Tandis qu'on débat de la "Loi travail" : cher Adrien
29 mars 2016
J'ai grossièrement gommé le nom de l'entreprise pour laquelle vous vous présentez sous un prénom humain (1).
Je ne vous veux en effet pas de mal, vous semblez me vouloir tant de bien. Effectivement, je m'étais inscrite fin janvier sur le site d'offres d'emplois pour lesquels vous annoncez travailler.
Je ne trouve donc a priori pas illégitime de recevoir des courriers, cherchant un emploi avec énergie, j'étais prête à courir le risque d'être spammée en me disant : Sait-on jamais ? Si par chance une offre sérieuse pouvait se glisser parmi toutes celles que je recevrai.
Jusqu'à présent je n'avais pas à me plaindre de votre site en particulier.
Il se trouve que rien dans mon CV, que j'avais pourtant soigneusement complété, ne me prédispose à devenir agente dans l'immobilier, votre proposition me semble d'un premier abord assez peu adaptée.
Et puis quelque chose me gêne et pas seulement cette fausse familiarité qui vous fait me vouvoyer tout en m'interpelant par mon prénom, il semblerait qu'il s'agisse d'une affiliation plus que d'un emploi, il est fait mention de "Négociateurs indépendants" et d'être entrepreneurs. Pour autant il est préciser qu'il s'agit pour l'entreprise immobilière de "recruter".
J'ai assez parcouru d'annonces chez Pôle Emploi pour avoir compris que de nos jours la pratique est courante : on fait semblant de faire croire aux personnes concernées qu'elles ont trouvé du travail, elles n'ont qu'une porte entrouverte vers quelques ventes à faire, en général en milieu ingrat ou de produits difficiles à placer, et l'entreprise chapeau qui n'est pas un employeur mais présentée comme un partenaire prendra un pourcentage. Aucune garantie de quoi que ce soit. Pour faire chic certaines annonces emploient (cet emploi là ne les engage pas) le mot freelance. Dans la plupart des cas, d'accord peut-être pas tous, il s'agit d'être libres de trimer H24 7/7 pour ne rien toucher ou quelques miettes, à la fin du mois. Pas de congés payés, pas de retraites (déjà qu'à force d'en reculer l'âge elles n'existeront bientôt plus pour grand monde), l'éventualité d'un arrêt maladie je n'ose y songer.
Il n'empêche que de vous j'attendais mieux. Au moins un filtrage d'entre les vraies annonces et les propositions qui ne portent pas sur un contrat de travail. Ce lien de subordination qui s'il est respecté d'un côté comme de l'autre permet de concentrer son énergie sur ce qui est à faire et non sur un combat permanent du salarié pour parvenir à se faire payer et bénéficier d'un temps de récupération physique et mental raisonnable.
Dès lors qu'il ne s'agit pas d'un emploi en bonne et due forme peut-être faudrait-il parler d'affiliation ou d'adhésion. Le terme de recrutement devrait être réservé aux contrats de travail.
Je trouve donc cette prise de contact bien plus décevante que profitable ; mais vous souhaite néanmoins à mon tour une excellente journée.
Gilda
Voilà ce qu'on reçoit ou que l'on voit sur des sites d'annonces, assez couramment. Pendant ce temps, la "Loi Travail" cherche à entériner un nombre certain de reculs sociaux, au prétexte de préserver un emploi qui de toutes façons dans la pratique est déjà devenu assez peu classiquement contractualisé. La distinction entre CDI et CDD est devenue dans certains cas - et je suis extrêmement reconnaissante envers mon nouvel employeur de n'avoir pas usé de ce procédé - le levier d'un mini-chantage : salaire inférieur aux pratiques de la profession contre apparence de non-précarité.
Il me semble que la moindre des choses seraient que les lois protègent les plus faibles contre ceux qui sont en position de force, et non qu'elles entérinent la suprématie. Il me semble que les politiques agiraient vraiment en faveur de l'emploi s'ils obligeaient ceux qui louent le travail des autres à établir de vrais contrats - quitte à prévoir des aménagements pour les professions dans lesquelles effectivement les personnes fournissent des services ponctuels et pour des entités qui varient -. Et qu'enfin on taxe les profits autant que le travail fourni. Les états seraient riches s'ils indexaient une part de leurs ressources sur la titrisation généralisée plutôt que sur les heures de sueur, le temps passé. Il serait temps que l'on valorise pour une entreprise le fait d'être éco-responsable et respectueux de ses salariés avant celui de satisfaire ses actionnaires ou (inclusif) les fonds de pension.
(1) à consonance française ce qui n'est sans doute pas anodin et particulièrement distribué en France entre 1985 et 1990 : on souhaite que je pense qu'un homme jeune m'écrit. Je serais curieuse de savoir quel prénom est utilisé pour les messages envoyés aux hommes. Aurélie ? Émilie ? Élodie ?