Tu te souviendras du printemps 2016 comme d'un temps personnellement heureux mais néanmoins difficile (beaucoup de petites adversités) dans un contexte général de pré-guerre civile ou fin du monde ou les deux, fin d'une époque en tout cas, et dans un chaos multidomaines quoique pas encore général (pour l'instant).
C'est comme dans ce film, jusqu'ici tout va bien. Dans le Titanic qu'est notre planète tu fais partie de ceux qui quoique servants sont dans la salle où l'on écoute l'orchestre et où l'on peut croire encore un instant puis un autre instant que tout ne va pas si mal, que l'avarie est maîtrisable, et d'ailleurs comme ils jouent bien. À la perfection.
Alors tu travailles et tu y es heureuse, tu écoutes des personnes parler de livres à venir, comme s'il en serait toujours ainsi, trop tard pour changer, et puis tu aimes ça, mais il pleut, les livres que tu rapportes malgré les sacs sont mouillés, tu te rappelleras du printemps 2016 comme d'un moment où tu étais fort peu à la maison mais y repassais sans arrêt, mettre les livres à sécher, ôter des vêtements trempés, prendre une douche bien chaude, se vêtir de sec, changer d'imper, de pompes, repartir et se refaire drincher (quel que soit l'équipement, la pluie finit toujours par l'emporter). Tu te souviendras du plaisir que tu avais à aller au travail en vélo avant que quelques ennuis techniques joints à cette météo de mousson (froide), ne t'en dissuades pour un temps. Tu te souviendras des AJAR (forcément). Tu te souviendras des rencontres et des retrouvailles mais toujours entre deux : passer à la maison enlever les habits mouillés prendre une douche bien chaude enfiler des vêtements secs.
À un moment les lessives commencèrent à avoir du mal à sécher.
Tu te souviendras des retours avec de gros sacs, plein de livres, cette impression de Joyeux Noël qui ne te quittera (sans doute) pas, toi qui fus toujours coincée par des problèmes de budget.
Tu te souviendras du nombre de fois où le bruit d'une pluie incessante forte t'aura tirée du sommeil. Pas des clameurs de supporters du football, pas des bruits violents, non, simplement un rideau de pluie et le cerveau entre deux songes qui se demande s'il pleut encore. Et la pensée C'est pas possible, qui agit comme une mise en alerte : il se passe quelque chose, Réveille-toi. En fait non, ce qui se passe c'est : Encore ?! Mais c'est pas possible !
Tu te souviendras à chaque fois que dans le métro du retour tu ouvres un livre, un. Et s'il te captive, si avant la douche chaude et les vêtements secs tu as du mal à le poser, c'est gagné.
(mais parfois le style déçoit). Tu te souviendras que tu ne te souvenais déjà pas du nom d'anciens pourtant récents collègues, très bien de ceux avec lesquels des liens d'amitiés s'étaient tissés mais les autres appartenaient déjà au passé, un peu comme si tu avais fait un séjour en relégation (Cristo si e fermato a Eboli) le temps de te désintoxiquer du chagrin 2013.
Pas de chance, 2015 dans son ensemble t'avait fait replonger, il n'était plus utile de prolonger la cure, l'objet des soins nécessaires n'était plus le même, la seule issue était d'être heureuse, alors la relégation, les contraintes qui structurent et empêchent de penser n'étaient plus une bonne idée. Un deuil n'est pas comme une rupture même s'il y a des points de souffrance communs. Un pays entier en danger - danger de perte de cohésion -, ça n'est pas non plus pareil qu'une perte affective qui se joue strictement dans l'intimité.
Une fois de plus tu étais donc parvenue à sauver ta peau.
Malgré tant de choses.
Malgré la montée des eaux.
Tu te sentais protégée par l'abondance des livres. La faim, la soif d'apprendre et de plonger dans des ailleurs serait toujours assouvie.
Tu te souviendras du printemps 2016 comme d'un temps personnellement heureux.
Mais très humide.