"On a commencé à comprendre que le monde allait basculer" (François Bon)
23 août 2016
Ça faisait donc vingt ans aujourd'hui.
Voire un peu plus pour une amie !
Alors pour moi c'est plus compliqué. De part mon boulot à l'"Usine" j'étais connectée depuis 1986 mais il s'agissait de réseaux internes, par exemple j'avais été la cheville ouvrière de l'équipement du service recrutement en réseau local sur des ordi Goupil G5. C'était une innovation de fous pour ce temps là.
On utilisait des modems, les sons de la video de François me sont familier. J'avais enfin eu un ordi à la maison - privé et équipé de logiciels à mes frais - entre 1988 et 1990. Aucune connexion, c'était comme une sorte de machine à écrire électronique hyper-perfectionnée.
Au boulot une grosse partie du taf se faisait par connexions sur gros systèmes, les ordinateurs n'étaient pour certains d'entre eux que des terminaux, pas de mémoire locale, des sortes de gros minitels si l'on veut simplifier.
Vers 1993 ou 1994 on passe aux OI (Ordinateurs Individuels) et il y a une messagerie mais elle est à l'intérieur du progiciel qui nous sert à programmer. Autant dire qu'à part un Bon anniversaire ! ou une invitation à un pot (en ce temps-là le boulot c'est aussi de la vraie convivialité sans autres objectifs sauf pour les rusés, que se détendre après avoir trimé), rien n'y est trop personnel
En 1997, l'entreprise c'était enfin mise à la messagerie interne, une vraie, dédiée. C'est sous MXMS et miraculeusement la trace d'un tout premier message d'essai, le 12 septembre 1997 à 15h50 est restée dans mes archives (1), le texte étant aussi peu compromettant et confidentiel qu'un "Bonsoir ! C'était juste pour essayer notre nouvelle messagerie", je le partage ici.
Mais ce n'est toujours pas le vrai internet.
Je suis au courant : un jour au Palais de la Découverte [(souvenir d'y être seule un jour de semaine sans enfants, peut-être au temps où nous avions les "horaires variables" et pouvions récupérer en temps libre une partie de nos heures sup). Avant 1996 donc. Ma mémoire semble se rappeler de mai 1994. Mais rien d'autre n'y est rattaché. Ai-je conservé quelque part une trace ?] il y a une animation "internet", venez vous connecter, essayez. Et comme j'ai l'habitude des ordinateurs je m'avance et fais un peu office de cobaye avec l'aide de quelqu'un de la maison à côté d'autres qui s'y essayent et devant quelques personnes intriguées mais qui n'osaient pas.
Je suis un peu déçue : c'est peu ou prou la presque même chose que nos connexions internes dans l'entreprise. Mais j'entrevois qu'on peut aller visiter des sites du bout du monde, que des gens par exemple publient des photos. Je pense je vais peut-être grâce à ça, quand je l'aurais chez moi retrouver Lucia (2). Le temps est limité, il faut laisser d'autres personnes essayer. Je me promets de m'équiper dès que ça sera possible.
Je ne me souviens plus de quand ça le fut : l'argent s'est toujours fait rare, nous avions deux bons salaires mais aussi deux enfants et de lourds frais de garde car nos horaires étaient étendus, et un appartement à rembourser et même à une époque une maison de retraite à payer. Et donc pour mon équipement personnel : beaucoup plus tard que je ne l'aurais voulu.
Mes premiers amis de l'internet remontant à début 2003 je dirais, 2002 peut-être pour mon premier ordi à la maison connecté. Et c'était chez France Télécom, vite rebaptisé Wanadoo, et le premier abonnement n'était que pour 10 heures par mois qui très très vite ne suffirent pas. Ça faisait bien quatre à cinq ans que je rongeais mon frein (3).
Un facteur déterminant fut la publication de certains des livres de Martin Winckler par épisodes ("Plumes d'Ange" typiquement) via P.O.L. Tant que je n'étais pas équipée chez moi, j'en étais réduite à donner mon adresse professionnelle. J'arrivais plus tôt pour imprimer la ou les pages du jour, et les lire ensuite généralement à la pause déjeuner. Or ce que je voulais, que j'estimais n'être pas trop demander, c'était de pouvoir les recevoir et les lire chez moi, en paix, sans que personne ne puisse éventuellement me le reprocher. Il me restera des souvenirs d'arriver tôt dans le bureau, celui qui avait à La Défense une vue imprenable sur Paris, la lumière douce du matin, et la petite joie en constatant que le message était bien là. Ça donnait du courage pour tenir la journée.
Le souvenir reste vif du bonheur infini de comprendre immédiatement la portée révolutionnaire du truc, le fait de pouvoir instantanément se connecter avec le reste de la planète, n'importe qui pouvait proposer du contenu que pourrait lire ou voir ou écouter n'importe qui d'autre à l'autre bout du monde. Personne (alors) pour dire, Non, pas toi, personne à convaincre, pas de barrage dès lors qu'on disposait de l'équipement et de la connexion.
En revanche je n'imaginais pas à quel point formidable ça aller changer ma vie (je veux dire : la mienne en particulier) et l'élargir, me donner ma chance. Je n'imaginais pas la qualité des rencontres que j'y ferais. Ni la profusion de bonnes et belles lectures qu'il y aurait.
Malgré les difficultés, levées dès qu'on sort du conventionnel où la société veut nous cantonner, je ne regrette rien. Je suis très reconnaissante envers les pionniers qui m'ont accompagnée sur ce chemin, qu'ils avaient déjà défriché.
addenda du 25/08/16 00:03 :
La petite révolution technologique de Christine Simon
(1) De ce qu'il y avait avant il ne me reste rien ou uniquement ce qui pouvait se trouver chez moi par inadvertance : tout a brûlé en mai 1996
(2) Ce qui advint grâce à Facebook en 2012 je crois.
(3) Une constante dans une vie de peu de moyens : chaque fois que je souhaite entreprendre quelque chose qui nécessite un peu de financement et de temps à rendre disponible, c'est le délai qu'il me faut avant de pouvoir tenter ma chance concrètement. J'ai intérêt à vivre centenaire. Force est de constater que je finis toujours par réaliser une mise en œuvre (laquelle n'est pas nécessairement couronnée de succès, sans doute car elle arrive (trop) tard et que toute mon énergie a déjà été dépensée pour arriver jusqu'à la possibilité, mais n'empêche, je parviens jusqu'à l'essai et suis rarement déçue). J'ai presque toujours à vaincre des réticences familiales.