La crise du logement
31 août 2016
Au même moment à quelques minutes près où j'apprenais qu'une amie cherche pour sa fille un logement à Paris (1), Renaud Epstein sur Twitter déposait cette image dans sa série Un jour une ZUP et en remontant j'ai retrouvé ceci, et j'ai songé qu'on avait failli sortir de la crise du logement mais que sous les effets des crises et du capitalisme débridé on y était copieusement retombé.
Avec toutefois des différences.
Aujourd'hui les logements y sont, c'est l'accès qui est devenu trop difficile. D'un côté les salaires sont de plus en plus bas à boulot équivalent et avec un Smic on ne va pas loin (2), sans compter la précarité grandissante et la part croissante de la zone grise (3) ; tandis que les bailleurs exigent pour consentir une location des dossiers de plus en plus complexes, complets, parfaits. Certains de mes amis pourtant en couple officiel, pourtant gagnant bien leur vie, pourtant n'accédant pas à des logements particulièrement somptueux, en ont été réduit pour se loger à basculer du côté de la fiction. Sans parler des propriétaires qui réclament plus ou moins discrètement quelques suppléments.
Tout se complique d'un cran pour les familles dites recomposées et leurs enfants sporadiques.
Bref, ce n'est pas tant le bâti qui manque que l'adéquation entre l'accession possible et les ressources des gens. Les HLM ne permettent de résoudre le problème que pour une partie des personnes qui n'ont pas les moyens du privé.
D'où le retour des bidonvilles en marge des cités, que la crise des réfugiés n'a pas fait diminuer (euphémisme) - mais le phénomène lui pré-existait -.
Je me souviens d'un temps où ceux-ci répondaient à une autre forme de crise : après guerre, avec le baby-boom et le plein emploi qui poussait les personnes à une mobilité professionnelle souvent aussi géographique, c'était les logements eux-mêmes qui manquaient. Les constructions.
Mes parents, couple sans doute assez typique de ce temps-là du moins de ce point de vue là : jeunes sans diplômes parce que la guerre était passée par là, et donc lui en usine (côté atelier) elle aussi (côté bureaux, perfo vérif ça s'appelait), deux salaires qui, avec les heures supplémentaires obligatoires (si, si - certificat médical pour obtenir une dispense) du samedi permettaient de vivre sans luxe aucun mais décemment, mes parents donc avaient été parmi les heureux (oui, en ce temps-là un privilège) accédants à des logements tout neufs (conçus en 1957 d'après cet article), construits dans les environs de l'usine. Il faut savoir que ce qu'on a considéré par la suite à juste titre comme des cabanes à lapins, sur le moments représentaient l'accès tant attendu à un confort certain, l'eau courante, les sanitaires privés à l'intérieur du logement, le chauffage central, l'eau chaude au robinet (4), le gaz sans les bonbonnes à se trimbaler ; l'accès aussi à l'intimité : plus besoin de partager le logis avec les générations antérieures, les jeunes couples pouvaient enfin disposer d'un chez soi.
Sur ce dernier point la plupart dans la plupart de ces endroits déchantèrent assez vite. L'isolation phonique n'avait pas fait partie des cahiers des charges, il fallait construire vite et à l'économie, ce qui fait que même pourvus de voisins tout à fait disciplinés, la promiscuité sonore était pénible. Pas de chaîne hi-fi mise à fond les ballons, ni même de nuisance sonore télévisuelle (la plupart des foyers n'étaient pas encore équipés, ou commençaient à peine), mais la radio (les fameux transistors), les ronflements, les conversations dès lors que le ton (joyeux ou colérique) montait, les galopades des enfants ("Mets tes patins ! Les voisins !"), tout s'entendait tout résonnait. Celui qui au travail faisait les 3/8 était condamné aux semaines de travail de nuit à dormir vraiment peu.
Dès qu'ils ont pu mes parents, et tant d'autres comme eux, ont quitté cette cité pour d'autres immeubles moins sociaux mieux conçus, où la pénibilité venait uniquement de voisins bruyants, ce qui déjà était un progrès. En revanche il leur fallait assurer eux-mêmes les trajets jusqu'à l'Usine (où s'il y avait une navette il fallait marcher loin la chercher). Il convenait d'acheter une voiture.
Ce sont les mêmes personnes, cette classe moyenne d'en bas, qui avait quelques aspirations de mieux, qui ont constitué le socle de l'expansion des banlieues pavillonnaires, leur rêve accessible (en trimant, en se privant), leur enfin [vraiment] chez soi.
Nous voilà donc globalement, collectivement, revenus à la case départ, avec un pas de côté toutefois. C'est l'argent qui manque [aux gens], davantage que les toits.
(1) Je crois qu'on ne mesure pas la difficulté qu'il y a, quand on n'est ni fortunés ni franciliens, à venir à Paris parce qu'on y a trouvé du boulot, surtout par ces temps où les premiers contrats sont presque forcément des CDD et où de toutes façons il y a le cap d'une période d'essai à passer. Les loyers sont tels et les conditions réclamées par des propriétaires ou des organismes rendus de plus en plus frileux par les impayés, que même avec de solides garants c'est mission (quasi) impossible.
(2) C'est très très bien expliqué par Égalitariste sur tumblr, même si son sujet au départ est différent.
(3) Il y aura toujours quelqu'un encore plus dans la mouise pour accepter de bosser pour encore plus presque rien.
(4) Ça paraissait presque un excès de luxe.
[photo : Beauregard près de Poissy ; carte postale datant probablement du début des années 60]