vendredi 30 janvier 2015 Twenty three days after
samedi 31 janvier au soir

samedi 31 janvier 2015 Twenty four days after

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"Pour le reste, journée de fatigue immense, sans rien faire, et de tristesse, quoi qu'on fasse."

Ces mots du Robinson pourraient bien être les miens pour chaque jour de depuis le 7 et le 8 janvier au matin. Sans parler du 9 au soir, après les autres tragédies. À ceci près qu'il me faut travailler et sans relâche - le jour des obsèques m'a été consenti grâce à la souplesse d'une de mes collègues qui s'est arrangé pour que ça ne soit pas compliqué, qui a dit oui tout de suite, ou même s'est proposée, mais il a fallu rattraper ; et le week-end dernier fut mon premier vrai "depuis". Parce que oui, on dit "depuis" sans complément, ça désigne l'ensemble, Charlie, Montrouge, Vincennes et l'imprimerie. Et on dit "la marche" pour le 11 janvier. On dit aussi "ce qui s'est passé". Comme si désigner plus précisément, apporterait trop d'horreur, d'emblée, dans la conversation.

Fatigue immense. Tristesse.

Encore que. 

La fatigue est bizarre, mon corps reste en sur-régime, une sorte de mode turbo - que sont devenus, tiens, les "moteurs turbo" (mon oncle Étienne faisant la démonstration du moteur turbo de l'une de ses dernières voitures ; plus tard Ian Thorpe porte des Lilas, c'est presque drôle quand j'y pense son histoire de coming out, qui donc pouvait croire que "ça" ne se voyait pas ; le seul qui m'a surprise c'est le Diego ami de mon ami l'été dernier jeune marié ; tiens je me suis fait draguer dans les vestiaires du club de gym, enfin je crois, toujours un peu d'ambiguïté, une avance mais moi non, à part Virginia Woolf, que les hommes. Est-ce que ça a un nom cette orientation sexuelle "que les hommes sauf pour Virginia Woolf "?). Le froid, grâce aux doudounes, ne m'atteint plus, le mal aigu de jambes a disparu, je sens le premier sur ma peau mais plus à l'intérieur, le second s'est mué en "jambes simplement fatiguées" en fin de journée. Je dors violemment, comme on sombre dans l'inconscience, mais peu, peu pour des jours d'hiver.  Seul conséquence fâcheuse : ce petit symptôme de samedi-dimanche-lundi dernier. Pour le reste, les échos physiques du choc émotionnel sont plutôt positifs, en fait. J'en viendrais presque à espérer qu'ils durent.

La vie a décidément décidé d'étonner. Dommage que ça soit dans le rude, dans l'invraisemblablement violent. Tant de morts. 

Jacques a raison : rarement on a vu que "ça" touchait tant de gens différents, comme si les tueurs avaient voulu atteindre toute la palette de conditions sociales et d'origines. Seul type épargné : le mâle vieux gaulois mono-pedigree riche dirigeant et blanc. Celui qui est plutôt sujet de caricatures que devant les dessiner. Celui qui fait rarement les courses lui-mêmes. Par exemple de choses qui lui sont épargnées, en plus des projectiles armés.

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Le bon Robinson écrit aussi :

"C'est difficile de pardonner à quelqu'un qui ne demande jamais pardon, m'avait dit l'amie sur l'autoroute, il faudrait être un saint ou Dieu lui-même », et je trouve qu'elle avait raison. L'ex dit : « M'excuser de quoi, d'être tombée amoureuse ? Je n'ai pas à demander pardon de ça », et je trouve qu'elle a raison aussi. Mais elle n'entend rien de ce que je lui dis, la douleur qu'il a fallu surmonter et la façon dont je l'ai surmontée, la paix qu'elle a du jour au lendemain sans que rien ne s'interpose dans son petit rêve d'amour éveillé."

En changeant les il et les elle, ça aussi pourrait coller. Encore que je n'aie pas eu à faire que l'on se revoie et qu'après le message stupéfiant du 8, du 8 !, l'envie m'en soit totalement passée. Pourquoi suis-je toujours en première loge pour subir des autres les ou la folie ? Y compris celle, très particulière, de V. ; dont les livres, par ailleurs, restent excellents. Que je lis toujours. Et que je vends. Parce qu'un bon livre reste un bon livre même si le comportement de son ou ses auteurs dans la vie peut être dangereux ou décevant. Elle a peut-être bien fait de m'éloigner qui risquais de la pousser dans la veine d'une littérature adulte exigeante, laquelle touche peu de lecteurs. J'aurais toujours ce regret d'une absence de descendance à celui de ses livre qui avait changé ma vie en "m'appelant".

Je n'ai pas dit mon dernier mot. Ou plutôt écrit. La détermination malgré tous les vents contraires n'a pas diminué.

En attendant, je me demande plus que jamais comment trouver le temps de le faire, je veux dire écrire pour du long.

Le deuil, ça détraque.

Et c'était déjà tellement compliqué avant. Je savoure cependant ma chance d'être à Paris. Coincée ailleurs, et vraiment seule, ça serait pire.

Ici ou ailleurs, cependant, rien ne remplacera l'ami assassiné, à la culture unique, à la mémoire remarquable, à l'humour irremplaçable.

Je pars travailler. 

 

 

 

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