Lendemain
23 mars 2016
On ne s'habitue pas. Et c'est peut-être bon signe, de ne pas s'habituer.
Se dire : on fait comme tous les jours, on ne renonce à rien, c'est une façon de résister.
Plus facile à dire qu'à faire ou plutôt : qu'à faire en entier.
Car bien sûr j'avais prévu d'aller à la BNF et je l'ai fait. d'avancer d'écrire, vite vite avant de reprendre le travail salarié - raté, je n'arrivais à rien, comment se concentrer sur des nuances infimes lorsqu'on est un gros sac de larmes ou l'impression à l'intérieur d'être en verre pilé -. J'irai sans doute tout à l'heure assister à une conférence. Mais réussirais-je réellement à écouter ?
La sensation de déréalité est revenue comme à ses plus forts jours. La présence de mon fils jusqu'à ses heures de cours m'en sort un tantinet.
J'ai trop vécu entre ces deux villes durant six des dix dernières années que je me sens autant concernée par ce qu'il advient à Bruxelles qu'à Paris. Sans doute pour partie parce que chaque nom de lieu m'évoque plusieurs images, sauf l'aéroport (je ne suis jamais partie ou arrivée en avion). Et c'est peut-être ce qui est difficile pour moi comme pour sans doute bien d'autres personnes dans mon cas : depuis le 7 janviers 2015, des personnes touchées et presque chacun des lieux européens nous sont familiers. Rectificatif : depuis mars 2012 en fait et les attaques à Toulouse et Montauban. À telle enseigne qu'il m'est plus rapide d'énumérer les endroits où je ne suis jamais allée : Montauban, Dammarie Les Lys et Zaventem. Je connais les quartiers de la capitale belge presque aussi bien que les arrondissements de Paris et les villes de la Petite Couronne.
On essaie de ne pas sombrer dans la bêtise, autour de nous (dans nos pays) beaucoup sont contaminés. Je me raccroche à des articles intelligents comme celui-ci de Denis Sieffert partagé (merci à elle) par Marie Cosnay. Seulement je ne suis pas [si] naïve, je vois bien jusqu'à nos entourages que plus la violence aveugle fabrique de victimes plus la haine progresse, la colère et les tentations ultérieures du mal-voter.
J'aimerais être déjà à mon nouveau travail, ça m'aiderait de devoir me concentrer sur les clients, leurs souhaits, les commandes, les tâches à effectuer.
C'est plus fort que moi : je pense sans arrêt à la jeune femme qui
le vendredi 17 février 2006 dans le métro Bruxellois m'a tendu un mouchoir à l'eucalyptus alors qu'après la pire rupture subie, un incompréhensible bannissement, je pleurais sans même le savoir vraiment.
Je n'ai perdu le mouchoir que récemment lors d'un contrôle pour l'entrée à la BNF et que je faisais sonner le portique, malgré les précautions d'usage. J'avais donc vidé mes poches et c'est sans doute là que le mouchoir était tombé. J'avais décidé qu'il s'agissait d'un signe heureux, que je n'en aurais bientôt plus besoin, que l'existence repartirait sur de bonnes bases.
C'est pour elle que je m'inquiète désormais, comme si depuis dix ans elle n'avait fait que circuler dans le métro sans arrêt. Ça n'a aucun sens. Mais pas moyen de ne pas penser à celle qui dans les lieux hier frappés avait eu pour moi un geste qui sauve.
En désespoir de cause je me rabats sur un film, que je m'étais réservé après avoir été conquise par "Belgica" de Félix van Groeningen. Du même réalisateur mais datant de 2009 il s'agit de "La merditude des choses". Il y excellait déjà à écrire les beuveries et les scènes de fureurs familiales.
Mais le film, si fort soit-il, ne parvient pas totalement à me détacher du chagrin.
Alors je trie et sauvegarde et supprime des photos. Une des rares choses que je suis capable de faire dans une concentration flottante qui laissent moins de prise à la peine. Celle en tête de ce billet date de début juillet 2015, la rue en travaux. Comme tout a changé. Si les temps troublés se prolongent, si d'autres attentats aussi brutaux et meurtriers ont lieu je serai bientôt parfaitement à jour dans toute ma photothèque.
Puisse le désordre y perdurer.