lundi 26 janvier 2015 Nineteen days after
26 janvier 2015
23 h Paris Montsouris 7,4°C 45,32 F
Jour de repos, ça devenait urgent, je crois que mon corps est en train de lâcher. Rendez-vous est pris chez le médecin.
Je dors moins [que lors d'une hibernation normale] mais quand je me pose un instant sans quelqu'un pour me tenir éveillée je sombre avec une brutalité de malaise. Une sorte d'anti-insomnie.
Nous passons avec #LeFiston voir l'expo Borgia. Pour quelqu'un qui s'y connaît elle est un peu simpliste mais pour qui doit découvrir ou redécouvrir elle replace dans le contexte, relie l'époque, les uns et les autres, de Savonarole à l'apparition du protestantisme, Erasmus, les arts et les sciences. Et un peu de ludique à la fin. C'était pour moi parfait, incapable que je suis de me concentrer longtemps sur quoi que ce soit, mais qui déplaçait dans le temps, rappelait des souvenirs d'études. Le garçon s'efforçait de me faire rire, comme nous avons le même humour, il y parvient fort bien.
Sitôt franchies les portes du musée, le deuil a repris place. Il faut dire que passer rue de Varenne n'était pas la meilleure des idées (en plus que je m'étais trompée, ça n'était pas exactement là que nous voulions aller) : grand déploiement politicier policier et toute une armada pour garder le musée Rodin.
J'ai cru à une éventuelle réunion d'urgence au sommet - mais pourquoi dans un musée ? -. Plus tard j'ai su qu'il y avait une présentation de mode. Il n'y a pas que la présence marquée des forces de l'ordre qui rappellent que la ville vient de traverser un lourd traumatisme. Partout encore des caliquots "Charlie" ou aux fenêtres des petites affiches.
Ils me rassurent. Je songe qu'il est sans doute normal de se sentir encore en deuil. Secouée.
Je raconte au fiston des histoires du passé. Des drôles et d'autres moins. Des choses que je souhaite qu'il sache. Nous mangeons bien.
Tentons de nous souvenir des films vus ensemble à "La Pagode". Deux au moins. Dont "Mud" sur les conseils de Sorj. Mais l'autre ? Et quand ?
Je devais - voulais - ressortir le soir mais la carcasse n'est pas en l'état. Regrets.
En revanche la lecture est revenue. Débloquée par la grâce du "Procès du dragon", elle se confirme par "C'est dimanche et je n'y peux rien" de Carole Fives, aussi émotif que l'autre était cérébral, mais ça passe, ça va. Certains passages me rappellent V. du temps où elle était côté fictions (1).
C'est enfin le moment de répondre à des messages, lire des blogs (2), perdre (volontairement) du temps sur le vieil internet, parcourir des textes verts, apprendre des mots nouveaux. Il me semblait bien, j'espérais me tromper, qu'une personne que je lis, quasiment une amie, était en train de perdre son travail. D'autres ont perdu leur amour (mais pas leur qualité d'écriture), j'ai des kilomètres de retard et sans doute fait plus d'une gaffe en recroisant les personnes concernées qui devaient supposer que je savais, mais en fait non. Le mois de décembre si chargé de travail m'a tenu loin de l'ordinateur, le mois de janvier commençait tout juste à marquer un retour à la normalité et me permettre, je l'espérais, de revenir vers les amis quand tout a été pulvérisé, jusqu'à mon propre passé - ça fait vraiment mal d'avoir fait une telle place dans mon cœur et pendant plusieurs années pour un homme de mauvaise qualité -, comme c'est bizarre ce dégât collatéral, l'a-t-il donc fait exprès ?. Alors voilà, oui, ça fait en quelque sorte deux mois complets (sans compter que déjà novembre, entre Arras, rentrer malade, puis le début de la montée en charge de la quantité de clients) que j'étais comme en exil, sans plus trop savoir ce que les uns et les autres devenaient.
Prendre aussi conscience qu'il n'y a pas que la perte de quelqu'un qui accable lorsque la mort survient mais bien aussi la façon dont cette mort est intervenue. Atteint par l'une de nos maladies du siècle, l'ami serait déjà une pensée nostalgique, des bons moments qui reviendraient, mais l'absence adoucie par l'idée qu'il en aurait fini avec la souffrance. Exécuté par des furieux armés, il est un fantôme qui hante, qu'il ait eu une telle fin me laisse dans une rage inapaisée, je rêve d'avoir commis l'interférence qui le mettant en retard l'aurait alors sauvé (3). Piteux cerveau en surchauffe. Quand la pression diminue c'est pour faire place aux tracas du moments qui sont moindres, bien moindres mais cumulés assez pesants.
Impossible de faire place à la moindre réflexion concernant les élections de Grèce. Ce gouvernement me semble condamné d'avance par le contexte extérieur. En l'humanité j'ai perdu foi.
J'aimerais pouvoir partir séjourner dans une sorte d'hôtel quelque part de vert, avec de quoi nager, et vivre là de longues journées calmes, à écrire, trier des photos, dormir, mettre de l'ordre dans mes pensées. N'avoir aucun souci majeur le temps de cicatriser. Courir aussi. Pleurer. Je voudrais pouvoir rester des jours sans avoir à parler.
J'ai envie de peindre, aquarelles, dessiner. Me remettre au piano. Racheter un violon (pour ma fille). Et moi aussi en jouer.
Du temps pour faire mon deuil, mes deuils, en paix.
(et que d'autres prennent en charge les choses à assumer, le temps pour moi de reprendre pied)
Comme ce lundi, les même choses faites en la même compagnie, eût été doux dans un autre contexte. Qu'il est étrange et grand cet écart entre ce que l'on vit et ce qu'en peine l'on ressent.
Il est urgent, très urgent, que je range l'appartement.
(1) Ceci est un compliment.
(2) Prendre à nouveau conscience de combien le traumatisme collectif a été important et de combien le fait d'être dans l'œil du cyclone (en bordure de) et pourvue d'un job qui ne me permet pas d'être réellement connectée m'a protégée alors même que j'étais davantage concernée.
(3) Nous n'étions pas si proches, je ne vois en réalité vraiment pas comment ça aurait pu arriver.