La Fin du monde, c'est vraiment bien
mercredi 18 février 2015 Forty-one days after

Être parfois malgré soi la menace de quelqu'un

 nb. : Ce texte a été écrit bien avant le 07/01/15 ; les choses ont changé depuis (en pire), ainsi que les niveaux différents de préoccupation. Mais le texte témoigne d'un moment qui a existé. Alors je le laisse pour l'instant. 

 

C'était l'an passé, j'avais assisté lors d'une rencontre littéraire à la présence revendicative de la mère d'un écrivain, laquelle se sentait abandonnée (transfuge social, il s'était, qu'il le veuille ou non, éloigné des siens) et trahie (toujours le problème pour les proches de qui écrit de pouvoir faire le tri entre réalité et fiction et de tout prendre comme une accusation (1)). En fait il s'était trouvé qu'elle se trouvait juste derrière moi et que j'avais tout entendu, même lorsqu'elle s'exprimait à mi-voix, de la façon dont elle jugeait son fils, sans une once de fierté pour ce qu'il avait réussi.

J'avais cru entendre ma propre mère, déjà assez reprochante et récriminante avant même que j'aie publié quoi que ce soit en papier. 

Le lendemain j'y pensais encore. 

Le surlendemain aussi.

Je me disais : c'est parce que je me mets à sa place (à lui), et que ce qui lui arrive me rends malheureuse pour lui.

C'est alors que j'avais un rêve dont je m'étais sortie plutôt amusée : les amis à la Foire du Livre défilaient à une dédicace de mon ex-bien-aimé (ex de part sa décision unilatérale : il avait rencontré quelqu'un et j'étais celle de trop, Va-t-en ou tiens-en toi à une stricte amitié m'avait-il comme si de rien n'était au détour d'un message écrit) et lui demandaient avec courtoisie mais fermement, ce qu'il avait fait de moi (2), que ça fâchait sa nouvelle amie, laquelle découvrait que contrairement à ce qu'il lui avait fait croire d'être un pauvre malheureux solitaire, il avait quand même un peu quelqu'un dans sa vie, qu'il lui avait menti ; que ça commençait à devenir pesant pour lui, bref, même s'il était encore dans le déni, quelque chose se faisait jour comme quoi ce n'était pas la femme quittée qui était folle et qui avait rêvé (3) mais qu'il avait peut-être quand même un peu de ce côté-là pas exactement été irréprochable. Voire assez loin de tout à fait.

Le rêve m'a réveillé d'un (peu charitable) rire car mon séducteur impénitent s'en prenait de guerre lasse à un lecteur qui venait quant à lui pour une dédicace tout simplement et se trouvait reçu par un Ne me parlez pas d'elle ! comminatoire. 

Puis j'ai compris.

Ce qui m'avait AUSSI à ce point traumatisée dans le mouvement de manifestation désespérée de la mère de l'écrivain - même si elle avait tort, sa souffrance était réelle -, c'est que j'étais potentiellement moi-même la grenade dégoupillée et fauteuse de troubles potentiels de deux personnes auxquelles j'aurais pu, si tel avait été mon état d'esprit aussi venir demander des comptes, sur un mode Tu ne veux plus me voir mais j'existe et je ne comprends pas ce qui t'a pris. Pourquoi m'as-tu traitée ainsi ?

Bref, j'étais, bien malgré moi, la menace potentielle de quelqu'un. Et en position, comme la mère et son fils, de points de vue inconciliables, car si nous entreprenions de nous expliquer, nous ne pourrions mener qu'une discussion sans issue, la perception de ce que nous avions pourtant en commun vécu étant totalement disjointe.

En prendre conscience et même si je suis dépourvue d'esprit revendicatif de vengeance m'avait glacé un poumon. Ils avaient l'un comme l'autre fait ce qu'il fallait pour me placer dans un rôle détestable qui était mon exact contre-emploi. Et non seulement j'étais quittée mais également prise au piège de ça. Sommée de me désintégrer et disparaître du paysage (4) ou d'endosser le rôle de "méchante" qu'on m'avait assigné.

Ce qui avait été si difficile pour moi en assistant à cette scène tragique était d'être à même de percevoir les deux points de vue à la fois. Même si sans l'ombre d'un doute ma sympathie allait au garçon.

La vie nous place parfois à notre insu dans des situations sans issues.

 

 

(1) Cela dit une sous-objection de l'objection est presque inévitable : l'entourage de l'entourage ne faisant pas non plus le tri prend tout pour argent comptant et donc l'entourage se trouve confronté à toutes sortes de déplaisantes questions.

(2) Un petit côté Caïn, Caïn, qu'as-tu fait de ton frère ?

(3) Le déni de messages écrits me laisse encore perplexe, si longtemps après. Je pense qu'il est sincère dans l'oubli de ce qu'il m'avait si tendrement (je n'ose plus écrire amoureusement, et pourtant) écrit.

(4) Ce que j'ai fait puisque de toutes façons c'était foutu : quoi que je fasse ils ne m'aimaient plus, je leur étais devenue encombrante et leur sentiment avait glissé - sans que dans un premier temps je le sache, ni ne puisse le soupçonner - de la tendresse et de la bienveillance à l'exaspération.

Commentaires