L'entreprise, ce monde totalitaire où est encouragée officiellement la délation
09 juillet 2016
Curieuse de savoir où étaient censées s'établir les limites dans un monde où les nouveaux outils n'ont pas eu le temps d'établir les usages et où les avis peuvent encore diverger sur ce qui se fait ou pas (le plus souvent selon que l'on considère les lieux d'échanges électroniques comme une place virtuelle et que ce qui compte c'est la vie d'en vrai, ou que l'on mette du poids sur ce qui s'échange sur les internets), j'ai lu ce compte-rendu de tchat sur le site de L'Usine Nouvelle. C'était instructif (1) et édifiant.
L'ensemble confirmait d'ailleurs bien à quel point l'Entreprise est désormais un monde totalitaire dans lequel toute réserve émise fait figure de manque de loyauté. J'ai connu d'autres temps où la critique négative constructive était admise voire appréciée - signe d'implication, signe qu'on ne s'en foutait pas -. Mais les années 90 ont été fatales à cette relative liberté. On courrait alors davantage que le risque d'être mal vus, peu primés, pas augmenté (les flatteurs le plus souvent s'en tiraient à meilleur compte et grâce à eux des décisions débiles et contreproductives furent prises allègrement (nous avons tous des exemples, dans tous les domaines d'interventions)), celui de se faire virer. La franchise n'avait plus droit de citer.
En lisant l'article dans son intégralité je me suis rendue compte qu'un pas de plus avait été franchi : il est à présent non seulement encouragé d'être délateur (cf. copie d'écran) mais c'est considéré comme du "reporting qui vous incombe" (cas d'une hiérarchie intermédiaire ayant constaté que sur un réseau social un subordonné dénigrait l'entreprise). Je comprends mieux certaines attitudes que j'ai pu constater ou qu'on m'a rapportées au long des dernières années et qui m'avaient surprise : en fait les personnes pensaient probablement faire leur boulot en signalant ce qui à leurs yeux était un manquement. Je persiste à penser, mais ne suis plus concernée, que la seule attitude convenable consiste à en parler en privé avec le ou la principale intéressée. Sans doute suis-je vieille école.
Et je persiste à me demander comment il a été possible que les valeurs s'inversent si vite, entre loyauté et déloyauté. La loyauté faisant jadis équipe avec la franchise alors que désormais c'est une attitude sournoise qui est considérée comme loyale [à une entreprise].
(1) Au passage j'ai compris à retardement que le compte de Ryanair n'avait pas été piraté le soir du match (je croyais que les touitons RT ce cruel rappel car ça les faisait marrer qu'ils se soient fait hacker) ; en fait non c'était quelqu'un qui travaillait pour la com' de l'entreprise qui avait oublié qu'il n'était pas connecté avec son compte perso (hypothèse la plus gentille à son égard)