La fin de la grande bafouillation
24 décembre 2014
En réécoutant pour le partager avec une amie l'interview téléphonique de Patrick Modiano juste au moment de son prix, je me suis soudain souvenu combien il n'était pas si aisé pour moi de prendre la parole à voix haute (en dehors du cercle familial ou amical, car j'ai cependant toujours aimé faire marrer, y compris et surtout à mes dépends) jusqu'à l'époque où j'ai fait partie du comité de soutien à Florence Aubenas et Hussein Hanoun. Et qu'alors j'étais souvent sollicitée en tant que non-journaliste (j'étais en ce temps-là employée dans une banque) et non-relation personnelle de la journaliste, bref quand il fallait incarner le soutien populaire (1). Que c'était très flippant parce qu'il ne fallait rien dire qui risquât de fâcher les décideurs en présence, des intermédiaires probables aux preneurs d'otages, mais que si une bribe parvenait aux prisonniers elle devait être réconfortante. Alors j'ai fait de mon mieux, à chaque fois qu'il le fallait. Et cet effort a déchiré comme une sorte de rideau intérieur qui gênait ma parole orale, quelque chose dans l'organisation du cerveau, ou plutôt comme on ouvre le rideau de scène au théâtre et soudain il n'y a pas le bout de scène juste devant mais toute la profondeur et comme j'avais une raison supérieure d'y parvenir et les amis qui m'encougeraient, me disaient que c'était très bien en fait, alors voilà soudain j'ai eu l'entière possession de mes capacités de prise de parole.
Le temps du comité a passé mais cette compétence est restée, au point que je rêve de faire de la radio pour parler de films ou de livres. Et que façon de parler hein, simplement à mon niveau, c'est comme si j'avais pendant 40 ans ressemblé à Modiano et que d'un seul coup je m'apercevais que je ressemblais à Pivot, je veux dire dans l'expression orale. Ç'en était fini pour moi de la grande bafouillation.
Ça reste et restera toujours très étrange pour moi tout le bien que m'a fait l'existence de ce comité de soutien et d'en être, alors qu'il s'agissait d'un malheur. Et combien c'est bizarre de devoir du bon de sa propre vie et en tout cas de grands progrès personnels à un coup dur qui aurait pu virer à la tragédie. Le paradoxe que c'est de devoir sa chance à une malchance.
(1) La première fois que j'ai pris la parole c'était place de la République il faisait moins quelque chose j'étais congelée, un journaliste de télé ou radio (2) passait le long des manifestants et désespérait de trouver quelqu'un qui accepte de parler et ne soit pas un collègue, Y a-t-il quelqu'un qui ne soit pas journaliste ? demandait-il en vain alors j'ai dit Oui, moi, parce que je pensais que lui aussi devait avoir super-froid et que plus vite il trouvait plus vite il pourrait rentrer au chaud. Et à peine après l'avoir dit je me suis traitée de dingue en mon fort intérieur, je savais que causer officiellement n'était pas mon truc, écrire, oui, mais causer, non.
(2) En l'écrivant ça m'est revenu c'était pour France 3 les infos régionales.