Matin tranquille à Clichy (octobre 2012)
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L'habit providentiel

 

C'était dans ces mois difficiles après que F. m'avait quittée avec une si grande désinvolture et une si splendide lâcheté. Je n'avais pu échapper à la video d'une rencontre en librairie dans laquelle il roucoulait avec celle que j'avais toutes les raisons de supposer être la femme qui l'avait fait me congédier (1), sur le mode nous devons désormais nous en tenir à une stricte amitié ; comme si c'était envisageable, ce côté Je veux bien te garder sur la feuille de match mais sur le banc des remplaçants. Contente-t-en.

J'avais en vue de façon fragile un nouvel emploi dont je rêvais déjà mais qui m'inquiétait pour l'écriture. Mon meilleur ami disait être trop pris, l'on ne se voyait pas. Quant à celui qui prétendait m'aimer, il faisait des sortes d'efforts qu'il ruinait aussitôt par des propos insultants ou une négligence avancée.

Je l'avais cependant convaincu de m'accompagner pour voir Jimmy P. qui passait au cinéma d'à côté. Mais il était d'une humeur massacrante, avait fait cramer une partie du dîner que la sortie lui avait fait préparer à l'avance. Il avait un début de crève, des tracas pros, bref, rien n'allait et je le payais.

Il avait filé dès la fin du film au prétexte que les enfants (majeurs, adultes, parfaitement capables de se préparer à manger) attendaient le repas.

Pour complèter la chance, c'était pile au premiers jours des premiers froids après un début d'octobre heureusement clément.

L'un dans l'autre j'étais sortie en larmes du film - à cause de l'émotion aussi, cette amitié entre les deux hommes, James Picard et Georges Devereux -. Et dès le coin de la rue malgré que j'étais chaudement vêtue j'ai été saisie par une crise de froid. Ces instants où la glaciation semble venir de l'intérieur du corps où l'on claque des dents, où l'on a peur de ne plus pouvoir faire un pas, prise dans des glaces invisibles mais si fortes.

J'avais hésité à rentrer. Seulement j'étais trop mal physiquement, et trop fauchée financièrement pour envisager une autre option. Arriver jusqu'à l'appartement allait déjà être un exploit. Remontant la partie élégante de la ville, j'ai failli heurter une poubelle, à cause des gestes que le grelottement saccadaient. Ce n'est pas que je ne l'avais pas vue, c'est que j'avais du mal à marcher. C'était une poubelle générale (2). Au dessus, dans un sac plastique du supermarché voisin, des vêtements, quelque chose de brun qui ressemblait à un manteau, soigneusement plié, et d'autres pièces de tissus, en dessous, mais plus petites. J'ai déplié l'objet, c'était une belle veste de cuir à la doublure molletonnée, et qui faisait précisément ma taille en un peu ample. Elle semblait propre, j'étais gelée (3), par dessus le blouson que j'avais, je l'ai enfilée. À la guerre comme à la guerre.

Au coin de la rue suivante, le froid avait cessé. 

Et puis j'avais l'impression que quelqu'un quelque part m'avait voulu du bien, comme mes bons amis (4). Le petit dieu des livres sans doute (quand celui de l'amour violemment s'acharnait : quelle malédiction étais-je en train de payer, moi qui n'avais strictement rien à me reprocher sauf de n'être pas une belle (fausse) blonde ? Les hommes n'étaient-ils plus capables que d'honorer des femmes artificielles ? (5)).

J'avais ce soir-là été sauvée par une inconnue que son vêtement lassait mais qui avait pensé à le poser à part des autres rebuts dans le généreux souci que quelqu'un puisse en profiter. Je pense qu'elle n'avait pas imaginé qu'il s'agirait d'un si fort secours, ni si parfaitement coordonné. Laissée pour compte par les hommes, j'avais été sauvée par un vêtement qui l'était. La vie parfois ne manque pas de logique.

Le sac contenait quelques autres bricoles dont certaines un jour peut-être me serviraient.

 

 

(1) Sur les photos et les images elle correspondait en tout point au cahier des charges qu'il m'avait un jour énuméré pour expliquer qu'une de ses stagiaires était à ses yeux physiquement la femme idéale. Ce n'était pas la première fois que je croisais un homme avec des critères physiques de parfaite féminité (et qu'ils soient pour le caucasien de base si standardisés, la belle grande blonde aux yeux clairs sophistiquée aux jambes interminables, aux seins conséquents mais néanmoins aux attaches fines), c'était la première fois que j'en croisais un qui n'osait pas ( ou plus ? il avait l'âge de l'andropause) tenter de faire l'amour avec qui en divergeait - alors qu'il avait néanmoins entrepris la séduction avec soin et longuement -. Il s'était avec moi comporté comme un prédateur qui attrape, blesse grièvement une proie mais sans daigner conclure la chasse. Je n'avais pas su me remettre assez vite sur pied et m'enfuir. Ça avait donc été pour moi destructeur. D'autant qu'il avait ajouté à l'ensemble une forte dose de déni - si je n'avais pas eu d'écrits, j'aurais pu me croire folle, mais heureusement j'avais, je détiens toujours des preuves tangibles que je n'avais pas rêvé -.

(2) Je veux dire, non recyclable.

(3) alors qu'il faisait frais mais pas glacial

(4) C'était aussi une période durant laquelle ils s'étaient montrés formidables, qui m'avait invitée à la danse en attendant que je puisse repayer mon abonnement échu, qui m'avait prêté de l'argent pour me protéger d'un travail que j'avais failli prendre par désespoir financier, qui prenait sur son temps pour me voir alors que sa propre vie était très compliquée, qui m'invitait pour m'éviter le repli sur moi-même qui aurait été fatal, qui me refilait ses SP ... Bref, les proches d'entre les proches étaient défaillants mais les copains et surtout copines chaleureux et présents.

(5) Je finissais vraiment par me poser la question, surtout après avoir lu des choses étranges chez un ami que je savais sujet à d'éventuelles pannes d'origines, comment dire, esthétiques.

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