacques Prévert.
À cette occasion ils avaient fait les choses avec classe, nous conviant sur les lieux de son logis parisien, qui a été respecté, il reste même des objets courants crédibles, et une chambre d'enfant.
Une vraie visite guidée, par quelqu'un qui travaille là, et ne nous servait pas un discours préfabriqué, mais faisait part de ce qu'il savait et ressentait.
Et soudain c'est la gamine de 13 ans 1/2 qui écrivait, le cœur serré, dans son journal (diario) quelques lignes chaque soir d'une période de vacances en Normandie, entre une description assez mécanique des activités familiales, "En écoutant voiture radio, su que Prévert mort dans village tout près Hague.", qui soudain se retrouvait chez le monsieur aux mots bons, oui près de quarante ans plus tard. Et j'imagine la tête que la jeune moi aurait fait dans la voiture parentale si on lui avait prédit cette visite - et qu'elle survivrait jusqu'au moins un tel âge -, Tu es triste petite, mais un jour viendra où tu feras ma connaissance par les objets.
Ce monde est au bord de plusieurs sortes d'effondrements, en attendant, l'existence offre parfois de ces cadeaux profonds qui redonnent une bouffée de confiance. La beauté a aussi le droit d'exister.
Et, quoi que je puisse en penser avec mon intelligence rationnelle, il n'en demeure pas moins qu'affectivement des liens se tissent avec ceux que nous lisons, où dont nous admirons les œuvres (tout domaines confondus). D'autant plus que cette dernière année c'est un peu comme si Monsieur La Vie m'accordait quelques attentions pour celles que j'avais eues ado, ainsi ma lecture méthodique des "Confessions" de Jean-Jacques Rousseau et le désir d'aller en vélo de Taverny à L'Ermitage, qui semblait un prélude naturel avec ce bel emploi que j'ai désormais sur ses lieux, ainsi cette fête chez Jacques, ainsi tant d'autres choses, qui se font écho. La vie peut être une longue énigme qui se résout parfois.
(Merci à ceux qui ont organisé cette soirée et à celle qui m'a transmis l'invitation)