
Grâce à Le Chieur qui quitte FB, je suis arrivée jusqu'à cet épisode 3 de Do not track et j'ai fait le test. Leur algorithme est intéressant. Il se trouve que mon utilisation sans doute particulière de FB le conduit à déduire certains trucs sur moi qui sont ... tout le contraire. La raison en est simple : les analyses se font sur le clic et non sur ce qui le motive. Pour schématiser : ça n'est pas parce que l'on partage un article qu'on est en accord avec le point de vue défendu.
Que ça soit clair : 1/ je ne parle pas de moi pour parler de moi, simplement je suis le seul cobaye à mon entière disposition. Et je crois en l'occurrence mon cas assez typique de certains dangers de l'utilisation des données personnelles involontairement confiées.
2/ l'algorithme utilisé est un exemple fourni par "Do not track" afin que l'on voit ce qui est fait par ailleurs, rien ne dit que les réseaux sociaux utilisent le même. Mais des cousins, aux résultats que l'on peut croire voisins.
Mon utilisation de FB se fait sur quatre axes :
- au départ parce que des vrais amis y étaient et qui du coup étaient moins sur leurs blogs, j'ai donc suivi comme lorsqu'on fait partie d'un groupe de potes qui a décidé de changer de bistrot ; corollaire : ouvrir mon profil avant que quelqu'un d'autre n'occupe le terrain. Très vite comme je suis devenue libraire, c'était une façon de pouvoir contacter facilement auteurs, éditeurs, amis d'autres librairie : bref, un usage amicalo-professionnel pour lequel ce réseau malgré ses terrifiants défauts est parfait.
- corollaire : quand je travaillais pour une belle librairie en bas des Champs Élysées, et que nous organisions des rencontres avec les auteurs, c'était un outil efficace pour prévenir tout le monde, clients (la librairie avait un compte via le patron) et amis. Ça reste un outil pour moi être prévenue des rencontres qu'organisent les libraires ami-e-s.
- très vite et comme à l'époque la plupart des sites d'infos ne proposaient que ce bouton-là pour "partager", épingler là des articles, toute sorte d'articles sur plein de sujets, de la même façon que je le faisais autrefois avec ciseaux, scotch et classeurs ou cahiers. C'est une béquille de mémoire, un capteur d'air du temps. Que les amis puissent du coup en profiter pour lire si ça leur chante me paraissait un plus. Ça le reste.
- prendre des nouvelles des amis ; quand on a une vie trop remplie et que nos heures de disponibilités ne sont pas nécessairement des moments pratiques pour par exemple téléphoner, un bref passage permet de savoir si quelqu'un qu'on aime bien va bien. Ou d'apprendre mais sans que ça soit lourd, qu'il ou elle a besoin d'un coup de main. Le fait d'habiter à Paris ou presque rend cet usage sans doute particulier : voir quelqu'un en vrai c'est généralement 45 minutes de transports pour se retrouver, les vies sont denses, les activités culturelles pléthoriques, on peut, et ça ne date pas de l'internet, rester très longtemps sans voir en vrai quelqu'un qu'on aime fort. Les réseaux sociaux ne nous privent pas de moments partagés ils nous permettent de ne pas nous perdre. Mon année et demi de travail fatigant dans un arrondissement où les non-habitants et non-touristes ne vont jamais me l'a plus que jamais prouvé.
Depuis que je dispose d'un smartphone, s'y est ajouté un usage de brèves lectures, dans les transports notamment, et comme je n'ai pas accepté comme amis n'importe qui, elles sont souvent plaisantes ou instructives. Je n'ai pas même eu de tri à faire après les événements et les élections récentes, c'est dire.
Et enfin : je ne débats pas ou pas plus d'un commentaire, pas de temps pour ça, n'achète rien via la plateforme, pas de sous, et ne poste des photos que dans la mesure où elles sont utiles à quelqu'un ou quelques-uns qui ne les verrait pas ailleurs. Je n'ai rien à vendre. Je ne cherche pas à me faire des amis, seulement à pouvoir communiquer facilement avec les uns et les autres, et pas n'importe qui.
Ce sont sans doute ces particularités d'utilisation qui font de moi un cas typique du danger des algorithmes.
Celui de l'exemple me caractérise de part mon usage des like et autres partages par l'ouverture d'esprit, puis loin derrière le névrosisme (une tendance au pessimisme, à la dépression) et l'extraversion. La machine a donc repéré que je partageais pas mal d'articles sur plein de sujets, qu'habitant Paris en 2015 j'avais dû employer pas mal de mots très sombres (morts, attentats, deuil etc.) sans compter un deuil personnel et auparavant quelques sources extérieures de chagrins. Est-ce que cela fait de moi quelqu'un de pessimiste ? Je ne suis pas certaine de la pertinence de ce lien de cause à effet. La plupart des parisiens en 2015 auront selon les machines ce trait de caractère. Extraversion : OK je communique avec pas mal de gens, c'est sans doute ça. Cela dit on peut être communicatifs dans le silence des écrans et taciturnes dans la vraie vie, non ?
Grand éclat de rire : comme il se trouve que j'ai renseigné la partie "profession" de mon profil, il apparaît clairement que j'ai changé une fois radicalement de métier et plusieurs fois d'employeurs. La machine ignore lorsqu'il s'agit d'une fin d'entreprise et non d'un choix délibéré de changer. Elle ignore aussi les changements nécessaires en vue d'un autre changement prévu. Enfin elle part du principe que tout être humain occidental prend ses décisions professionnelles en vue d'une "carrière", ce qui en période de crise économique renforcée est totalement illusoire pour les 3/4 des gens.

C'est pas faux : mon âge et le peu de moyens financiers que ma totale absence de "like" pour des marques - tout au plus quelques très grands whiskies et les maisons d'édition que j'apprécie -, ont dû conduire à ce diagnostic. Cela dit, je pourrais être une riche rentière peu dépensière que les établissements bancaires se bousculeraient pour courtiser et libraire par passion : qu'en saurait la machine ?

Très inquiétant car archi-faux. Mon seul risque étant d'aider les autres dans les périodes où ça allait pour moi.
Je crois que ce diagnostic provient du fait que j'ai eu si peu de revenus ces dernières années que je passe en dessous des critères d'analyse : je n'ai ni argent pour parier ni pour investir. Il est évident que du coup je ne pratique pas d'investissements prudents et avisés, puisqu'aucun n'est envisageable.
Quant au jeu, je m'interroge, ai-je un peu trop plaisanté avec les copains sur le mode Ah si on gagnait au loto ?

Dans le monde insidieusement totalitaire de FB (et en général des réseaux sociaux, non ?) avoir un comportement de citoyen responsable c'est "faire preuve d'une tendance à risque dans la prise de décisions touchant à [notre] vie sociale". Je suis peu surprise, et presque un peu fière. D'ailleurs quand je tente de défendre une cause, je ne me pose pas la question en ces termes, ça n'est ni une "prise de décision" ni ma "vie sociale" que je mets dans la balance. La base de l'analyse elle-même est faussée.

Archi-faux et de façon inquiétante : comme j'étais enfant d'une santé fragile j'en ai toujours pris le plus grand soin.
Ce qui est curieux : alors que je partage pas mal au sujet du sport, puisque de mes amis sportifs sont sur FB, on dirait que c'est passé hors champ de l'analyse.
Voilà donc : on peut être sportif et sans autre addiction que la lecture, voilà ce qu'une analyse de donnée peut faire croire de vous.
Euh, sauf qu'en bonne parisienne respectueuse de l'environnement, je ne conduis plus, et qu'en vélo souvent je prends le casque et la nuit toujours le gilet réfléchissant.
Sans doute que le fait de ne pas conduire n'est pas envisagé, c'est comme le fait de n'avoir pas d'argent à dépenser, ça passe sous les radars des analyses.

La machine me fait prendre conscience que je ne perçois pas le sport comme un loisir, mais comme une nécessité afin d'être en forme pour pouvoir continuer.
Et je n'ai jamais été tentée par ceux qui sont cités, ou peut-être la plongée si j'en avais les moyens financiers - et ça ne serait pas du tout par goût du risque -.
Ah si, j'ai un comportement à risques : j'écris. Mais ça n'est pas un loisir. C'est ma vie.
Voilà donc comment des analyses mécaniques peuvent donner de quelqu'un une image pour le moins erronée, du simple fait de l'absence de nuances, d'une grille de décodage selon une seule façon de penser (tout serait géré et intentionnel) et par manque (et tant mieux que ça ne soit pas possible) d'intégration des motivations.
À vous de jouer ?