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Temps troublés


    Tu as décidé d'aller de l'avant. Puisque ta vie se passe donc à Paris, que c'est sans issu désormais, autant faire ce qui doit être fait tant que c'est encore possible. Rendez-vous est pris avec le banquier qui se passe bien - il est grand temps de régler par le haut le problème pesant de la (des ?) fuite(s) d'eau -, mais te ramène au temps où pour les démarches tu étais soutenue à distance par quelqu'un et où l'écriture avançait au lieu d'être empêchée. 

Tu n'as plus que le printemps sur lequel compter. Les forces qu'il pourrait accorder pour tout concilier.

Tu essaies de considérer les chapitres difficiles comme clos, de reprendre les choses en main, en particulier l'administration de la maisonnée. Tenter de déléguer pour te garder du temps n'a pas été un franc succès. Tu tentes d'oublier les sons guerriers que tu perçois très concrètement depuis janvier : tu ne peux strictement rien contre ce qui adviendra ; l'exil c'est pour les riches (et puis : où ça ?).

En sortant de l'établissement bancaire tu t'efforces d'y croire, allez, on va enfin réoccuper dignement cet appartement. Je vais revendre des livres. Ranger et tant pis si tu n'es suis pas vraiment secondée. 

On tourne la page.

Et puis, devant le journal dont les bureaux sont situés là, à deux pas : un soldat, gilet pare-balles et armes à la main.

Tu sais alors que les temps troublés sont durablement installés. 

Ne rêve plus, ne rêve pas.


Les conséquences étranges


    Alors que l'on s'approche des dangereux "deux mois après", force m'est de constater que des modifications de mon corps ou plutôt de certaines perceptions, ressenties lors de l'état de choc psychique, se sont installées.

J'en ai parlé à mon médecin de famille, qui ce jour-là avait des cas plus lourds à traiter et m'a dit sans rien expliquer de ne pas m'inquiéter ; ce qui est plus inquiétant qu'autre chose en fait. J'en ai parlé au gynécologue qui a eu l'air de me dire qu'à part le tracas qui me faisait le consulter, le reste était plutôt pas mal en fait (il le disait avec humour, réconfortant, et ça m'a fait du bien ... sauf que j'ignore toujours la cause). J'avais pour la première fois depuis un épisode étonnant de grossesse une tension soutenue. J'en ai parlé à mon kiné qui me dit de me méfier, que ça pourrait être la manifestation d'un coup de déprime, même si ça facilite la vie. J'en ai parlé à mes amis pour les faire rigoler. C'est déjà ça. 

Mon kiné n'a pas tort, c'est un fait, je me sens triste comme je l'ai rarement été, et je sais bien un peu pourquoi : il m'est arrivée d'être affligée par l'évolution du monde, ce que les humains font. Il m'est arrivé de violents chagrins personnels, des deuils et quatre ruptures subies (ou disons trois et demi étant donné que l'une d'entre elle n'a pas été suivie d'effets concrets). L'un d'entre eux concernant l'amitié, qui est mon mur porteur, m'avait mise en danger. Et le plus récent n'était pas encore soldé, et s'est trouvé réactivé, ce qui n'arrange rien. Seulement c'est la première fois où je me sens touchée en même temps aux deux hauteurs, générale et collective tout autant qu'intime. J'ignore à moins d'un miracle, un coup de chance, l'apparition d'un mécène providentiel, comment sortir de la tristesse rapidement. Quand j'encaisse des coups durs, faute d'avoir connu d'assez longues périodes heureuses, je reste au tapis longtemps.

J'étais persuadée que les symptômes cesseraient au moment où le fort sentiment d'irréalité s'estomperait. Probablement après les obsèques. C'est ce qu'il a fait, le quotidien, passablement contraint a repris ses droits, il n'a pas fallu s'interrompre plus d'une journée. Et encore : la rattraper dès le lundi d'après. Mais les bizarreries sont restées. 

La première concerne le froid. En temps normal sans être particulièrement frileuse, j'en souffre beaucoup c'est à dire qu'y résister m'épuise. C'est un des problèmes depuis que je travaille comme libraire, abonnée que je semble être aux établissements à livres en extérieurs et présentoirs de cartes postales ce qui implique de travailler essentiellement à portes ouvertes. Il y a eu trois hivers rigoureux dont le fameux 2011/2012. J'ai des photos d'Uccle sous une épaisse couche de neige. Du cimetière du Dieweg tout blanchit. Des vélibs tout enneigés devant la piscine de Clichy. Souvenirs d'en rentrant du travail, la première librairie, tomber de sommeil, tous les soirs, dû au froid subi. À peine le temps d'écrire un ou deux messages. Vlan. J'avais entamé l'hiver en serrant les dents, il fallait tenir la cadence. J'ai travaillé en décembre à temps plein. Dormais (presque) tout le reste du temps.

Arrive le 7 janvier et l'exécution des membres de Charlie Hebdo. J'essaie de poursuivre la journée tant bien que mal, file à République le soir, tente d'y retrouver des amis, fais plusieurs fois un tour de la place agrandi, au gré des indications que les réseaux téléphoniques consentent à transmettre par moment par paquets. C'est alors que je remarque bien des gens qui grelottent, et pas seulement des femmes habillées trop légèrement. Des hommes aussi, déjà bien emmitouflés. Je me dis c'est normal on est tous en état de choc, ça n'aide pas à résister au froid. Puis je me dis qu'il ne fait pourtant pas si froid. Mais je constate lors d'un envoi de texto que je ne sens plus mes doigts, qu'ils sont engourdis, glacés. Simplement tout ce passe comme si la perception, pourtant ressentie, n'était plus décodée. Mon corps s'en fout. Mon corps estime que ce monde n'est pas le vrai.

Entre temps il est vrai la mauvaise nouvelle qu'on a appréhendée toute la journée avec le petit groupe d'amis d'Honoré est arrivée. Il faisait partie des victimes.

Chez les amis qui m'ont recueillie et qui, plus concernés que moi, de bien plus près, pleurent aussi, je mange un peu, je sais qu'il faut car je n'ai pas fait de repas non plus le midi (travail de 12h à 16h), mais je ne peux pas dire que j'ai faim. Je bois, il y a du bon vin. L'alcool ne me fait pas d'effet notoire mais là ce n'est pas même un petit réchauffement en passant dans la gorge. Ça pourrait être de l'eau que ça n'y changerait rien. Plus curieux : alors qu'il est déjà fort tard, je n'ai pas sommeil. Je pars pour les laisser seuls et parce que j'appréhende la journée du lendemain. Je rentre en sanglotant en pédalant. Je ne ressens pas l'effort dans les jambes ni la fatigue qu'il faudrait pour 4 heures de librairie + 2 heures à errer à Répu + aller jusque chez les amis puis de chez eux chez moi.

Au lendemain matin je reçois ce message autopromotionnel qui me glace un poumon et me laisse cumulé au reste dans un état de totale sidération. Toute l'énergie passe dans la tentative de tenir mes quatre heures de taf. Au cours de danse je fais de la figuration. Mais je n'ai mal nulle part, c'est surprenant. 

L'absence de sens du froid persistera. 

Les jambes que j'avais de novembre et décembre si douloureuses ne me font plus souffrir. Je les sens fatiguées mais ça n'est plus une douleur par élancements. 

Je dors peu. Rien à voir avec des insomnies, le sommeil me prend à peine allongée avec une violence de perte de conscience. Et il se fait profond. Mais aux soirées, nous nous retrouvons entre amis, tentons de nous serrer les coudes, j'essaie aussi de voir d'autres personnes, un peu comme s'il fallait se dire combien nous tenons les uns aux autres avant que l'on nous en empêche. Je suis fatiguée, forcément, mais pas plus qu'à l'ordinaire de mon rythme de marmotte en hibernation.

Je n'ai plus peur de rien. Déjà que je n'étais pas trouillarde, mais là c'est : plus rien. Me restait une frousse de Poutine, même en photo ou en caricature, ce type m'effrayait, au sens littéral : il me faisait froid dans le dos. Du jour au lendemain, nada, nichts, plus rien. Le voir en photo ne me met plus en alerte. J'avoue : je n'ai pas essayé de le voir en vrai.

Je ne perçois plus les présences derrière moi. Par exemple sur un quai de train ou un trottoir, si quelqu'un arrive en allant plus vite que moi. Sauf s'il fait du bruit en avançant, je ne prends conscience qu'il y a quelqu'un qu'au moment d'être dépassée - et souvent bousculée, puisque je n'ai pas su que quelqu'un arrivait, je ne me suis pas décalée -. C'est d'autant plus curieux qu'on aurait pu croire la période troublée porteuse de "qui-vive", mais tout ce passe comme si c'était tout le contraire.

Pendant au moins trois semaines l'ensemble s'est combiné avec un état de méta-distraction qui m'a fait faire, sauf au travail où j'ai surcompensé (je crois que ça a marché, ou alors les collègues et les clients ont été adorables et ont fait comme si de rien n'était), plein de bêtises, d'oublis, le genre de chose que l'on fait au début de l'état amoureux sauf qu'au lieu d'être sur mon petit nuage j'étais dans une tempête.

L'un dans l'autre, j'ai l'impression de n'être plus moi-même, plus tout à fait. Le plus fort, c'est le froid qui ne m'atteint pas. J'ai tellement vécu dans sa hantise, à devoir m'en protéger pour pouvoir les mois d'hiver fonctionner, que je suis toute désemparée. Pour autant le chaud n'est pas devenu mon ennemi. Au club de sport je m'installe dans sauna ou hammam avec autant de plaisir qu'avant, même si j'y transpire moins. Mais je n'y éprouve plus cette part de soulagement qu'il y avait auparavant. Ce ne sont plus des abris face à une menace.

Je marche du coup beaucoup dans la ville, moins que les premières semaines durant lesquelles je suis souvent rentrée d'assez loin jusqu'à Clichy à pied. Interloquée de n'avoir pas froid.

Mon regret est de n'avoir pas su trouver d'explication. J'imagine quelque chose avec la thyroïde (1). Un choc psychique si violent que la violence de la pression aurait d'un seul coup dégagé des plaques d'un calcaire intérieur et qu'à présent l'organisme serait mieux irrigué. Mon corps est parti sur le sentier de la guerre, le vieil animal en moi s'est réveillé et qui m'aide dans un premier temps à pouvoir résister face aux vagues de peine, de larmes dans les yeux, qui n'ont pas encore vraiment cessé leurs va-et-viens d'intimes marées. Je sens en moi une force physique déjà présente depuis les trois premiers mois de mon nouveau métier mais qui résiste à la fatigue générale. Si ça n'était qu'une poussée d'adrénaline, ça se serait déjà estompé. Mais non.

On dirait que l'ami, en nous étant si violemment arraché, m'a fait quelques cadeaux posthumes. Il faudrait les accepter comme une consolation. 

 

(1) J'ai été traitée pour hypothyroïdie il y a quelques années, après le premier choc amical violent. 


Trois gants (pour une Gilda)


Sur le chemin de retour de la délicieuse soirée organisée par ses éditeurs pour "Manderley for ever", en 50 mètres vers le Bon Marché nous avons trouvé trois gants, deux mains droite et une gauche, deux d'homme et un de femme, deux en cuir dont l'un très fin et l'un de sport.

Au troisième, j'étais hilare. Tant de gants pour une Gilda !

Au demeurant, petite perplexité, pourquoi diable plusieurs personnes avaient-elles perdues ce jour-là un de leurs gants au même endroit ?

 

PS : En arrivant vers la maison nous avons trouvé un manuel d'utilisation de l'antivirus qui est utilisé à mon travail. Neuf, sur le trottoir. La vie multiplie les petites étrangetés.

 


Hashtag mille huit cents


Venant chercher à la cuisine son dîner et m'y voyant alors que de la journée j'ai peu quitté la chambre, le fiston attentif s'enquiert : 

- Tu as passé une bonne journée ?

Encore dans la bulle du roman biographique dans lequel avec délectation je me suis depuis le début de l'après-midi plongée je réponds :

- Je suis dans un bon livre, alors oui, c'est une bonne journée.

- Hashtag mille huit cents, dit-il en riant.

Puis il ajoute d'une voix professorale, un brin imitée des enregistrements radio d'actualité des années 40 et 50 (dans les années 60 le ton s'est peu à peu fait plus naturel) : 

- En 1872, consacrer une journée à lire, permettait de passer une bonne journée.

 


Une belle rencontre avec le papa (de tout le monde)

Pour une fois un homme, Celui d'ici, m'a dit J'ai rencontré quelqu'un et ce n'était pas pour me quitter dans la foulée, c'était pour me raconter quelque chose de bon, une jolie rencontre avec un type bien ; un gars qui l'a aidé.

Celui d'ici revenait des courses domestiques hebdomadaires, ce qui veut dire qu'il tirait un de ces chariots à roulettes à carreaux, rempli de lessive, de bouteilles de lait et d'eau, et portait un sac isotherme garni de produit frais. Il était fort chargé.

Un jeune gars marchait sur le même trottoir, dans la même direction, mais plus vite et légèrement. L'homme de la maison l'a laissé passer, je suppose en ce mettant un peu sur le côté et l'homme jeune après l'avoir dépassé, et supputant le poids du chargement a proposé de l'aider à en porter une part.

C'est ce que j'aime dans ma banlieue. La violence peut y être, ce monde est dur, mais la solidarité, une entraide, survient plutôt souvent. On s'y parle encore facilement. Et quand ça peut (1), je participe.

Cette fois c'était quelqu'un que j'aime qui se trouvait aidé. Ils ont bien discuté. Et je crois que l'énergie du jeune homme était contagieuse car malgré la pluie d'ennuis de ce début d'année, c'est un époux souriant qui est venu un peu plus tard au travail me chercher. J'ai rencontré quelqu'un, un gars bien, qu'il m'a dit, et il a ajouté que le garçon secourable voulait être réalisateur.

 

Alors voilà, moi qui ne le connais pas, je voulais remercier Adama JHR Camara, l'homme qui a l'énergie de ses projets et s'en sert pour aider, entre autre les plus âgés, qui sont fatigués. 

 

(1) ou quand je comprends. Ce n'est hélas pas toujours le cas, perdue qu'il m'arrive d'être dans mes soucis, mes hâtes, mes pensés. Je m'en veux encore de n'avoir pas pigé que l'homme qui m'avait arrêtée par un jour de grand froid porte de Clichy me demandait un morceau du pain que je tenais à la main.

 


La période de Saros

Par sérendipité de l'internet, j'ai trouvé cette claire explication  :

"Les marées sont modulées par plusieurs cycles, tous liés à l’astronomie et en particulier aux positions relatives de la Lune, de la Terre et du Soleil. Les astres de jour et de nuit sont à l’origine du phénomène, par leur effet gravitationnel sur les masses d’eau.

Ces cycles déterminent la survenue et l’ampleur des marées. Le plus long de ces cycles, appelé Saros, ou période de Saros, dure dix-huit ans et onze jours. La « marée du siècle » attendue pour le 21 mars, frappée du coefficient de 119 (le maximum pointe à 120) succède ainsi à celle du 10 mars 1997, de même ampleur. Cette période d’un peu plus de dix-huit ans avait été identifiée par les astrologues mésopotamiens, dès le VIe siècle avant notre ère, comme la période au terme de laquelle le cycle des éclipses successives était bouclé. Le terme « Saros » est d’ailleurs sans doute la version hellénisée du babylonien saru, qui définissait chez les anciens mésopotamiens un cycle temporel."
 
dans un article de Stéphane Foucart pour Le Monde sur ce qui détermine l'amplitude des marées
 
Pendant que sur la malheureuse planète qui les héberge les êtres humains s'étripent à qui mieux mieux, ça fait du bien de revenir vers des éléments essentiels, même s'il semble désormais certain que la connaissance ne nous sauvera pas.



Ce qui aide ou ce qui n'aide pas


Succession de jours gris et tristes, parsemés de bons moments entre amis - la seule chose qui aide à tenir -, mais ensuite chacun forcément rentre chez soi. Les nuages sombres se densifient (santés, histoire de la fuite d'eau invisible qui a, comme je l'avais annoncé à Celui d'ici qui selon son habitude n'a pas voulu m'écouter et attend que tout dégénère pour enfin se bouger, bientôt son emploi) ce n'est en rien une surprise, mais ça pèse. Et ça prend le temps qui devrait être consacré à l'écriture.

Je ne sais pas si le travail aide ou n'aide pas. Par moment il est bon de devoir s'activer sans trop avoir à penser. Mon job est concret et c'est un soutien. 

À d'autres heures c'est au contraire en plus qu'un empêchement dans mon travail personnel, un blocage de l'évolution du deuil. Certes je le mets de côté pour travailler mais pendant ce temps la sédimentation, l'acceptation, le retour des forces pour aller de l'avant ne se fait pas et dès le lieu de travail quitté, la peine reprend là où elle en était. Intacte. Voire plus forte encore.

2015 est d'ores et déjà une très violente année.

 


mercredi 18 février 2015 Forty-one days after


Je voyais le monde devenir fou, la réalité dépasser la fiction, le deuil devenir suffoquant et s'agréger à une autre peine qui l'avait précédé. Je m'étais dit que pendant quarante jours j'allais faire de ce blog le journal, le diario, qu'il n'avait jamais été. Que je ne souhaite pas qu'il soit. Je ne tiens pas ce lieu pour ça.

Je pensais qu'écrire le au jour le jour m'aiderait à ne pas virer cinglée. Que ça pouvait être utile de témoigner. Simple personne qui s'est par malheur trouvée concernée à la fois d'un peu loin mais de quand même trop près.

Comme beaucoup d'Européens, je suis issue de familles décomposées recomposées défaites et recrées par les deux précédentes guerres mondiales. Il me reste des pratiques de peu d'ancienneté puisque les traditions elles-mêmes ont été dispersées. Mais le fait qu'un deuil se porte quarante jours et qu'ensuite on est censé reprendre le fil de sa vie fait partie des rares éléments transmis.

Quarante-et-un jours ont passé. Ça va un peu moins pire. Ça allait. Mais avec la réplique au Dannemark, j'ai reperdu pied. 

Je vais cependant tenter de terminer le travail : les quelques jours manquants, aussi quelques billets spécifiques dont un pour sourire malgré tout.

Puis je tenterai de reprendre le cours des billets hétéroclites comme avant je pratiquais. Si possible moins personnel et mieux observé. Pas besoin d'être devin pour prédire des temps troublés. Des temps où nous serons sommés de choisir notre camp. Les vieux humanistes dont je suis ne seront pas écoutés. Il me faudra tant que possible être le micro-Pepys de la peste qui vient.

Je mange ce soir une portion de gâteau de bonheur du nouvel an chinois, celui aux châtaignes d'eau ; qui a un goût de pommes - y en a sans doute pas -. Espérons qu'il aura un effet un tantinet magique, d'éloigner un temps tout ce sombre qui tournoie. P2181015

Même la lune cherche à se réfugier à l'intérieur, tant les temps sont troublés.

Michaux écrivait "Faute de soleil, sache mûrir dans la glace". J'ai dû renoncer à l'amour. Mais à écrire, ça, jamais. En tout cas : jusqu'au bout j'essaierai.

 

dimanche 15 février - 38 

Réveil lent après plusieurs réveils affleurés. La première pensée fut pour François (Morel) qu'on allait voir au théâtre. Puis que c'était le jour d'aller courir. Mais que j'aurais tellement préféré faire l'amour (1).

Presque en même temps il y eut un texto, et j'ai eu l'espoir que ce fût #LeFrangin, mais non, seulement le club de gym qui me félicitait pour mon réabonnement.

Nous sommes allés courir trop tard et je me sentais faible, puisque je ne mange qu'après. 

Le théâtre, bien sûr un bonheur. La fin du monde, c'est vraiment bien. François Morel parvient à soulever un temps la chape de tristesse, je me sens aller bien, pleure, mais d'émotion douce.

En rentrant, quelques courses, des fruits, des légumes et des fleurs que j'ai demandées en pensant à un bouquet qui serait un peu soldé, mais un autre choix, décevant, est fait. De la déception nait une embrouille, comme souvent entre gens peinés et fatigués.

Je n'aurais en rentrant que la force d'écrire le bref billet sur le spectacle. Dans et malgré la débine, au moins remercier.

(1) "vraiment" à intercaler dans cette phrase au gré des vents.

 

lundi 16 février - 39 

J'avais oublié que le lundi matin est le mauvais moment pour joindre les personnes. Chacun de ceux qui en ont est dans sa bulle de boulot. 

Le plombier vient. L'homme de la maison est présent, décidé à aider, et je peux donc partir, aux premiers bruits incompatibles [avec le travail d'écrire ou de traiter les photos]. La rue aussi est en travaux ou leur étape préalable (enlever les voitures d'un côté. toutes). Une soudaine inspiration m'entraîne à la cinémathèque, bon abri pour une Gilda. Et ça marche : la bibliothèque est ouverte, accessible à coût raisonnable, moins chère qu'un demi dans Paris. L'endroit est lumineux, le wifi partageux, pas d'inscriptions compliquées.  Photo1584

Je dépose mes affaires, sauf l'ordi, l'agenda, un ou deux carnets, dans un casier.

Puis je trouve une place, près d'une fenêtre. Tout est calme, lumineux, peuplé mais assez peu. 

Les gens écrivent des scénarii. Il me plait de le penser.

À ce moment précis, je subis un répit. Et dans l'élan soudain, trouve la force ... d'entreprendre des démarches administratives, de celles qui peuvent se faire sur l'internet. 

Une lettre de résiliation à une mutuelle s'écrit toute seule, alors que depuis plusieurs mois j'en reportais l'effort. Un message pour la sécurité sociale. Des bricoles bancaires. 

Le temps que j'avais à passer en ces lieux est vite épuisé. Je rejoins la BNF juste à temps pour que la fatigue m'y rattrape. Ce sera donc ciné. Le "Munich" de Spielberg avec Mathieu Amalric dont il avait parlé la semaine passée. Je pianote vaguement sur l'ordi en même temps, ce qui me permet de capter qu'un rassemblement est prévu à partir de 18h devant l'ambassade du Danemark, avenue Marceau, tout près des éditions Laffont. Je décide de dépasser mon hypersensibilité patronymique et coïncidentielle et me propulse. P2160963Une amie de l'internet y est et ça tombe très exactement très bien étant donné qu'il ne s'agit que d'être debout devant [l'ambassade] ce qui passé une sortie et des remerciements des officiels, plus quelques mots sans doute vers des caméras, devient vite un peu vain. Nous sommes trop peu et j'ai un peu honte d'un pays qui semble estimer avoir fait son boulot le 11 janvier comme si c'était du coup fait pour tout le reste de l'année de ce comporter en citoyen motivé. 

Je remarque que désormais, les hashtags sont dans la rue. Et j'apprends le verbe être et que la grammaire danoise vient d'Andersen en fait. 

Comme souvent les manifs, ça s'achève par boire un coup. Le pub irlandais près du Lincoln est très bien (depuis le temps que j'avais envie de l'essayer). Malgré les propos tristes, comme presque toujours depuis le 7 janvier, c'est un bon moment partagé. J'aime la présence et l'humour de C.

Ensuite il faut rentrer. Se retrouver entre amis n'empêche pas de pleurer, mais permet de le faire sans la solitude en poids rajouté.

Seul regret : un Enclos envisagé avec AK qui s'est trouvé repoussé (mais elle aussi finalement avait un empêchement, et d'ailleurs sinon elle serait venue au rassemblement).

Je ne sais plus ce que j'ai fait du reste de la soirée. Finir de lire "L'archange du chaos" ? J'ai dû, comme d'habitude et de plus en plus fréquemment, m'endormir d'un bloc, sans même m'en rendre compte. 

 


Être parfois malgré soi la menace de quelqu'un

 nb. : Ce texte a été écrit bien avant le 07/01/15 ; les choses ont changé depuis (en pire), ainsi que les niveaux différents de préoccupation. Mais le texte témoigne d'un moment qui a existé. Alors je le laisse pour l'instant. 

 

C'était l'an passé, j'avais assisté lors d'une rencontre littéraire à la présence revendicative de la mère d'un écrivain, laquelle se sentait abandonnée (transfuge social, il s'était, qu'il le veuille ou non, éloigné des siens) et trahie (toujours le problème pour les proches de qui écrit de pouvoir faire le tri entre réalité et fiction et de tout prendre comme une accusation (1)). En fait il s'était trouvé qu'elle se trouvait juste derrière moi et que j'avais tout entendu, même lorsqu'elle s'exprimait à mi-voix, de la façon dont elle jugeait son fils, sans une once de fierté pour ce qu'il avait réussi.

J'avais cru entendre ma propre mère, déjà assez reprochante et récriminante avant même que j'aie publié quoi que ce soit en papier. 

Le lendemain j'y pensais encore. 

Le surlendemain aussi.

Je me disais : c'est parce que je me mets à sa place (à lui), et que ce qui lui arrive me rends malheureuse pour lui.

C'est alors que j'avais un rêve dont je m'étais sortie plutôt amusée : les amis à la Foire du Livre défilaient à une dédicace de mon ex-bien-aimé (ex de part sa décision unilatérale : il avait rencontré quelqu'un et j'étais celle de trop, Va-t-en ou tiens-en toi à une stricte amitié m'avait-il comme si de rien n'était au détour d'un message écrit) et lui demandaient avec courtoisie mais fermement, ce qu'il avait fait de moi (2), que ça fâchait sa nouvelle amie, laquelle découvrait que contrairement à ce qu'il lui avait fait croire d'être un pauvre malheureux solitaire, il avait quand même un peu quelqu'un dans sa vie, qu'il lui avait menti ; que ça commençait à devenir pesant pour lui, bref, même s'il était encore dans le déni, quelque chose se faisait jour comme quoi ce n'était pas la femme quittée qui était folle et qui avait rêvé (3) mais qu'il avait peut-être quand même un peu de ce côté-là pas exactement été irréprochable. Voire assez loin de tout à fait.

Le rêve m'a réveillé d'un (peu charitable) rire car mon séducteur impénitent s'en prenait de guerre lasse à un lecteur qui venait quant à lui pour une dédicace tout simplement et se trouvait reçu par un Ne me parlez pas d'elle ! comminatoire. 

Puis j'ai compris.

Ce qui m'avait AUSSI à ce point traumatisée dans le mouvement de manifestation désespérée de la mère de l'écrivain - même si elle avait tort, sa souffrance était réelle -, c'est que j'étais potentiellement moi-même la grenade dégoupillée et fauteuse de troubles potentiels de deux personnes auxquelles j'aurais pu, si tel avait été mon état d'esprit aussi venir demander des comptes, sur un mode Tu ne veux plus me voir mais j'existe et je ne comprends pas ce qui t'a pris. Pourquoi m'as-tu traitée ainsi ?

Bref, j'étais, bien malgré moi, la menace potentielle de quelqu'un. Et en position, comme la mère et son fils, de points de vue inconciliables, car si nous entreprenions de nous expliquer, nous ne pourrions mener qu'une discussion sans issue, la perception de ce que nous avions pourtant en commun vécu étant totalement disjointe.

En prendre conscience et même si je suis dépourvue d'esprit revendicatif de vengeance m'avait glacé un poumon. Ils avaient l'un comme l'autre fait ce qu'il fallait pour me placer dans un rôle détestable qui était mon exact contre-emploi. Et non seulement j'étais quittée mais également prise au piège de ça. Sommée de me désintégrer et disparaître du paysage (4) ou d'endosser le rôle de "méchante" qu'on m'avait assigné.

Ce qui avait été si difficile pour moi en assistant à cette scène tragique était d'être à même de percevoir les deux points de vue à la fois. Même si sans l'ombre d'un doute ma sympathie allait au garçon.

La vie nous place parfois à notre insu dans des situations sans issues.

 

 

(1) Cela dit une sous-objection de l'objection est presque inévitable : l'entourage de l'entourage ne faisant pas non plus le tri prend tout pour argent comptant et donc l'entourage se trouve confronté à toutes sortes de déplaisantes questions.

(2) Un petit côté Caïn, Caïn, qu'as-tu fait de ton frère ?

(3) Le déni de messages écrits me laisse encore perplexe, si longtemps après. Je pense qu'il est sincère dans l'oubli de ce qu'il m'avait si tendrement (je n'ose plus écrire amoureusement, et pourtant) écrit.

(4) Ce que j'ai fait puisque de toutes façons c'était foutu : quoi que je fasse ils ne m'aimaient plus, je leur étais devenue encombrante et leur sentiment avait glissé - sans que dans un premier temps je le sache, ni ne puisse le soupçonner - de la tendresse et de la bienveillance à l'exaspération.


La Fin du monde, c'est vraiment bien


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Le théâtre nécessite de prendre ses places à l'avance, lorsqu'il y a abonnement. 

Alors on ne sait pas si l'on sera encore là, et si oui, c'est déjà ça, on ne sait pas qu'on ira voir ce spectacle, conçu pour nous faire sourire, nous émouvoir, nous permettre le temps que l'acteur pour nous se fatigue de poser nos propres fardeaux, au lendemain d'une nouvelle tuerie, après celle du mois dernier, et le chagrin qui l'accompagnait. 

Du coup le moins que l'on puisse dire c'est que c'est pas gagné. Comment se laisser embarquer dans quelque chose de doux, de sensible et de tendre alors qu'on se sent comme un sac de larmes ?

Mais l'acteur sur scène n'est pas n'importe qui.

C'est François Morel. Et il y va de toute son énergie. Rarement, sinon avec les danseurs de Dada Masilo, je n'ai à ce point senti le sens de l'expression "se donner". Il se donne à fond. 

On est avec Anna Karina de "Pierrot le fou" qui ne sait pas quoi faire - ce qui ne m'est pas arrivée depuis que je sais lire -, et lui qui vient lui faire quelques jolies suggestions. 

Il y a la présence obsédante d'un piano mécanique, comme un personnage qui répond.

Chaque sketch est un petit bijou, chaque incarnation. Jeannine m'a émue et je sais bien pourquoi ; la nativité revisitée à l'heure des médias après avoir fait bien rire, donne à penser (à de multiples sujets) ; l'homme du métro me rappelle tous ceux que je connais et qui sont comme moi déjà un peu âgés, j'ai adoré "vieillir". 

Bref, le genre de pièce à sketchs dans laquelle on se dit de chaque morceau qu'on le préfère au précédent.

Les larmes sont venues, elles me tenaient au corps depuis la veille au soir, mais elles étaient de soulagement d'être encore en vie, que ça valait la peine, malgré ceux des hommes qui sont hyper-violents, celles des femmes qui aiment être soumises et ne penser qu'à leur apparence, ceux des humains qui sont dangereux ou décevants. Malgré un très sale air du temps qui est tissé de haines et de croyances vengeresses. Malgré les guerres, la guerre qui s'étend.

François Morel fait œuvre de résistant. Je lui suis infiniment reconnaissante de nous aider à tenir bon.

"La fin du monde est pour dimanche", en ce moment au théâtre du Rond-Point
mise en scène de Benjamin Guillard.