Eternal sunshine of the spotless facebooked mind
06 février 2016
En rentrant puis te connectant tu auras donc eu la surprise d'une de ces videos récapitulatives que facebook aime à concocter de loin en loin pour ses usagers. Musique neutre à tonalité joyeuse, sélection habile (quel est l'algorithme ?), fin sur un des meilleurs moments du temps de la belle librairie aujourd'hui fermée, l'épisode est parfait.
Jamais on ne pourrait imaginer les drames de l'année 2015, dans un monde aussi équilibré. Rien pour autant n'est mensonger. Ils (leurs programmes, leurs ordis) ont choisi les bons souvenirs, tu te dis que si tu confiais à Facebook le soin de rédiger ton CV il n'y aurait pas dedans le mot "remplacement" ; cette video donne l'impression effective que tu es quelqu'un d'important - ce à quoi tu ne tiens pas tant, tu voudrais être quelqu'un à la bonne place au bon moment, la pièce du puzzle insérée facilement -. Et c'est vrai qu'à y regarder, si l'on parvient à se laisser aller, le fait de rappeler les bons souvenirs remonte le moral.
Mais quelque chose te fait tiquer, sans que tu ne saches bien quoi. C'est comme dans les romans policiers, ces moments où l'enquêteur croit avoir une solution, ou remarqué quelque chose mais ne parvient pas à définir ce que c'est. Généralement, quelques pages plus loin, il obtient la révélation.
Il y a aussi ce petit rappel des événements de la date anniversaire. Ils sont moins filtrés, les bons et les moins bons, je ne suis pas encore tombée sur les tristes et très graves - je me demande si le reminder est paramétré pour éviter certains thèmes comme l'annonce d'un décès -. C'est à l'occasion fort intéressant. Tu t'aperçois ainsi que l'affaire de la fuite d'eau invisible s'était amorcée par une fuite d'eau pas invisible du tout et aussitôt réparée
Tu ne te souvenais que des épisodes ultérieurs, le côté insidieux, tout semblait bien chez vous et le voisin du dessous se plaignait. Des venues de plusieurs plombiers, l'un réparant une bricole, l'autre une autre, ça ne semblait rien changer sauf pour votre compte en banque.
Là aussi il y a d'heureux moments auxquels tu ne pensais plus. Et des trucs qui restent toujours vrais, comme dirait Guillaume, Vienne la nuit, sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure.
Une photo très marrante que tu avais prise et oubliée (quatre ans (quatre !) se sont écoulés) (1)
Un souvenir bruxellois et comme tu as tourné la page, ça te fait plutôt du bien de te rappeler qu'une belle parcelle de bonheur exista.
Et c'est alors qu'intervient le Eurêka de l'enquêteur. Le crime de FB était presque parfait, trop. Tu viens de comprendre qu'ils effacent tout ce qui à trait à ceux qui furent tes "amis" mais ne le sont plus, y compris si les échanges furent fort fournis à un moment donné.
Facebook te sert donc une version de ta vie, déjà filtré par le prisme trompeur de ce que tu as bien voulu laisser entrevoir, et par ailleurs édulcorée. Une sorte d'Eternal sunshine of the spotless mind où l'effacement, dès lors que quelqu'un t'a désamitée, serait parfaitement effectué.
La vie moderne, c'est quelque chose.
(Suis-je vieille école que de considérer que c'est encore plus violent que d'être confrontée aux ex-bons souvenirs qu'une perte aura rendus sombres par après ?)
(1) Mais tu n'avais pas oublié qu'il s'agissait d'un concert que tu devais à Joël.
PS : Et à part ça c'est curieux, les souvenirs déjà anciens avec les photos de profil actuelles. Troublant.