Toujours vivant(e), cet étonnement
15 juillet 2014
Une fois de plus tu as cru mourir de fatigue (ce qui l'été est rare) et puis finalement non. Après deux jours dans d'étranges limbes mais qui te sont assez familières, heureusement la lecture reste encore possible - et tu t'es régalée des livres cousins d'Olivier et de Thierry -, tu reprends pied dans la vie.
Revoir Simone, revoir Milky, croiser un ami (oui parce qu'en vrai Paris c'est tout petit) ; porter un appareil à la révision et voilà la journée remplie.
Recevoir cet appel sur ton téléphone que tu as cru de ton banquier : il y était question de ta banque et si c'était là ton compte principal. Tu as mis plusieurs répliques avant de piger qu'il s'agissait de réunions de consommateurs et tu as été sidérée d'être discalifiée au motif que tu consultais tes comptes par l'internet à ton âge avancé (1).
Bon d'accord tu y as ajouté un instant de beauté - et oui, ça peut paraître bizarre, la beauté peut fatiguer, elle touche quelque chose tout au fond qui laisse un peu secoués -, un détour pour saluer Paul et comme j'aime autant taquiner
les défunts définitifs que les vivants marrants
j'ai lu non loin de là quelques chapitres d'un excellent roman où son "ami" est évoqué souvent. J'aimerais bien savoir ce qui s'est joué entre vous à Bruxelles, il se joue toujours à Bruxelles entre les gens des trucs surprenants.
- Hé, tu sais quoi, monsieur Paul, ça serait maintenant, vous pourriez vous épouser. En revanche revendiquer poète comme profession, ça pourrait plus, c'est mort. Ou alors vos textes il faudrait les slamer, les raper. En faire des paroles punk-rock.
Vous dites quoi ? Ah, vous dites : "quoi" ? Ah oui, il s'est passé des trucs quand même un peu depuis tout ce temps là. N'empêche, vos textes on est encore tout plein à les connaître, et pour certains par cœur. Moi je suis juste une voisine, je passe donner les nouvelles, comme ça, mais j'ai quelques amis qui savent vraiment tout. Et est-ce qu'on vous a dit au moins pour le débarquement ? "Les sanglots longs. Des violons" ?
Le quoi ? Ah je vois, même ça. Je crois qu'il va falloir que je revienne plus souvent. C'est bizarre comme votre tombe est toujours fleurie je croyais qu'on était nombreux à venir, à vous dire. A te dire. Au fait je ne sais plus, on se vouvoye ou on se tutoie ?
Ah, les autres ne parlent pas. C'est dommage, si j'y arrive pourquoi ils n'y arrivent pas ?
Peur ? Ah oui, moi non. Peur j'ai pas, je suis toujours un peu entre les deux, des maladies enfants, des fièvres fortes, de l'épuisement, quelqu'un qui nous quitte violemment. Ça tient à pas grand-chose qu'on revienne ou pas. Si je devais éprouver un truc ce serait la surprise d'être toujours là. Enfin je veux dire : du côté où aujourd'hui je suis moi.
Bon, je vous laisse, j'ai un livre à finir. Oui, je travaille comme libraire. C'est un métier qui existe encore, mais plus tout à fait pareil et plus pour très longtemps. On lit moins qu'avant. Et puis aussi sur des écrans.
D'accord la prochaine fois j'explique les écrans et le débarquement. On garde le slam pour la rentrée, OK.
Salut monsieur Paul, repose toi bien. Quoi ? L'éternité ? C'est malin, alors je fais l'effort d'éviter l'allusion pour pas être reloud et c'est vous toi qui la fais. Charleville ? Non, jamais allée. Je suis quelqu'un qui n'a eu que les sous moyen moyen pour voyager, et Charleville ça s'est pas trouvé. Mais j'ai un ami qui est pas trop loin et qu'à chaque fois il fait le détour. Un peu comme moi pour vous.
(C'est vrai que ça serait top un wi-fi des morts). Ah zut, c'est vrai vous entendez aussi ce que je me dis à moi-même. Wi-fi c'est un peu compliqué à expliquer sans les étapes qui précédaient. Mais je le mets aussi sur la liste des trucs à expliquer.
Allez, maintenant j'y vais.
Et tu es allée lire un peu plus loin, un passage où il était solidement question d'Arthur et de ses voyelles. Après ça, quoi d'étonnant à ce que tu ne croies pas que le hasard soit si hasardeux qu'on croie.
Tu croyais avoir passé l'heure de la sieste, victorieusement, pas ensommeillée pour un rond et puis ça t'a pris après le retour de bonne heure de l'homme de la maison. Il était secoué par l'annonce du départ en retraite du médecin qui le suit. Tu as tenté maladroitement de le réconforter. Tant d'échanges tout au long de la journée t'avaient en fait épuisée alors tu t'es endormie en tout début de soirée.
Mais ça avait été quand même une belle journée, allez.
(1) Ça n'était pas dit comme ça mais s'ils cherchaient des personnes de ma catégorie d'âge c'était précisément pour évaluer leur capacité à passer enfin aux consultations de comptes et autres opérations via l'internet. #ohwait comme on disait sur twitter il y a deux ans.