Essorés (tous) - Tristesse du jour
29 mars 2016
Hier soir, ligne 9, retour de Montreuil et son fabuleux ciné.
C'est une rame sans cloison, les fameux Bombardier, auxquels il faut reconnaître un certain confort passager puisqu'on peut se glisser vers là où il y a moins de monde même si on n'a pas choisi où monter. Et qu'ils glissent plutôt mieux que les métros d'antan tout en étant mieux insonorisés. En cas d'acte de terrorisme c'est peut-être moins bien, j'aimerais autant qu'on se passe de test en grandeur nature. Et pour ce qui est des nuisances sonores - avant lorsque de mauvais musiciens et chanteurs envahissaient la voiture où l'on était on pouvait en changer, à présent on "profite" du cassage d'oreilles tout du long -, c'est plutôt un accroissement de l'inconfort.
Pour la manche aussi.
Je suis toujours partagée entre le fait que certains manchards sont peut-être sincères et dans une réelle détresse et mon expérience d'avoir assisté à un débriefing de filoutage, jointe au fait que la plupart du temps je n'ai pas d'argent et que les types se font facilement insultants, et que je supporte mal que l'on m'interrompe quand je lis, pourrais même devenir violente en reflet de la violence ressentie.
Un homme hier soir, monté, je crois, porte de Montreuil, nous la jouait dans l'urgence, il criait sa détresse, arguait de l'existence d'une compagne, clamait sa faim et arpentait la longue rame en s'arrêtant devant des gens. De quoi donner très mauvaise conscience à qui ne donnait rien. Un maximum de pression. Le hic est que je l'ai déjà vu à l'œuvre, ce qui fait de lui un excellent acteur mais un menteur. Son procédé lancé dans l'un des derniers métro du soir n'est pas des plus efficace : la plupart des gens rentrent chez eux, qui après un boulot décalé (ce sont rarement les mieux payés), qui après une sortie (qui les aura rincés - nous avions usé nos dernières pièces dans les places de cinéma, même émus nous n'aurions rien pu faire -). Et le parisien ou proche banlieusard moyen, en admettant qu'il prenne trois à quatre fois le métro par jour aura déjà été sollicité six fois. Même s'il était en fond et généreux, ses poches sont vides à cette heure-là.
Effet de dissuasion des transports post-attentats ou du dernier soir d'un week-end prolongé - les gens ont pu partir, sont peut-être à peine rentrés -, le métro est très clairsemé. Même si chacun donnait quelque chose il y aurait peu de rentabilité.
Peu après, alors que le crieur repassait dans l'autre sens en gueulant que ça n'était pas possible de ne faire que 3,50 € sur toute une rame, un homme plutôt bien mis dans le genre propre mais usé, s'adressait aux gens personnellement, allant même jusqu'à déranger une jeune femme qui lisait avec musique dans l'oreille, qu'elle dut enlever. Il donnait l'impression de vouloir demander un renseignement, mais c'était lui aussi la manche qu'il faisait. Avec d'autant moins de succès que les mêmes causes produisant les mêmes effets il s'adressait à un groupe que son prédécesseur avait déjà essoré.
Il y eut cet instant où il se sont croisés, et le gueulard a dit à l'autre, Ils sont nuls dans celle-là, j'ai rien fait. J'ignore si l'autre qui me tournait le dos a répondu doucement ou s'est abstenu mais il est descendu à la station suivante.
Maudissant le monde entier, celui qui l'avait précédé s'est éloigné vers le fond de la rame et est sans doute ensuite descendu peu après car ce fut le silence, jusqu'à l'arrivée de touristes d'Amérique du Sud, trois personnes jeunes et joyeuses qui semblaient tout ignorer des crises économiques et des attentats récents.
Fin mars 2016. Paris. C'était (aussi) comme ça.