Y a d'la pomme !
Dans ton sac

À un moment, ça va coincer

    Se demander de plus en plus nettement, et indépendamment des mouvements de houle actuels (le risque d'une catastrophe électorale en 2017, d'une catastrophe guerrière ou écologique générale, toute une foule de variantes aussi "réjouissantes" les unes que les autres possibles), c'est à dire en fait dans une sorte de meilleur des cas, combien de temps les choses pourront continuer sans que les gens ne se révoltent et bien plus violemment qu'en ZAD ou lors du mouvement contre la loi (fin du) travail (salarié).

J'ai de plus en plus nettement la sensation de faire partie d'une fin de génération pour laquelle : 

- à condition de bosser dur ou très dur, l'ascenseur social y était, et sans forcément devoir se renier (par exemple en restant humaniste, respectueux des autres et des paroles données, non-raciste ...) ;

- les parents, relativement tôt retraités, pour les éventuels gardes d'enfants pouvaient aider, ce qui n'est pas rien lors des premières années de travail alors que les salaires couvrent à peine les frais ; 

- les parents s'ils avaient eu des vies professionnelles raisonnables, s'ils avaient trois sous de côté, s'ils étaient généreux, pouvaient donner le petit coup de pouce permettant, une fin d'études, un premier logement, l'attente des premiers salaires ...

 

Je m'aperçois que nous ne pourrons en faire autant envers nos enfants. Menacés dans nos jobs passés la cinquantaine (sauf à avoir su ou voulu ou pu devenir cadre dirigeant), nous n'aurons pas de retraites avant 67 ans. Ça signifie pour beaucoup d'entre nous, vivoter avec difficultés dans des boulots précaires (et encore, si l'on a la santé) ou déclassés (au moins d'un point de vue financier). Impossible d'aider la génération suivante, laquelle est confrontée avec une forte réduction des possibilités d'études peu coûteuses, du moins dans des cursus reconnus pour des emplois. Impossible aussi de l'aider concrètement par exemple en gardant les petits-enfants, coincés entre les soins aux aînés (lesquels vivent désormais beaucoup plus vieux d'une façon générale) et le devoir de continuer à gagner sa vie jusqu'à un âge avancé. Matériellement, nous aurons peu de choses à leur léguer, nos revenus, fors ceux qui individuellement tirent leur épingle du jeu, n'ont rien à voir à boulot équivalent avec ceux de nos pères. Tout passe dans les dépenses de vie courante non compressibles (1).

Un autre point a évolué concernant la nourriture : jusqu'aux années 70 du siècle dernier il était possible de manger sainement et de façon frugale si l'on n'avait pas beaucoup d'argent. La malbouffe existait, elle n'en était déjà pas qu'à ses débuts (cf. L'aile ou la cuisse), mais l'on pouvait encore contourner. C'est toujours possible, quarante ans après, mais désormais les produits non nocifs ont un coût élevé. Le frais, le sans (trop de) pesticides, le pas trop trafiqué, le produit sans souffrances industrielles extrêmes d'êtres vivants, sans trop de sucres inutiles ou de gras rajoutés, est devenu un luxe.

Les frais médicaux, du moins en France, restent encore globalement pris en charge mais avec de plus en plus de rétrécissement et un rôle croissant des mutuelles, ou des assurances complémentaires et leur travers masqués : pour cause de rentabilité on tendra un jour à ne plus couvrir ceux qui en ont le plus besoin (2). Or le coût des traitements a énormément enflé. Les techniques de pointes ont fait de remarquables progrès mais elles sont désormais hors champ du finançable par un particulier, même aisé.

Enfin, l'accès à l'emploi se fait de plus en plus souvent par des périodes de très basses rémunérations, qui portent comme implicite que le jeune soit (au moins) logé.

Bref, même si rien de pire entre temps collectivement ne survient, on est au bord d'un moment où ça va coincer. Et ce d'autant plus que les générations nouvelles ont grandi dans un monde d'intense consommation (3), ce qui suppose d'avoir un minimum de maille. Quels que soient les régimes politiques, sauf solide volonté de redistribution et de solidarité plutôt que d'extrême concurrence et de recherche d'une inhumaine rentabilité, nous allons vers des temps (encore plus) troublés. 

 

(1) La bulle immobilière pourra éventuellement amortir la chute et encore, pas certain. Et puis il y aura des pensions en maisons de retraites astronomiques à financer, d'où probablement des ventes forcées.
(2) C'est si facile : à qui a une pathologie chronique ou a été ou est atteint d'une maladie avérée, on propose(ra) des cotisations prohibitives (et en apparence : mais bien sûr tout le monde peut souscrire)(3) Au point que certains déjà le rejettent mais il devient difficile d'échapper à une sorte de minimum social : de l'internet, de la téléphonie, ces coûts qui pour ma génération à vingt ans n'existaient pas ou peu (un téléphone fixe par famille, le paiement par appels, les appels rares en cas de petits budgets). Et je suis affligée par les coûts jugés désormais incontournables de "soins" d'apparence de soi, en particulier pour les jeunes femmes. 

PS : Ceci n'est en rien un billet pour me plaindre, à titre individuel et parce qu'en 2016 j'ai eu de la chance sur certains points, et que j'ai des amis formidables, ma petite famille et moi nous nous en sortons encore, et pour l'instant je suis en meilleure forme que je ne l'ai jamais été, ce qui rend entreprenante. Mais d'autant plus que mon emploi est un poste d'observation parfait, et dans une zone de vie normale à population variée, je mesure les difficultés auxquelles d'une façon générationnelle hic et nunc nous sommes confrontés. Je vois que tous les mécanismes de solidarité familiale qui jusqu'alors amortissaient bien des fracas sont en passe à leur tour d'être menacés.

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