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Trois ans et demi plus tard, et voilà - petite remise en mémoire d'un billet chez Kozlika -

 
Ce billet chez Kozlika m'avait marquée, j'avais déjà été confronté avec le même type de conversation dans ma famille d'origine, même si celui qui me répondait à l'époque en tenait pour Jacques Chirac (j'ai failli écrire alors encore en vie) ce qui me paraissait terrible à l'époque mais au moins lui n'était pas porteur de haine ; et il ne souhaitait pas non plus que tout change, en fait il voulait simplement lui aussi faire partie des profiteurs. Mais le schéma était similaire : on dénonçait les mêmes choses, on se croyait en phase et c'était pour s'apercevoir à la fin que nos choix de vote étaient sensiblement opposés. 

Mais là c'était bien pire, il s'agissait de quelqu'un qui avait bien envie et pour les mêmes raisons que nous que ça change enfin ... et qui plaçait son espoir sans l'ombre d'un doute ni d'un souvenir dans l'extrême droite. Il me paraît urgent, ce soir de relire ce témoignage, cette vignette d'un bref échange dans une boutique, comme une annonce des résultats électoraux désespérants (1) que ce soir on subit : 

Qui, pour porter notre colère ?

 

(1) Ce n'est pas comme si au siècle dernier et avec des témoins qui sont encore (sur)vivants on n'avait pas vu où les populismes mènent, ainsi que les partis politiques qui glanent leurs votes sur la haine de son prochain.


La figurante du Troca

 

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Depuis la fin (officielle) de l'hiver, chaque fois que je passe au Troca il y a une spectaculaire mariée en train de procéder aux photos Du-Plus-Beau-Jour-De-Sa-Vie. 

Presque toujours la même fausse blonde, toujours une robe blanche qui fait très robe de mariée de pièce montée.

Le presque est dû à une variante asiatique, elle-même parfois vêtue d'une robe d'une autre teinte mais de même acabit ; dans l'esprit.

Ce soir à l'application qu'elle mettait à prendre les poses, la blonde, et à l'air emprunté du garçon qui semblait peu habitué à la tenir en bras, j'ai enfin compris : de même qu'à Rimini sur la plage se baladait un type avec dans une sorte de brouette élaborée un palmier et quelques éléments de décor de type Île Tropicale, Maldives et ce genre-là, et qui prenait en photo les touristes devant, il y a au Troca une organisation de location de pseudo-mariées pour des photos inoubliables de honeymoon in Paris. Je ne vois que ça.

(et à part ça, déjà lassée de ma collection esquissée de eiffelselfies et de photos en faisant semblant que je suis plus grand que la Tour et que je la tiens par en haut : ils sont trop nombreux, ça confine à l'écœurement). Cela dit, il y aurait des photos à prendre jouant sur l'effet de nombre simultané, justement. 

 

 


ETAOIN SHRDLU


    Grâce @Virgile_ la résolution d'un truc qui me semblait mystérieux depuis que je l'avais croisé jadis dans une lecture, sauf que c'était avant l'internet alors comment savoir d'où ça sortait ? Je crois que je m'étais tout bonnement trouvée nez à nez avec un exemple du cas suivant : 

"Cette suite est passée à la postérité car les opérateurs, lorsqu'ils s'étaient trompés, l'utilisaient de manière générique pour terminer rapidement une ligne : il était en effet plus facile de compléter aléatoirement une ligne puis de l'annuler pour en recommencer la saisie, que de faire opérer le mécanisme pour reprendre à la main le caractère fautif ; et parfois la ligne était coulée sans que la correction eût été saisie, si bien que « ETAOIN SHRDLU » apparaissait dans le texte imprimé."

Ce sont donc les lettres les plus employées en anglais par ordre de fréquence décroissant. Et qui ornaient dans cet ordre les colonnes les plus accessibles des claviers des linotypes. Une sorte d'ancêtre du qwerty.

En français c'est elaoin sdrétu, qui me plaît beaucoup.

 

Source : l'article wikipédia

 billet initialement publié sur Trousse à outils

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Where the hell is the leak ?

 

OK le mur du placard aux manteaux et valises est humide, OK on a fini par piger que c'était les joints du carrelage qui au bout d'une vingtaine d'année étaient devenus poreux. OK le plombier venu pour diagnostiquer le problème qui chez nos voisins du dessous fait goûter le plafond a repéré un siphon un peu fatigué, mais ça ne goûtait pas (et il a fait dans les deux cas le nécessaire pour parer au plus pressé, même si c'est du provisoire en attendant qu'il revienne), c'est là aussi juste un peu humide.

Il s'est passé une semaine.

Et chez les voisins ça coule toujours comme s'il y avait une fuite importante, de type baignoire débordante ou joint qui fuit ouvertement. Ce soir paraît-il que la voisine d'un étage encore en dessous est venu se plaindre que chez elle aussi ça coulait (les voisins intermédiaires étant absents, c'est chez nous qu'elle est venue sonner).

Ça commence à devenir inquiétant. Nous voilà tenus pour responsables d'une fuite que nous ne voyons pas. On ne peut certes pas rester sans rien faire, mais que peut-on faire ? Where the hell is the leak ? 

La fuite d'eau invisible est à la plomberie ce que la panne aléatoire est à l'informatique : pour réparer (tenter de), le pire des cas.


Toutes fausses

 

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Au gré d'un voisinage de théâtre, à l'heure où les placeurs juste avant le début du spectacle proposent les sièges laissés vacants. Elles ne se connaissent pas, donc il n'est pas question de ressemblance familiale ni d'influence amicale, c'est beaucoup plus général que ça.

Et je suppose que ça durera jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que les différentes teintures sont cancérigènes (on parie ?). Et que les rejets des eaux de rinçage sont un pernicieux facteur de pollution.

 

Est-ce vraiment ça que les hommes (hétéros) aiment ? N'y en a-t-il plus pour être capables d'apprécier l'absence de triche et le naturel ?


En état d'arrestation

 

Tu finissais de lire un livre excellent (1) allongée dans le lit afin de reposer tes jambes de libraire, et comme la fin du bouquin était mouvementée tu as cru que c'était des sons du livres que ton imagination restituait, et puis non : c'était bien en bas dans la rue, des bruits comme ceux d'une agression, une voix d'homme qui pleurnichait comme un enfant, J'ai mal arrêtez, arrêtez. Comme des bruits de mouvements de lutte. 

Et puis surtout les cris d'enfants en provenance du jardin public qui d'un seul coup avait cessé. 

Et c'est ça en fait qui t'a fait bouger : pour que les enfants cessent de jouer c'est qu'il y avait quelque chose.

Une autre voix d'homme, calme, dit Donne ta main. 

Tu t'es du coup demandé s'il ne s'agissait pas d'un enfant qui se serait carapaté du jardin et que son père furieux et autoritaire rattrapait avant la première bêtise. 

D'ailleurs la voix d'homme disait : - Pourquoi tu as essayé de t'en aller ?

Et la voix masculine grave mais aux tonalités enfantines qui pleurait - J'ai mal, j'ai mal au poignet, Non, non, arrêtez.

Puis une voix de femme comme quelqu'un qui intervient. Mais tu ne comprenais pas ses mots. Seulement une détermination qui enjoignait d'arrêter.

C'est elle qui aura achevé de te tirer du livre. Les enfants ne jouent plus, une femme proteste, ça dure un peu, il se passe quelque chose qui nécessite peut-être d'agir. 

Ce qui était bizarre c'est que dans toutes les bagarres que tu avais auparavant entendues, il y avait des adversaires qui généralement criaient le même genre de choses et sur le même ton. Or là, on entendait qu'une partie (en détresse) et une autre d'un calme étonnant. Tu t'es vaguement demandé si ça n'était pas un dealer du coin qui n'avait pas payé son dû à sa hiérarchie et était en train de subir un passage en règle d'envie de récidiver.

Mais bon ça y est tu étais à la fenêtre enfin, avec ton téléphone portable en main, prête à appeler la police au moins.

Sauf que, la police c'était elle qui était là et achevait de pousser un gars dans une voiture de service dûment estampillée. Les gamins étaient tous en rang à la porte du jardin public, de façon amusante aucun ne dépassait la ligne de la porte, comme si ç'eût été une infraction. Et une femme, en avant d'eux, celle que j'avais entendue et qui semblait très fermement demander une explication.

À laquelle un des agents, juste au moment de rentrer dans le véhicule où l'attendaient déjà et ses collègues et l'interpellé, répondit à la dame : - Vous verrez le jour où il vous arrachera votre sac à main.

Elle se tut aussitôt.

La voiture partit. La petite foule se dispersa. Les cris joyeux d'enfant jouant reprirent. 

Je ne sais rien de ce qui s'est précisément passé. Peut-être le type s'était-il montré agressif, et violent et qu'il avait geint parce qu'il était lâche. Mais peut-être que c'était plus compliqué que ça. Comment savoir. Les policiers avaient l'air calmes et maîtres d'eux. Peut-être venaient-ils d'arrêter l'homme en flagrant délit et qu'il s'était débattu ou enfuit. Et qu'il avait fallu employer la manière forte pour le coincer.

Comment savoir ; et : qui appeler quand la police elle-même est en cause ?

Le son de la voix de l'homme qui gémissait et implorait pitié, que ça cesse, m'est restée. C'était un son de dictature. Même si les raisons sont bonnes, je n'ai pas aimé ça.

 

(1) "Comment lutter contre le terrorisme islamiste dans la position du missionnaire" de Tabish Khair dans la traduction au petit poil de Blandine Longre

 

 

Lire la suite "En état d'arrestation " »


Les grands (!) mystères de ma vie

 

J'ai un défaut, j'adore comprendre. Tout se passe comme si l'enfant de quatre à six ans qui épuise son entourage de Pourquoi ? n'avait jamais disparu en moi, s'était contenté de devenir pire, avec des "Pourquoi ?", des "Comment ça marche ?", des "Qu'est-ce que c'est ?" concernant des choses de plus en plus élaborées. 

Il se trouve que je date de bien avant l'internet, que mes parents pour cause de guerre mondiale n'avaient pas pu faire d'études, que j'étais l'aînée et qu'à part une heureuse période pendant laquelle une de mes cousines étudiante avait été hébergée chez mes parents, je n'avais jamais disposé alentour de "quelqu'un qui sait". Demander aux profs, ce qu'en désespoir de cause je faisais parfois, était toujours un brin délicat. Ça pouvait passer pour ce que ça n'était pas (du faillotage). Et puis après les cours ils avaient quand même envie de réintégrer leur vie - je craignais de déranger -.

À la maison, un petit Larousse et à partir du début des années 70 une encyclopédie Quillet en quatre volumes. La bibliothèque municipale environ une fois par semaine ou tous les quinze jours : elle n'était pas tout près il fallait attendre que maman y aille en voiture. Plus tard j'ai pu y aller en vélo, mais c'était tout un calcul : durée du trajet / horaires d'ouverture / mes autres activités extra-scolaires. Bizarrement, mais c'est peut-être parce qu'il était ouvert aux heures ou j'avais cours, peu de souvenir de quêtes de compréhensions dans les CDI du collège puis du lycée.

Bref, tout ça pour dire : souvent je restais avec mes interrogations, ou des réponses qui me semblaient par trop insuffisantes et comme schématisées pour les petits enfants. Je me souviens de m'être trouvée maintes fois en recherche de "la vraie explication". 

J'ai accumulé comme ça dans un coin du cerveau tout une malle de grenier de petits mystères non élucidés, que la sagesse m'a fait remettre à plus tard, parce que vraiment ça voulait pas. La malle tend à déborder, surtout depuis certaine rupture subie si incompréhensible. Elle a une grosse étiquette "Un jour je comprendrai". J'aimerais bien ne pas mourir avant qu'elle ne soit aux trois quarts vidée.

Il y a de tout : des mots inconnus que le dictionnaire ne contenait pas, des expressions dont l'image me laisse perplexe (d'où diable cela peut-il venir ?), des comportements humains incompréhensibles à mes yeux ou dont je pressens que l'explication qu'on m'a fournie n'est qu'un cache-misère, des choses mathématiques trop compliquées pour moi sur lesquelles pendant mes études j'avais un peu calé, des bribes de programmes dont je n'ai pas compris pourquoi ça fonctionnait ou au contraire pas - le nombre de fois où j'ai dépanné des traitements informatiques "au feeling" sans être capable de m'expliquer ne serait-ce qu'à moi-même pourquoi après ça marchait et avant pas - (1) ...

Jusqu'à tout à l'heure y traînait depuis si longtemps que j'ai oublié dans quel ouvrage (ou vieux journal) anglo-saxon j'étais tombée dessus, un splendide ETAOIN SHRDLU. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Qu'est-ce que ça faisait fichtre là (une fin de phrase ou de paragraphe) ? Est-ce un code destiné à un et un seul lecteur pour qui s'est signifiant, un truc genre Radio Londres, et que tout le reste du texte n'est que garniture pour le tout-venant des gens ? Je me demande même si je ne me l'étais pas répétée à voix haute, des fois que ça soit une formule magique qui déclenche quelque chose de terrible ou de merveilleux (oui, je n'ai peur de rien (2)). Ça doit remonter à mon adolescence, autant dire sept lustres.

Et puis voilà qu'un ami ce matin publie ce touite 

Capture d’écran 2014-05-21 à 09.42.45lequel renvoie donc à ce lien sur wikipédia.

Et pour moi à la sortie immédiate d'un élément de la malle. J'avais tout simplement dû tomber sur le cas ainsi décrit : 

Cette suite est passée à la postérité car les opérateurs, lorsqu'ils s'étaient trompés, l'utilisaient de manière générique pour terminer rapidement une ligne : il était en effet plus facile de compléter aléatoirement une ligne puis de l'annuler pour en recommencer la saisie, que de faire opérer le mécanisme pour reprendre à la main le caractère fautif ; et parfois la ligne était coulée sans que la correction eût été saisie, si bien que « ETAOIN SHRDLU » apparaissait dans le texte imprimé.

Je suis consciente que pour la plupart d'entre vous qui lisez ce billet, ça n'est rien, c'est inintéressant, au plus vaguement amusant. Mais pour moi c'est une absolue jubilation, un soulagement, un pas de plus vers la guérison (3). Elle est d'autant plus forte, la sensation de jubilation, un peu comme un joueur de foot qui grâce à une passe décisive marque un but d'anthologie, que ce mystère-là n'était a priori plus susceptible d'être résolu (4). Donc non seulement le but est beau mais il a été marqué en dernière minute et permet d'arracher in extremis la qualification (5).

Je me sens presque aussi ragaillardie que le jour où mon ami d'enfance, plus de 30 ans plus tard m'a appris pourquoi sa mère lui interdisait pendant si longtemps d'aller jouer au foot sur le terrain prévu, et qui était à deux pâtés de maison de là, et que ça me paraissait à ce point insensé, cette interdiction (6).
Le petit Holmes en moi frétille de joie.

Merci Virgile, merci beaucoup.

 

(1) Tout récemment, typique exemple, il y eut le balcon des pompiers, résolu par l'ami Berlioz.

(2) sauf de Vladimir Poutine

(3) La guérison de quoi ? Je l'ignore. D'être en vie ? D'être comme ça ?

(4) Si quelqu'un connaît le mot français ? C'est résolucible qui venait.

(5) J'ignore, là aussi, à quoi.

(6) En fait c'était parce qu'elle se méfiait du "mauvais garçon" du quartier et qui y régnait ; en empêchant son fils d'aller sur le terrain de jeu et qu'il reste sur la place devant les maisonnettes où elle pouvait encore intervenir, elle souhaitait le protéger et de la castagne et de la mauvaise influence. À sa décharge le mauvais garçon du quartier était une perfection dans le rôle. Et elle ne savait pas qu'il me respectait et que donc si j'étais là, paradoxalement, son fils ne craignait rien d'autre que des railleries - le camarade caïd nous prétendant amoureux -. Ma capacité à être respectée par les crapules et les violents, et à me prendre des coups (moraux, peu savent se battre) de la part de gens qui paraissent bien sous tous rapports et sont considérés, alors qu'en fait ils sont salauds inside, ne date pas d'hier en fait.

 

PS : Autre avantage de l'internet, quand on est délicatement dingue, on s'aperçoit généralement qu'on est pas seuls, que d'autres encore plus atteints font carrément des sites. Cela dit leur accroche est nulle, la résolution des petits mystères n'a dans mon cas pas du tout pour but de briller en société. C'est de l'ordre du soulagement interne, de la pression qui diminue dans la cocotte-minute.

 

 


Getting old (et combien c'est parfois flippant)

 

Observant d'un œil vague pendant ma pause café dans l'une des quatre pièces d'angle à la BNF du rez-de-jardin, un homme plutôt beau qui effectuait quelques étirements ; ceux de qui est resté trop longtemps concentré assis ; me demandant combien de temps il me faudrait avant de ne pouvoir m'empêcher de comparer bien malgré moi ceux que je croisais avec Celui qui, et trouver sempiternellement qu'ils ne franchissaient pas la barre (1) tout en étant parfaitement consciente que par dessus le marché pour eux je n'existais pas, j'ai soudain bondi (intérieurement).

Elle venait d'entrer. 

Lourde de silhouette, les cheveux gris et longs, rassemblés en chignon, des lunettes cerclées de métal, une jupe classique, des chaussures plates, un cardigan. 

Et qui s'est installée sans mollesse mais comme qui est très fatiguée sur l'un des fauteuils près de l'entrée. A entrepris de se servir à un thermos.

Je savais que ça n'était pas elle, la vieille amie de ma nuit des temps, perdue par la suite d'une bouffée de haine qu'elle fit de l'internet, si incohérente que j'avais préféré faire comme si je n'avais rien reçu, attendre le message d'excuses et une explication pour cet épisode délirant. Message qui n'était pas venu, tandis que ma vie était bousculée plus que jamais ce qui fit que je n'avais pas même eu le loisir de me poser la question de ce qu'il convenait de faire pour (éventuellement) sauver cette amitié.
Plus tard il fut trop tard. Et contrairement à V. et à Celui qui, ou à mon meilleur ami lorsqu'il reste trop longtemps sans libérer de son temps, elle ne me manque guère. Nous avons été victimes d'évolutions divergentes comme l'existence en fournit parfois. Celle d'avec ma mère, par exemple, me perturbe beaucoup plus que celle-là.

Il n'empêche que la personne qui venait se reposer ressemblait très exactement à ce que mon ancienne amie aurait pu devenir si depuis les quelques années qu'elle s'était fâchée elle avait suivi sa pente naturelle (2). Et que cette personne, je l'aurais moi-même décrite comme une femme assez âgée, une quasi vieille dame, une retraitée.

Elle était mon aînée. Mais pas de l'écart entier d'une génération. Son changement de catégorie était aussi le mien.

J'ai décidément ces derniers temps beaucoup de mal à intégrer mon âge réel. Et bizarrement le chagrin en cours qui en fut la première alerte - eussé-je été plus jeune, j'aurais peut-être été quittée, mais non sans un brin de respect -, ne change rien à l'affaire. Je ne me perçois pas ou plus comme je suis, mais suis décalée d'une quinzaine d'années (3).

C'est une sensation fort curieuse dont je ne sais pas quoi penser. Consciente cependant que le prochain grand sale coup que je me prendrai sur la tête me propulsera en avant de 30 ans. Et que ma confiance en les autres, à de moins en moins d'exceptions près, est depuis juin passé celle d'une centenaire qui aurait revendu il y a déjà longtemps son logis en viager.

 

(1) fors Kreso Mikić et Nicolaj Koppel ce qui n'aide en rien et fait peu pour 11 mois 

(2) Mais peut-être a-t-elle rencontré un ancien Punk Suisse reconverti dans l'art contemporain conceptuel, richissime grâce à des tableaux sur lesquels il peint une tâche bleue, qu'elle vit désormais à New-York, maigre, joyeuse et déjantée avec des cheveux courts dressés sur la tête et orange fluo. Que deviennent les gens quand de nos vies ils sortent tout droit alors qu'ils sont encore vivants ?

(3) Peu ou prou le temps que j'ai passé à l"'Usine" en souffrant au travail parce qu'il avait perdu tout son intérêt et que j'ai ressenti comme un enfermement. Quelque chose d'organique en moi perçoit ces années comme nulles et non avenues, comme n'ayant pas eu lieu. Comme si j'avais repris le fil physique de ma vie là où j'en étais resté. Ce qui correspond également au retard avec lequel j'ai appris une rupture, laquelle ne s'est pas concrétisée, sans doute à cause de l'ampleur de "l'après coup", mais qui affectivement a pour moi bien eu lieu. Tout se passe comme si je refusais d'intégrer ces années fausses (sous un travail qui n'était pas un "vrai" travail pour moi que j'accomplissais sans m'y reconnaître, et pourvue d'un amour qui n'était pas ce que je croyais). D'où que je me sens en permanence bien un peu jet-lagguée.


Persistance

 

Huit ans et quatre mois que la rupture a eu lieu, des nouvelles mais indirectes - En as-tu aussi de moi ? Cherches-tu à en prendre ou au contraire à les éviter puisqu'au moment de me bannir tu semblais regretter que j'aie existé ? - et voilà que dans ce papier sur lequel je tombe par hasard (j'avais besoin de monnaie, j'ai acheté le journal), lorsque l'on t'interroge sur tes influences, parmi relativement peu de titres tu cites un livre et un film que je t'avais fait découvrir.

Je m'efforce de n'y voir aucun signe particulier, c'est peut-être au contraire parce que tu as oublié que j'avais joué les passeuses, que tu les as spontanément cités, déconnectés qu'ils sont d'une histoire qui t'aura peut-être un peu durant quelques temps empêchée de dormir bien la nuit, d'une amitié que tu as peut-être réellement oubliée tant est satisfaisante et créatrice celle pour laquelle tu m'as congédiée. Puisque le mal est fait, que j'ai survécu et que l'élue est quelqu'un que j'admire et apprécie, j'aimerais qu'il en soit ainsi. Donc oui, ils ont dû te revenir comme ça, peut-être que ces œuvres résonnent en toi si fort que tu crois depuis un moment les connaître de toujours. Ce n'est donc certainement pas une façon de me signifier Je ne pouvais plus, n'avais plus de temps, mais vois-tu je pense encore à toi (parfois).

Il n'empêche que c'est troublant d'être à la fois l'indésirable et celle qui a une influence si persistante dans le temps. Une libraire posthume. Une blatte (1) de l'esprit.

 

(1) Femelle. Les blattes femelles pondent en effet leurs oeufs dans une sorte de petit étui de l'ordre d'un élément de carapace, solide et qui reste un temps collé à leur corps. Quand on écrase l'insecte cette poche se trouve expulsée et les petits blattons (?), une douzaine, malgré tout naîtront. C'est pourquoi toute agressivité directe envers une blatte est improductive.  Les blattes nous survivront.