Délits de sale gueule, peines maximales
One and a half year after

De l'incompréhension


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Plusieurs fois ces derniers temps et alors qu'on n'est pas encore dans le rush de Noël, que de mes collègues ou moi-même avons parfois des zones d'incompréhension avec les clients. Non pas des étrangers avec lesquels il y aurait un tracas de langage, non, mais avec des personnes s'exprimant en bon français et dont nous comprenons parfaitement les mots. Les mots, oui, mais pas le sens de la demande qu'ils expriment. 

Un homme est ainsi venu en demandant qu'on commande un ouvrage, OK nous prenons note. Au moment de la transmettre j'ai vu qu'il était imprimé chez l'Harmattan. D'expérience ce genre de demande concerne plusieurs exemplaires : c'est le livre très technique d'un collègue que l'on souhaite diffuser ; ou les mémoires d'un grand-oncle au glorieux passé que l'on souhaite distribuer à la prochaine fête de famille. L'homme portait le même patronyme que l'auteur. Nous l'avons donc rappelé pour confirmation. Bien nous en a pris : il souhaitait en fait que nous commandions son livre afin qu'il figure dans les rayons de la librairie. Lui qui pensait avoir affaire à une maison d'édition classique ne comprenait pas que son ouvrage (1) ne soit pas en vente ; nous qui n'avions pas imaginé un seul instant qu'on nous ordonne ainsi d'avoir un livre en magasin.

Une dame nous a demandé le "catalogue Gallimard". J'ai pensé au catalogue Pléiade, mais non, non Gallimard. Folio ? Non plus. Vous savez celui qu'ils éditent tous les trimestres. Il s'agissait en fait d'une lettre d'information. Elle arrivait sans doute au nom du précédent responsable qui connaissant cette habituée lui offrait son exemplaire (2). Mais n'étant pas au courant nous avons eu un mal fou à voir de quoi il s'agissait. Nous évoluions dans des logiques parallèles qui ne se recoupaient pas.

Une dame m'a demandée (3), tenant un livre d'enfant avec joint à l'ouvrage un petit sachet pour y déposer la dent, et qui d'après le titre évoquait sans doute possible l'histoire de la petite souris qui vient récupérer les dents de lait et laisse un sou à la place, s'il s'agissait bien de "la vraie histoire de la petite souris". Il est très fréquent qu'on nous pose pour un roman la question : mais c'est une histoire vraie ? car pour une raison qui m'échappe, la réalité est depuis le début du siècle considérée comme un gage de qualité ; il n'y a guère qu'avec mon centenaire préféré que j'ai pris le temps d'engager le débat sur les atouts d'une fiction réaliste quand il s'agit de faire prendre au lecteur conscience de certaines situations, je sais que globalement c'est peine perdue. Les blondes sont plus attirantes, le whisky est une boisson d'hommes et les histoires vraies c'est mieux. Contre certains préjugés on ne peut guère lutter qu'en refusant soi-même de s'y conformer.

Mais concernant la légende enfantine de la petite souris, je ne savais que dire. J'ai dû bafouiller qu'il s'agissait bien de la version la plus courante de ce qu'on disait aux enfants par ici. Et bien sûr la dame qui était dans sa logique personnelle ne comprenait pas que j'ai l'air si peu sûre de moi, sur une question à ses yeux aussi simple.

Le fait de tenir boutique offre une collection de cas. Mais ce genre d'incompréhensions me semble de plus en plus fréquents. J'en suis témoin dans la rue, fréquemment. C'est comme si une homogénéité - qui n'a pas spécialement à voir avec les origines, l'âge, la couleur de peau ou la religion, souvent il s'agit de personnes qui se ressemblent d'aspect - était en train de disparaître, que chacun naviguait dans une sphère déterminée avec ses logiques et ses codes. Un peu comme des radios émettant qui sur ondes courtes, qui sur haute fréquence, qui sur la FM.

Si l'interlocuteur est patient et de bonne volonté on peut prendre la peine de se rejoindre à une intersection puis de dévider le fil jusqu'au nœud de l'incompréhension. Mais ça n'est pas toujours le cas et lorsqu'on est au travail on ne peut à certains moments se permettre de consacrer un temps étendu à chaque personne. 

Voici venu le temps des logiques divergentes.

 

 

(1) au demeurant hyper-spécifique et qui ne pourra intéresser que ses proches ou d'anciens camarades de régiment.

(2) Simple hypothèse de ma part. 

(3) Une de mes collègues m'a dit par après avoir eu la même demande quelques jours plus tôt. Même personne ou même interrogation ?

[photo : à l'ancienne librairie, avril 2013, mot laissé par quelqu'un d'autre]

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