Adrien Goetz en dédicace à la librairie
Euro vrac vision (souvenirs sans réfléchir)

Gratitude et soulagement

 

Je tiens à remercier de tout cœur le client ou la cliente qui hier à 13h04 alors que j'accomplissais la première partie de ma pause déjeuner, acheta le roman dont la présence m'offensait, dont la vue m'étreignait chaque fois que j'oubliais de me préparer à faire l'effort épuisant de faire abstraction sur qui l'avait commis et en l'honneur de qui et si peu de temps après m'avoir sommée de dégager afin de faire place à l'amour le vrai.

Je me plais à rêver qu'il s'agit de quelqu'un qui lit par ici, a compris mon chagrin, a choisi volontairement de venir faire sa bonne action pendant mon absence. Aurais-su encaisser sans frémir, sans pleurer, voire perdre connaissance (1) ? Qu'aurait pensé le client qui est en droit d'acheter et de lire un ouvrage sans se voir imposer des arrière-pensées dues aux vies privées de l'auteur et de la personne qui le lui vend,  et qui risquent de lui en gâcher la lecture ? L'auteur de celui-ci ne serait pas le premier homme à écrire si merveilleusement sur l'amour tout en se conduisant dans l'existence comme un être brutal et sans scrupules aucun, passant de l'une à l'autre sans respect pour la femme n-1, s'appliquant à séduire même si pour lui ça ne correspond à rien, sans se soucier que ses mots et ses regards aient pu être pris pour ce qu'ils semblaient (n'est-ce pas, Ted ?).

Ou bien à croire qu'il s'agit de quelqu'un à qui jusqu'à l'année dernière travaillant dans le même quartier je me suis appliquée en Bonne Mascotte dévouée à faire connaître le travail du bien-aimé et qui, la librairie précédente ayant fermée, a été heureux de voir que cet écrivain à nouveau publiait. Peut-être même qu'il ou elle lira le nouvel opus en croyant que c'est à moi qu'il s'adresse ; se dira Je pensais bien pour en parler ainsi qu'ils devaient s'aimer fort ces deux-là. Peut-être que cette lectrice, moins probablement ce lecteur, alors se réjouira. Sans imaginer un seul instant, au vu de la situation d'il y a encore onze mois, que tout s'est effondré très brutalement pour moi. J'ai trouvé mieux, restons amis.

Je sais que le livre n'a pas été conseillé. Que la personne qui l'a pris venait spécifiquement le chercher. N'a rien acheté d'autre. D'où l'illusion qu'elle est venue exprès afin de m'en libérer.

J'espère, c'est pour moi trop de souffrance, qu'il n'y aura pas de réassort. Aucun. Même si, accordant le respect dont j'ai été privée, je ne dirai rien. 

 

(1) La première fois que je suis tombée sur ce livre en en rangeant un autre, du fait de la surprise, de l'absence de méfiance, j'ai été à deux doigts de la perte de conscience. Que je suis parvenue à limiter à une simple pause, un éclat d'aller dans les toilettes pleurer. 

 

Fred Copen 

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