Fenêtre dédicacée
Le récit sobre de Taylor Pemberton - North Korea - 2015

Pourquoi sommes-nous touchés par certaines infos quand d'autres du même acabit nous laissent indifférents ?


    (Ce billet n'aura sans doute ni queue ni tête, c'est plutôt plein de questions que je me pose et que j'aimerais mettre en mots afin d'y voir moins pas clair).

D'emblée j'ignore si c'est très différent pour chacun de nous, d'être émus ou de se sentir concernés par une info en particulier, ou s'il s'agit d'un ressenti très personnel. À défaut de pouvoir généraliser, je vais essayer de piger pour mon propre cas (le seul pour lequel je dispose en intégralité des données).

D'une façon générale je suis peu intéressée par les faits divers et infos factuelles (1) qui ne me concernent pas ni aucun de mes amis ou connaissances, à trois exceptions près qui d'ailleurs peuvent se chevaucher : 

- le truc est drôle, en particulier par effet d'humour noir et de mauvais esprit. Typiquement aujourd'hui cet article du Monde qui révélait que Doris Lessing avait été surveillée pendant vingt années par les services secrets britanniques ;

- ce qui s'est passé est certes local mais tellement symptomatique de notre époque ; 

- ce qui s'est passé ferait un bon sujet de nouvelle ou de roman.

En revanche je suis intéressée par la marche du monde et plus encore à présent que l'internet via les réseaux sociaux nous laisse en prise directe avec ce qui survient. Avec le danger de se planter car il n'est pas toujours évident de recouper l'info. J'ai suivi le cœur battant en 2011 la marche bouleversante des révolutions méditerranéennes puis de leur confiscation par de nouvelles dictatures, j'ai suivi autant que je le pouvais ce qui concernait les négociations pour la Grèce. Parfois je ne comprends pas tout et parfois j'ai le sentiment d'être complètement larguée malgré que j'ai lu bien des articles plutôt bien écrits et documentés (typiquement : les forces en présence en Irak, en Syrie ; la guerre entre l'Ukraine et la Russie (2).

Parfois quelque chose qui est à la limite du fait divers de catastrophe (naturelle ou pas), de la politique, d'un cas typique de l'air du temps, me saisit complètement. Je reste alors attentive au fil d'infos concerné tant qu'elles n'atteignent pas un pallier de type On en saura plus demain mais là on n'en sait pas plus.

Certaines fois il est clair qu'il s'agit d'un "hasard" temporel : ainsi les premières images des explosions de Tianjin sont apparues sur twitter alors que j'étais devant mon écran, j'ai donc passé toute la soirée du mercredi 12 à regarder, effarée, en tentant de piger. Pendant ce temps une partie de ma petite famille passait quelques jours de vacances en Normandie, dans une maison sans connexion ni télévision. Ils ont bien entendu des infos, je crois à la radio, vu des titres devant la boutique du marchand de journaux. Mais quand je les ai rejoints pour le week-end, encore pensive et dans l'esprit concernée, eux était en mode Ah tiens au fait, en Chine, il s'est passé quelque chose, non ?

Enfin, ce qui nous saisit procède dans certains cas de l'évidence : ainsi cette fusillade dans un Thalys aujourd'hui, en plus un vendredi à l'heure où il m'arrivait de le prendre en rentrant de Bruxelles quand j'y faisais un saut pour des raisons sérieuses dont la cause principale a disparu de ma vie il y a deux ans avec la violence d'une explosion et un même effet de surprise ; si ma vie avait suivi son cours, j'aurais fait potentiellement partie des personnes concernées ou sinon moins du moins quelque très proche. Comme il se trouve qu'entre temps certains de mes amis qui vivaient là-bas sont revenus à Paris, je n'ai plus d'inquiétude directe en apprenant l'info, mais subsiste un réflexe, et la conscience aigüe qu'être concerné(s), ma foi, ça aurait pu. 

Ce qui est d'une évidence éblouissante est que les moyens moderne de communication renforcent l'effet d'intérêt, l'effet de trappe, qui nous voit pendant quelques heures tombés dans un trou temporel, uniquement préoccupés d'une info (ou son absence) pourtant lointaine. J'ai le souvenir maintes fois d'avoir guetté des miettes d'entrefilets et pas seulement pour le coup d'état de 1987 au Burkina Faso lequel m'avait concernée puisque mon amoureux était sur place et qu'à l'époque "communications coupées" ça voulait dire, pas même un SMS, pas de possibilités d'appels téléphoniques, rien. Non, vraiment pour des événements qui m'intéressait parce que je me sentais reliée en tant qu'être humain à ceux qui étaient concernés. Par exemple Seveso, ou la mort d'Allende et le coup d'état associé, plus récemment Tchernobyl ou la chute du mur de Berlin. On devait attendre les flashs d'infos (ou que ceux-ci sur France Info ajoutent un élément nouveau), et la parution des journaux. Et un article ne comportait pas de liens hypertextes pour tenter d'en savoir plus que ce que disait le texte trop court qu'on avait sous les yeux.

Me voilà donc encore réveillée à une heure avancée parce qu'un type sans doute cinglé a tenté de tuer sur un train d'une ligne que j'empruntais il n'y a pas si longtemps et très régulièrement pendant plusieurs années. 

Comme pourrait l'écrire mon ami du Rien Quotidien, on est peu de choses et à quoi tiennent-elles.

 

PS : Toutes autres considérations mises à part, désormais ce sont les touites que les médias classiques quêtent (pas nouveau, depuis plusieurs années déjà) y compris afin d'y piocher les déclarations des politiciens concernés. Exemple typique dans cet article du Point sur le tireur du Thalys.  Quand on pense aux articles d'il y a six ans au sujet de ce petit truc d'oiseaux cui-cui qui amusait ces fadas d'internautes, je me dis qu'il ne faut décidément jamais jurer de rien.
Cela dit j'ai le souvenir d'un article raisonné et annonciateur chez Embruns qui avait tout bien vu venir. 

(1) Ce n'est peut-être pas le mot juste : je veux dire concernant des choses qui surviennent par oppositions à des événements prévus (par exemple une finale sportive : on sait quelle est censée avoir lieu, c'est le résultat qui est l'inconnue) ou voulus (par exemple : une loi est en train d'être débattue au parlement et puis tel jour tombe l'info qu'elle vient d'être votée). Ou encore des choses qui sont survenues sans qu'on le sache pour lesquelles l'info est leur soudaine découverte (généralement x ans après).

(2) J'ai beau avoir lu de fins articles (d'ailleurs : comment se fait-il que l'on en parle plus, alors que rien ne semble vraiment résolu ?), ça me paraît aussi absurde que si la France et la Belgique se mettaient à guerroyer ; preuve que je n'y comprends rien. 

addenda du 22/08/15 : témoignage de Jean-Hugues Anglade et un article assez complet dans Libé.

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