dimanche 18 janvier 2015 - J + 11
18 janvier 2015
Je me réveille de façon naturelle (le dimanche, notre seul jour sans mettre de réveil, sauf exceptions) avec cette première pensée "Qui est mort ? Qui est vivant ?".
L'homme de la maison a un rendez-vous para-professionnel, je vais courir seule. J'en profite pour aller jusqu'à la première île.
Je comprends vite qu'il était illusoire de pouvoir espérer parcourir ne serait-ce qu'une partie du chemin sur berges. Nous sommes donc plein de petits coureurs sur un chemin supérieur, c'est assez curieux.
Deux femmes en courant évoquent un conflit de leur milieu professionnel, l'une dit à l'autre "Il faut toujours se méfier, on ne sait jamais ce qu'il y a derrière les gens."
J'admire des rameuses, un de quatre. On sent leur application à avancer par la perfection d'une bonne coordination et quelque chose de cet effort me paraît rassurant.
Le peu d'internet que j'aurais vu dans la journée et qui a presque repris une activité normale me rassure aussi.
Notre fille devrait si tout va bien rentrer de Londres demain (au lieu d'hier, trafic du tunnel interrompu pour cause d'incendie).
Je cherche qui était l'homme qui a si bien parlé vendredi d'Honoré. Un homme capable de maîtriser son émotion au point de parler sans papier. Nathalie me fournit la liste des intervenants et je le retrouve en procédant par élimination en rentrant.
En rentrant du théâtre, puisqu'il y avait cette séance de l'abonnement. Depuis une semaine je me suis efforcée de presque tout faire ce qui était prévu fors les deux premiers jours, l'état de choc trop puissant - et aucune envie festive -. J'ai ainsi assisté à un certain nombre de choses très scrupuleusement, sans me rappeler de rien qu'un ou deux éléments : ce film chinois avec du kung fu et un manuscrit qu'ils s'arrachaient - jamais compris qui était qui -, cette expo en mode VIP (j'y allais pour représenter la librairie) dont j'ai pour seul souvenir une analogie qui m'est venue face à une certaine œuvre, la taille surprenante de la plupart des objets présentés, que je croyais plus petits, et que la conférencière était très bien vraiment très bien. De ses mots ne me restent que "dans l'exercice de sa profession" concernant une femme dont le métier est (était ?) de servir le désir des hommes. De toutes ses explications pourtant très instructives, ne me reste rien.
D'un théâtre vendredi soir, demeure le sentiment que cette pièce m'aurait émue ... à un autre moment. Mais j'ai eu trop d'absences pour la suivre vraiment.
De la pièce de ce dimanche après-midi, en revanche, plutôt une hypermnésie : le texte de départ est d'Ascanio Celestini et entre en résonnance avec l'actualité. La mise en scène sonore aussi et même carrément trop. Eussé-je été à une extrémité de rangée que je serais partie tellement ces enregistrements de coups de feux et de voix hurlant (à un moment seulement) ce que peut-être ont entendu comme dernières paroles ceux de Charlie, c'était tout simplement insoutenable. Ce n'est pas un reproche : la mise en scène date d'avant, ils ne pouvaient pas deviner ce qui allait arriver.
Il était bon de pouvoir en rentrant repasser par la Galerie 14 qui a maintenu l'exposition d'une belle sélection de dessins d'Honoré. Les faire découvrir à qui m'accompagnait. Chapeau bas aux galeristes qui pendant ce temps-là mettent entre parenthèse leur activité tout en assurant une présence aggrandie.
J'oscille encore beaucoup. Le chagrin submerge, puis reflue. Depuis vendredi et les obsèques, l'irréalité laisse place peu à peu, non sans à-coups.
Cette photo du petit groupe, trouvée lors de la recherche de l'identité de l'homme qui avait si bien parlé, te hante. Tu es furieuse que la seule photo de groupe que vous avez soit celle-là. En même temps elle t'émeut. Elle participe de reprendre contact avec le réel, oui sur l'image c'est bien moi, je me reconnais, j'étais donc vraiment là, et l'ami est réellement mort. Tout en accroissant la sensation de dé-réalité : cette photo d'une galerie de type "les célébrités", a probablement été prise par erreur, en nous prenant pour des fameux - à moins que le photographe n'ait été sensible à l'effet de groupe, ce chagrin que nos attitudes expriment -. Il y a aussi que c'est si bizarroïde une photo de moi sans appareil photo. Même sur notre photo des internautes du mariage des Biboux je l'avais. J'ai l'impression d'avoir été prise à mon insu en photo nue (c'est excessif, je sais, les railleries sont acceptées).
Je ne parviens pas à regarder l'agenda des jours à venir, je sais ce qui est prévu demain (essentiellement : aller travailler puisque vendredi je n'y étais pas) et que mardi je dois aller voir le kiné, je m'efforce d'assurer jusqu'à son secours. Impossible pour l'instant de regarder au delà.
Ce billet est écrit en pleine offensive du sommeil. Les mois à venir se résumeront à deux choses : tenter de tenir (et faire face aux obligations et différentes difficultés "habituelles" dont l'affaire de la fuite d'eau invisible, qui prend des proportions stupides) et tenter d'écrire ne serait-ce qu'à plat, pour terre-à-terre témoigner. Très vite reprendre le cours des choses tout en n'oubliant jamais, d'un point de vue collectif et du pays et de la liberté d'expression, ce qui s'est joué là et tout en gardant à titre personnel présent en pensées l'ami Honoré que les tueurs nous ont enlevé. Pour la part amicale ce deuil est déjà comme un autre : je crois entendre sa voix, apercevoir sa silhouette, j'ai des absences, des distractions, je nous imagine le voir venir, rieur, pour la soirée prochaine du livre de Nathalie. Et qui nous dirait en nous voyant éberlués le voir arriver : Ben pourquoi vous faites cette tête-là ?.
Tu ne sais plus à qui tu as répondu ou non, parmi les messages reçus de sympathie (ou pour les amis ou la famille de l'étranger : d'inquiétude ; ce qu'ils ont pu voir via les médias leur donne l'image d'un Paris en état de siège).
Tu voulais ce soir aussi essayer de te remettre à lire [de la fiction] mais tu sais d'épuisement que tu n'y parviendras pas. Le corps est encore dans un état étrange : sans autre sommeil que de perdre conscience, sans faim, seulement une urgence de manger qui disparaît souvent avant la fin d'un simple plat, et surtout le froid, la sensation de froid qui a pratiquement foutu le camp. On n'imagine pas à quel point ça change la vie. Tu ne sais plus qui Je suis.
Forte sensation de solitude.
(dormir)