En suivant mon ch’min de petite bonne femme
14 juillet 2016
Réveillée par le son insistant des hélicoptères, qui me fait toujours depuis Genova en 2001 frémir en dedans (1), j'ai songé à mes 14 juillet.
Le livre "Féminine" d'Émilie Guillaumin prévu chez Fayard à la rentrée n'y est pas pour rien. Elle y évoque à un moment sa fascination enfantine pour les défilés, ceux-là en particulier.
C'est quelque chose qui m'intéresse car je ne sais qu'éprouver une forme de panique sourde à voir des humains uniformisés ailleurs que sur les terrains de sport - où il est très utile qu'un coup d'œil périphérique suffise à repérer le coéquipier -. Et je crois que je ne suis capable d'apprécier l'obéissance à un rythme et un ensemble que dans le cadre d'une chorale ou d'un orchestre. Sans parler de la vue des armes que mon imagination ne sait que rendre mortelles. J'ai commencé ma vie par l'assassinat du président Kennedy, quelque chose de la panique des adultes m'est resté que le 9/11 a réactivée.
Bref, le 14 juillet, ça n'est pas mon truc.
Il n'en reste pas moins quelques bons souvenirs.
- Un stage de chant au Moulin d'Andé et chanter Brassens dans la voiture que ma prof (peut-être allions-nous au ravitaillement ?) conduisait ;
- Les matinées sur le toit de la Grande Arche grâce à Sacrip'Anne et comme le spectacle du défilé aérien, vu de là, était beau. Ce fou-rire la première année lorsque j'avais sorti mon bel appareil argentique pour l'occasion (2) et pris de la patrouille de France de splendides photos ... en noir et blanc (autant dire que leur beau panache bleu-blanc-rouge tombait dans un trois nuances de gris d'un patriotisme fort mesuré) ;
- Un feu d'artifice une année près de Niort lié au mariage de nos amis Frédéric et Nathalie ; il y avait un peu de leurs familles respectives, des enfants, des cousins, une ambiance joyeuse, un air campagnard, des confidences. Je me souviens d'avoir été heureuse, tout simplement. Nous n'avions pas encore la responsabilité d'enfants, nos amours débutaient, nos trajectoires professionnelles aussi, le monde faisait encore semblant d'aller vers du mieux, c'était un moment de bon temps dans des vies très actives ;
- Deux 14 juillet au travail à la librairie vers le bas des Champs Élysées, une ambiance un peu particulière, des passants (très peu de lecteurs), l'impression de participer à quelque chose mais en marge. C'était marrant ;
- Un vague souvenir d'une année où j'avais regardé le défilé à la télé pour une raison désormais obscure, de type quelqu'un que je connais, ou le conjoint de quelqu'un que je connais ou le fils ou le voisin y participe. Et en fait je regarde pour pouvoir dire ensuite à la personne concernée que j'ai bien regardé mais sans voir Machin (je suis sans aucune illusion de parvenir à reconnaître quelqu'un parmi les défilants), car la vie est ainsi lorsqu'on ne ment pas que ça colle quelques contraintes inattendues, parfois. Du moins lorsqu'on ne veut pas décevoir ceux qu'on apprécie ou qu'on aime. Et donc toujours cette perplexité face à l'exercice. Qui diable dans l'histoire de l'humanité a eu en premier cette étrange idée. De faire marcher les uns pour parader devant les autres. Faire savoir à un ennemi qu'on en a sous la semelle.
- Un stage professionnel du temps de l'"Usine" avec les collègues de mon équipe, une formation technique mais qui avait lieu dans des locaux tout près des Champs Élysées (voire : donnant sur) et les passages assourdissants des avions. L'instructeur contraint de s'interrompre. J'aimais ces (trop) rares stages : j'ai toujours adoré apprendre quoi que ce soit, j'aimais être déchargée des responsabilités quotidiennes, personne pour venir nous persécuter (c'était avant l'hyperconnectabilité, absents nous n'étions pas joints sauf réelle urgence), et des horaires, la certitude à 17h30 ou 18h d'en avoir fini avec la part contrainte de la journée et de pouvoir retrouver enfin nos enfants ou (inclusif) du temps personnel. J'ai beaucoup souffert des journées de cadres qui en France ne sont pas, ne sont jamais bornées. Je n'avais pas un si gros salaire. Je me suis beaucoup fait exploiter.
- Un souvenir oublié que la lecture du "Sulak" de Philippe Jaenada en 2013 a réactivé : le type fait un braquage de bijouterie à deux pas de là un jour de défilé très surveillé. Pas spécialement un 14 juillet, il s'agissait d'une visite officielle d'Helmut Kohl du temps où avec François Mitterrand ils faisaient de jolies photos pour l'histoire (et pas seulement), mais dans mon esprit c'est étiqueté "Pendant des cérémonies sur les Champs Élysées" et par association d'idée "14 juillet" ;
- Une tentative d'assassinat ridicule contre Jacques Chirac en 2002 en marge des cérémonies. Je me souviens d'en avoir ri. C'était hélas sans doute le début de l'ère dans laquelle nous sommes à présent plongés : des types très quelconques de traviole dans leur tête s'inventent une destinée en devenant des tueurs (ou : tentant de devenir), Allah étant ces derniers temps un prétexte très tendance mais pas forcément nécessaire, pas seulement. L'idée de fond reste d'avoir soudain du poids sur le cours des choses même si c'est pour le rendre encore plus calamiteux (3). Ce qui était surprenant en l'occurrence c'est que Jacques Chirac était plutôt un président consensuel : il ne gouvernait pas en faisant se dresser les uns contre les autres, il restait plutôt logique par rapport à son programme, il faisait des bêtises marrantes (par exemple celle-ci), cette bouffée de violence à son égard stupéfiait.
- des siestes grandioses devant le Tour de France, dont Pantani dans l'Alpes d'Huez (4), d'ailleurs tout à l'heure je vais peut-être me laisser tenter.
PS : Et un petit Bourvil pour la route (merci à Gilsoub et Richard Auger qui l'a posté sur son mur)
(1) C'est très étrange d'être secouée durablement par quelque chose où l'on n'était pas présent(e) ; mais les documentaires et les livres (dont celui de Roberto Ferrucci) ont fait pour moi de ces journées des moments d'action.
(2) Je fais partie de ces photographes amateurs qui commençaient pile à être enfin équipés dignement, lorsque le numérique a déboulé.
(3) C'est d'ailleurs un peu ce qui en effet collectif a donné le brexit. Prenez enfin en compte notre existence et notre mécontentement (peu importe qu'après ça soit pire).
(4) qui d'ailleurs m'avait réveillée et qui d'ailleurs n'était pas un 14 mais un 12 juillet, je m'en aperçois grâce à l'INA - souvenir de mon fils tout bébé, souvenir de me dire Même dopé, il faut le faire !)