Le coureur prophétique
21 août 2016
Nous sommes restés un instant à regarder les joueurs de basket. Sur ce spot près du fleuve, fort intelligemment aménagé - les types du genre capo-mafia parfois dans leur mégalomanie ont de bonnes idées, pour de mauvaises raisons mais bonnes, il faut l'avouer -, souvent jouent d'excellents joueurs, je soupçonne même certains d'être d'anciens pros venant pour le plaisir. Un homme lui aussi grand, un peu rasta (une coiffure compliquée sur cheveux gris ce qui me plait, marre de la dictature de la fausseté, de la teinture), est à regarder qui repart en même temps que nous. Les meilleurs n'y sont pas et je viens de comprendre pourquoi, des pompiers arrivent avec un véhicule léger de secours aux blessés et se tiennent auprès d'un homme assis autour duquel certains des bons joueurs faisaient cercle. Il a dû avoir un malaise ou faire une mauvaise chute et les grands ont abandonné leur part de terrain à d'autres qui jouent comme on jouerait.
Nous nous retrouvons à attendre le vert piéton du feu proche au même moment à l'instant précis où l'homme de la maison me dit, On repart en courant ? Je réponds quelque chose comme C'est comme tu veux, je me sens fatiguée, je dois avouer, et alors l'homme émet une parole d'encouragement, du style Il faut y aller pour profiter du bon, on ne sais jamais de quoi l'avenir sera fait.
Je ne sais pas comment ils ont fait mais en trois échanges sur un mode amical et plaisant et grave en même temps les deux hommes en étaient à évoquer la fin du monde, ce sur quoi le coureur a conclu :
Comme on dit chez moi, le malheur ne prévient pas, profitons-en maintenant, et le feu étant vert pour nous trois sur un salut il s'est élancé dans sa direction et nous dans la nôtre.
Une pluie s'annonçait (1), alors que mon partenaire constatait Il n'a pas tort (ou : C'est assez vrai) je songeais aux fois où j'avais été terrassée par un coup dur inattendu, souvent à des moments où l'on avait besoin de soutien, et à d'autres où comme ces nuages annoncent la pluie, au fond, on sait à quoi s'attendre.
Pour l'état de la planète qui héberge l'humanité, on ne pourra pas dire que l'on ne savait pas.
En attendant j'aimerais bien qu'on le recroise une autre fois, ce coureur avait l'air sympa (2).
(1) qui a eu l'extrême courtoisie d'attendre que nous fusions rentrés. Schadenfreude de la voir tomber alors que je suis dans ma cuisine et que j'écris.
(2) C'est souvent qu'on se retrouve lors de nos entraînements de coureurs du dimanche que je sois seule ou que nous soyons deux, à échanger quelques mots avec des personnes croisées. Est-ce que le fait que nous soyons vêtus comme des coureurs peu fortunés inspire confiance ? Est-ce parce que nous courons le dimanche, jour qui reste quand même plus détendu ? Est-ce parce que l'effort relativement lent (enfin surtout moi) nous rend détendus, souriants, et que cette tranquillité est communicative ?