Pendant ce temps c'est le printemps.
08 avril 2015
Tu t'en es aperçu dès en arrivant, une effervescence inhabituelle, des gens qui n'avaient pas cet air d'absorption distraite qu'ont les habitués d'un lieu, certains qui hésitaient à prendre l'ascenseur. Une bribe de conversation avec "auditorium" dedans.
À l'accueil des contrôleurs en surnombre ce qui au bout du compte était gage d'agitation plus que d'efficacité : les portails n'étaient pas en nombre supérieur et c'est comme à la librairie où il n'y a qu'une caisse. On peut aider pour une recherche de titre ou d'ouvrage mais pour le paiement il faut patienter.
Comme il m'est arrivé de découvrir lors de mes cinq à sept du mercredi soir, une fois sur place qu'un réalisateur de renom était invité pour parler de sa pratique du métier je me dis que je vais peut-être avoir une bonne surprise (1). Et puis il y a une sorte de mouvement de foule discret ; des personnes sont refoulées du grand auditorium et réorientées vers le petit, On va retransmettre, c'est complet. J'entends un nom "Piketty" et je comprends. C'est le fameux Thomas qui attire ainsi les foules et j'avoue que c'est impressionnant - la jauge du grand auditorium étant déjà plus que respectable -.
J'éprouve une sorte de reconnaissance diffuse pour ce garçon qui nous a permis un beau carton de librairie pour un ouvrage que l'on n'avait pas honte de vendre, ce qui je l'aurais appris durant cette année écoulée dans les beaux quartiers, n'est pas si fréquent.
Il aura même donné son nom à une expression du visage, la "grimace Piketty" qui correspondait à la tête que faisaient les clients des débuts, qui se précipitaient à venir acheter l'ouvrage dont ils n'avaient fait qu'entendre parler à l'instant où ils constataient qu'il s'agissait d'un pavé. Un air qui signifiait Oh là là qu'est-ce qu'il est gros je ne vais jamais avoir le temps de le lire mais bon ça avait l'air trop bien alors je vais le prendre quand même. Plus tard dans la saison, les personnes qui demandaient "Le royaume" d'Emmanuel Carrère faisaient eux aussi presque tous la grimace Piketty.
Cela dit, les succès fous sont décidément un grand mystère, même si un passage réussi dans certaines émissions de télévision grand public peut aider. J'aimerais comprendre une part de ce mystère qui fait d'un ouvrage un succès qui dépasse tout. Ce qui, lorsqu'il s'agit d'un livre en librairie s'apparente à une vague de grande marée, tout le monde en quelques jours réclame le même ouvrage, à une cadence bien supérieure à celle parfois pourtant un peu prévue à laquelle on s'attendait. Une ruée.
Le pendant de ce mystère est celui du relatif insuccès de certains travaux qui ont tout pour plaire : un spectre large, un sujet qui coïncide lui aussi avec l'air du temps, une bonne diffusion, une qualité d'exécution, un auteur qui en piblic sait captiver, et puis malgré tout et même s'il se vend bien, le grand décollage ne survient pas. Non que le texte passe inaperçu mais son impact reste sage, mesuré, cantonné à ceux qui déjà connaissaient.
Mon temps était compté, sans quoi je serais allée y voir, par curiosité, alors j'ai laissé Thomas P. à ses hordes d'admirateurs et - trices (2), dont ceux dépités de n'être admis qu'en salle d'appoint et m'en suis descendue à mes chères études aux heures limitées.
Pendant ce temps dans le bois intérieur, c'était le début, enfin, du printemps.
(1) Souvenir ému du soir où n'attendant rien de spécial de ma fin de journée je m'étais retrouvée dans la foule, anonyme, amusée, à écouter Mathieu A.
(2) J'aime beaucoup le 1,1 K participants